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Date de mise à jour 29/04/2022

Thrombocytoses de l’enfant

 

G. Costa1,2, A. Petit3,4*

1Service de réanimation pédiatrique, hôpital Raymond-Poincaré, AP-HP, France
2Faculté de médecine, UFR Simone-Veil-Santé, UVSQ, France
3Service d’hématologie et d’oncologie pédiatrique, hôpital Trousseau, HUEP, AP-HP, France
4Faculté de médecine, Sorbonne Université, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : arnaud.petit@aphp.fr (A. Petit).
 

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Article validé par :

SFP (Société Française de Pédiatrie)

SHIP (Société d’Hématologie et d’Immunologie Pédiatrique).

Introduction

La thrombocytose est une situation fréquente en pédiatrie, définie par un taux de plaquettes >= 500G/L. Le plus souvent secondaire (ou réactionnelle) à une situation clinique facilement identifiable, la thrombocytose peut être primitive (il s’agit alors d’une maladie hématologique) et être révélée par une complication, ou risquer d’exposer l’enfant ou l’adolescent à une complication sévère. L’objectif de ce pas à pas est d’aider le pédiatre à identifier rapidement dans quel cadre nosologique se situe la thrombocytose et dans quelles circonstances un avis spécialisé est urgent.

Conduite à tenir

Premiers éléments d’orientation

(1) Chez l’enfant et l’adolescent, le chiffre normal de plaquettes est compris entre 150 et 450 G/L. On parle de thrombocytoses mineures (plaquettes >= 500G/L, < 700 G/L), modérées (>= 700G/L, < 900 G/L), sévères (>= 900G/L, < 1000 G/L) ou extrêmes (>= 1000 G/L). Un taux de plaquettes > 1500 G/L entraîne une situation d’hyperviscosité qui doit conduire à prendre un avis hématologique en urgence.

(2) Les complications de type thrombotique (typiquement syndrome de Budd-Chiari, qui correspond à une thrombose des veines sus-hépatiques) ou de type hémorragique orientent d’emblée vers une forme primitive de thrombocytose. Le risque hémorragique s’observe surtout lors des thrombocytoses extrêmes > 1 500 G/L ; il serait lié à un état d’activation plaquettaire différent et à la forte incidence des maladies de von Willebrand acquises dans les thrombocytoses primitives.

(3) La splénomégalie, lorsqu’elle est présente, oriente vers un syndrome myéloprolifératif évoquant une thrombocytose primitive.

Contexte évocateur de thrombocytose secondaire

(4) Les thrombocytoses secondaires (ou réactionnelles) surviennent généralement dans un contexte clinique facilement identifiable. Elles concernent plutôt les enfants de la première décennie (surtout avant l’âge de 2 ans), durent quelques semaines à quelques mois, n’entraînent pas de complications de types thromboses ou hémorragies, sont majoritairement < 900 G/L et sont progressivement décroissantes lors des contrôles ultérieurs.

(5) La présence d’une anémie microcytaire doit conduire à un bilan martial, documentant une carence martiale, qui est la première cause hématologique de thrombocytose.
Toute situation infectieuse (virale, bactérienne, parasitaire, fongique) et toute situation chirurgicale peuvent être suivies d’une thrombo cytose. Une thrombocytose réactionnelle est classique après splénectomie. Toute situation d’hyperactivité médullaire (hémorragie aiguë, sortie d’aplasie, etc.) peut être associée à une thrombo cytose « d’entraînement », de même que toute situation inflammatoire non infectieuse (connectivites, maladies inflammatoires du tube digestif, anémie hémolytique, maladie de Kawasaki, etc.). Certains cancers pédiatriques ou encore certains médicaments (en particulier, les corticoïdes) peuvent entraîner une élévation du taux de plaquettes. Ainsi, les thrombocytoses secondaires sont fréquentes, mais peuvent donc révéler des pathologies diverses, parfois graves. L’interrogatoire et l’examen clinique doivent être rigoureux. Les explorations biologiques de 1re intention en cas de thrombocytose de découverte fortuite comprendront un bilan martial, un dosage de la C-reactive protein (CRP) et la vitesse de sédimentation.

(6) La surveillance est clinique et biologique (hémogramme). Un suivi précoce est recommandé lorsque les plaquettes sont >= 1000 G/L, même si l'étiologie est identifiée

(7) En cas de persistance d’une thrombocytose lors du suivi, une échographie abdominale recherchera une hypoplasie splénique ou une asplénie, contexte rare qui peut induire une thrombocytose. Un hémogramme est réalisé chez les parents pour rechercher une thrombocytose primitive congénitale.

Orientation vers une thrombocytose primitive

(8) Les thrombocytoses primitives sont de deux types, soit congénitale (mutation constitutionnelle du gène thyroperoxydase (TPO) ou du gène MPL qui code pour son récepteur), soit acquise (mutation somatique MPL W515L ou JAK2 V617F ou de l’exon 9 du gène calréticuline [CALR]). Elles concernent plutôt les enfants de la deuxième décennie (>= 10 ans) et sont plus souvent associées à des thrombocytoses extrêmes, qui persistent sur les hémogrammes ultérieurs. Il n’existe pas de contexte évoquant une cause réactionnelle et elles peuvent être révélées par une complication (hémorragique ou thrombotique).

(9) Il existe au moins un service spécialisé d’hématologie pédiatrique dans chaque centre hospitalier universitaire. La plupart des services organisent une astreinte téléphonique qui peut être sollicitée pour les avis urgents, en particulier dans les situations de thrombocytoses extrêmes et/ou en cas de suspicion de thrombocytose primitive.

(10) Le bilan étiologique sera réalisé en milieu spécialisé.

(11) La thrombocytémie essentielle est un syndrome myéloprolifératif rare en pédiatrie, défini par la présence des 4 critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 2016 : augmentation persistante des plaquettes > 450 G/L ; biopsie médullaire avec prolifération surtout de la lignée mégacaryocytaire ; absence des critères OMS pour les maladies suivantes : maladie de Vaquez, leucémie myéloïde chronique (LMC, diagnostic exclu par la négativité de la recherche du transcrit BCR-ABL1), myélofibrose primitive, myélodysplasie ou autre néoplasie myéloïde ; présence d’une mutation JAK2, MPL ou CARL. En l’absence de mutation, une cause réactionnelle de thrombocytose doit être éliminée.

(12) Il existe d’autres causes acquises rares de thrombocytoses primitives, qui entrent soit dans le champ des autres syndromes myéloprolifératifs (dont la leucémie myéloïde chronique), soit dans celui des syndromes myélodysplasiques.

(13) La mise en route d’un traitement spécifique (médicament cyto-réducteur visant à diminuer le taux de plaquettes) et/ou d’un traitement préventif de type antiagrégant plaquettaire prend en compte l’âge du patient, le taux de plaquettes, les mutations éventuellement identifiées et les complications révélant parfois le diagnostic. En aucun cas, l’une ou l’autre de ces deux thérapeutiques ne doit être mise en route sans avis spécialisé. Les antiagrégants plaquettaires peuvent majorer le risque hémorragique dans les situations de thrombocytoses primitives extrêmes.

Conclusion

• La thrombocytose est une situation fréquente en pédiatrie. Elle est le plus souvent non symptomatique et secondaire à un contexte clinique inflammatoire, qui a conduit à la réalisation d’un hémogramme.
• Lorsqu’elle est extrême (> 1 000 G/L), sans contexte étiologique identifié, ou qu’il existe une splénomégalie, une complication thrombotique ou hémorragique, une forme primitive est à craindre. Un avis spécialisé est nécessaire.
• La prescription des antiagrégants plaquettaires chez l’enfant n’est pas recommandée, hormis certaines situations rares qui doivent faire l’objet d’une validation par un avis spécialisé.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

Références

Sutor AH. Thrombocytosis in childhood. Semin Thromb Hemost 1995;21(3):330-9.

Dame C, Sutor AH. Primary and secondary thrombocytosis in childhood; Br J Haematol 2005;129(2):165-77.

Harrison CN, Bareford D, Butt N, Campbell P, Conneally E, Drummond M, et al.; British Committee for Standards in Haematology. Guideline for investigation and management of adults and children presenting with a thrombocytosis. Br J Haematol 2010;149(3):352-75.