Vous êtes ici


Thématique:

Date de mise à jour 30/07/2019

Enfant trop souvent fébrile

 

E. Jeziorski*

Service de pédiatrie générale, CeRéMAIA, CHU de Montpellier, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : e-jeziorski@chu-montpellier.fr (E. Jeziorski).
 

Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
 
 
Article validé par :

SFP (Société Française de Pédiatrie)

CeRéMAIA (Centre national de Référence dédié aux Maladies Auto-Inflammatoires rares et des Amyloses)

GPIP (Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique)

Introduction

L’enfant « trop souvent fébrile » est un motif fréquent de consultation. Sa prise en charge reste néanmoins complexe car le clinicien sera susceptible d’évoquer des pathologies rares parmi des pathologies banales et peu spécifiques. Ce document propose une démarche diagnostique et les explorations à effectuer en fonction des présentations cliniques les plus fréquentes.

Conduite à tenir face à des fièvres répétées

(1) L’interrogatoire est essentiel dans la démarche diagnostique et doit être particulièrement complet. On s’appliquera à faire décrire aux parents les différents épisodes de fièvre de leur enfant : fréquence, tolérance, symptômes associés (notamment respiratoires et parfois digestifs), diagnostics évoqués, traitements entrepris et leur efficacité, durée, évolution. Les éléments du carnet de santé et les documents médicaux et comptes rendus d’examens de l’enfant doivent être examinés. Les antécédents familiaux et personnels (particulièrement de fièvre à répétition, de déficit immunitaire, de maladies inflammatoires, etc.) doivent être recueillis, ainsi que la notion d’une éventuelle consanguinité et les origines ethniques, avec la réalisation d’un arbre généalogique. Des facteurs de risque de tuberculose, un voyage récent en zone tropicale, doivent être recherchés. Le nombre d’enfants au foyer et le mode de garde sont à connaître. Les courbes de croissance staturo-pondérale et un examen clinique exhaustif et minutieux complètent l’anamnèse.

(2) Les causes de fièvres répétées sont multiples. S’il existe un élément anamnestique ou clinique qui oriente le clinicien vers une maladie auto-immune, une maladie inflammatoire du tube digestif, une pathologie infectieuse spécifique, etc., ou une cassure de la courbe de croissance, alors un avis spécialisé est nécessaire.

(3) Les déficits immunitaires héréditaires peuvent être responsables d’infections répétées. Le Centre de référence des déficits immunitaires héréditaires (CEREDIH) recommande d’effectuer un bilan immunitaire en présence des signes d’alerte suivants : infections récidivantes des voies respiratoires hautes et basses (plus de 8 otites/an pendant l’automne et l’hiver chez les enfants de moins de 4 ans et plus de 4 otites/an chez les enfants de plus de 4 ans ; plus de 2 pneumonies/an en l’absence d’asthme ; plus de 2 sinusites/an) ; infections sévères avec des germes encapsulés de type pneumocoque, Hæmophilus influenzae, Neisseria (un seul épisode de méningite ou sepsis sévère doit être exploré) ; infections à bactéries pyogènes récurrentes (cutanées ou invasives) ; infections récidivantes avec le même type de pathogène ; infections inhabituelles et/ou d’évolution inhabituelle (infection par un germe opportuniste, diarrhée infectieuse persistante, muguet ou candidose cutanée récidivante) ; cassure de la courbe staturo-pondérale ; autres signes d’auto-immunité (par exemple, cytopénie auto-immune) ; inflammation chronique ou lympho-prolifération (adénopathies supra-centimétriques et hépato splénomégalie) ; antécédents familiaux de déficit immunitaire ou des mêmes signes cliniques.
Cependant, si une infection bactérienne grave ou la répétition des infections bactériennes doit faire évoquer un déficit immunitaire, il faut cependant souligner les médiocres sensibilités et spécificités de la répétition des infections respiratoires hautes (otite moyenne aiguë, rhinopharyngite, laryngite, angine) ou basses (bronchiolite, bronchite) dans le repérage des déficits immunitaires chez le jeune enfant. Dans ces situations d’infections ORL répétées et non compliquées, il n’est pas utile de faire un bilan immunitaire. Le bilan de débrouillage de déficit immunitaire peut être réalisé en ville : une numération formule sanguine avec formule leucocytaire, un dosage pondéral des immunoglobulines (Ig) (IgG, IgA et IgM) et des sérologies vaccinales. La formule leucocytaire, à interpréter en valeur absolue, recherche une neutropénie ou une lymphopénie. La lymphocytose varie en fonction de l’âge de l’enfant. Une neutropénie < 500/mm³ peut être responsable d’infections et une neutropénie cyclique doit alors être recherchée par plusieurs hémogrammes successifs hebdomadaires. Les sérologies vaccinales permettent d’évaluer la production d’anticorps antiprotidiques (antitétanique, antidiphtérique, antipolio) ou antipolysaccharidiques (antipneumocoque). Ces sérologies doivent être interprétées en fonction des dates de vaccinations de l’enfant ; seule la sérologie tétanos est remboursée par la Sécurité sociale.
Au terme de cette enquête, en cas de doute, une consultation spécialisée est indispensable auprès d’un centre de référence ou de compétences du CEREDIH afin de décider de la poursuite des explorations.

(4) En l’absence d’alerte en faveur d’un déficit immunitaire et en l’absence de retentissement sur l’état général et sur la croissance staturo-pondérale de l’enfant lors de la première consultation, une surveillance simple est conseillée pour juger de l’évolution. Si la répétition de ces épisodes fébriles perdure (évolution supérieure à 6 mois), une réévaluation sera nécessaire avec analyse de la courbe de croissance et recherche de points d’appel spécifiques. Le clinicien devra classer le type de fièvre :
Les fièvres récurrentes (4a) sont définies par des épisodes successifs de fièvre (> 38,8 °C) nue ou accompagnée d’une symptomatologie stéréotypée, de durée spontanément limitée dans le temps, entrecoupée de période d’apyrexie et se reproduisant pendant des mois ou années. Le rythme des épisodes dans le temps permet de définir le caractère périodique ou non. Un bilan de 1re intention est indispensable, comprenant un bilan inflammatoire (numération de la formule sanguine [NFS]-Plaquettes, C-reactive protein [CRP]) pendant et en dehors d’un épisode fébrile.
Les fièvres récidivantes ou intermittentes (4b) sont caractérisées par des épisodes fébriles répétés non stéréotypés et sans périodicité.

(5) Ces fièvres répétées sont, le plus fréquemment, secondaires à la succession de viroses indépendantes. Les épisodes de fièvre sont principalement hivernaux, hétérogènes (succession de bronchites, de rhinopharyngites, d’angines, d’otites moyennes aiguës, etc.). Ils débutent peu après la mise en collectivité. Ils ne s’associent pas à une cassure staturo-pondérale et leur évolution est spontanément favorable.

(6) La carence martiale est très fréquente chez l’enfant et elle est associée pour certains auteurs à un surrisque infectieux. Le dépistage d’une carence (dosage en intercritique de la ferritine) et sa prise en charge sont utiles. Il n’est en revanche pas indiqué de supplémenter en fer en l’absence de carence.

(7) Les syndromes auto-inflammatoires sont caractérisés par une inflammation clinique et biologique sans cause infectieuse retrouvée et se traduisent souvent par des poussées fébriles récurrentes associées à des atteintes d’organe. D’où l’intérêt d’une description clinique précise et de la mesure de marqueurs biologiques de l’inflammation pendant les accès de fièvre (dont la CRP).

(8) Le Periodic Fever, Aphtous Stomatitis, Pharyngitis and Cervical Adenitis (PFAPA) ou syndrome de Marshall est le syndrome auto-inflammatoire le plus fréquent. Il s’agit d’une maladie considérée comme multifactorielle à ce jour. Le tableau clinique consiste en des fièvres récurrentes ayant débuté souvent avant l’âge de 6 ans, périodiques car espacées d’un intervalle régulier de 3 à 6 semaines. La durée médiane de la fièvre est en général de 3 à 7 jours avec des températures pouvant être > 40 °C. Ces fièvres sont associées à une pharyngite ou une amygdalite érythémateuse ou érythémato-pultacée, des adénopathies cervicales, plus rarement des aphtes buccaux. Les autres signes associés ne sont pas spécifiques et témoignent du syndrome inflammatoire (douleurs abdominales habituellement périombilicales, arthromyalgies sans arthrite, céphalées), à des fréquences variables. Le syndrome inflammatoire biologique lors des poussées peut être très important. Pour certains auteurs, la réponse immédiate à une dose unique de corticoïdes peut être un élément en faveur du diagnostic. Entre les épisodes, les enfants sont asymptomatiques et sans syndrome inflammatoire. La croissance staturo-pondérale est normale.
Pour pouvoir retenir le diagnostic de PFAPA, et après s’être assuré qu’il existe un syndrome inflammatoire spontanément résolutif pendant les épisodes de fièvre et que l’enfant est en parfait état général en dehors des accès avec une croissance staturo-pondérale normale, le patient doit remplir 7 des 8 critères cliniques suivants (si ce n’est pas le cas, un avis spécialisé s’impose) : durée des épisodes de fièvre entre 3 et 6 jours ; présence d’une pharyngite/angine à test de diagnostic rapide (TDR) de streptocoque A négatif pendant les épisodes ; présence d’adénopathies cervicales pendant les épisodes ; périodicité des épisodes ; absence de diarrhée, de douleurs thoraciques, d’éruption cutanée ou d’arthrite pendant les épisodes.

(9) Pendant les accès de PFAPA, la réponse au paracétamol est généralement modeste ; il est administré à la dose de 15 mg/kg/6 h sans dépasser la posologie maximale de 1 g/6 h. L’anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) le plus fréquemment utilisé est l’ibuprofène, il est souvent nécessaire de renouveler la prise toutes les 6 à 8 heures. La dose recommandée est de 20 à 30 mg/kg/j, sans dépasser 1 200 mg/j. La corticothérapie est efficace dans la gestion de l’accès mais expose au risque de rapprocher l’accès suivant (dans 20 à 40 % des cas selon les séries) et elle ne sera proposée qu’en cas de non-efficacité des AINS et limitée aux épisodes qui « tombent mal » (anniversaire, voyage, etc.) et doivent être évités. Elle est administrée à la dose unique de 1 mg/kg d’équivalent prednisone dans les 12 premières heures du début de l’accès et permet dans la majorité des cas une disparition en quelques heures de la fièvre.

(10) Les maladies auto-inflammatoires monogéniques sont l’un des diagnostics différentiels du PFAPA. Elles se distinguent par l’absence de périodicité de la fièvre, par la durée de la fièvre (>= 5 jours ou < 3 jours) et les signes associés non typiques du PFAPA. L’interrogatoire est essentiel, notamment afin de rechercher des antécédents familiaux et réaliser un arbre généalogique. Il existe un nombre important de maladies monogéniques inflammatoires, toutes très rares.
Parmi elles, la fièvre méditerranéenne familiale (FMF) est la plus connue et la plus fréquente. Il faudra l’évoquer en cas d’antécédents familiaux et surtout d’une origine géographique/ethnique à risque (arménienne, turque, juive séfarade ou maghrébine), de début des manifestations lors de la première décennie, de la présence lors des accès de douleurs des séreuses (douleurs abdominales, articulaires, thoraciques) ou de signes cutanés de type pseudo-érysipèle. Les épisodes durent typiquement 2 à 3 jours.

(11) La présence de 6 critères parmi les 8 suivants est fortement évocatrice du diagnostic de FMF : origine géographique/ethnique à risque ; durée des épisodes inflammatoires de 1-3 jours ; douleurs thoraciques ; douleurs abdominales ; arthrite pendant les épisodes ; absence d’aphtes ; absence d’urticaire (ou autre rash maculo-papuleux) ; absence d’adénopathies cervicales pendant les épisodes.
Si ces critères sont présents, la recherche de mutations génétiques en faveur de la FMF est demandée. Une fois le diagnostic confirmé, une consultation dans un centre spécialisé est recommandée. Si le diagnostic clinique demeure incertain et/ou si la génétique ne confirme pas le diagnostic, un avis spécialisé est également nécessaire.
Les autres causes de fièvre récurrente, dont le déficit partiel en mévalonate kinase caractérisé par une acidurie mévalonique lors des épisodes fébriles, et volontiers associé à des signes digestifs, sont rares. Les signes associés des autres maladies auto- inflammatoires sont multiples, on peut citer : l’urticaire, la surdité, une méningite, des signes inflammatoires digestifs, des arthralgies/arthrites, etc. En cas de présence de l’un de ces signes, d’un contexte familial, une consultation auprès d’un médecin issu d’un centre de référence ou de compétences du CeRéMAIA est nécessaire afin de décider des explorations opportunes.

Conclusion

Les fièvres « qui se répètent » sont fréquentes et, dans la majorité des cas, ne nécessitent aucune exploration. L’interrogatoire et la courbe de croissance sont les 2 outils qui permettent d’orienter vers un déficit immunitaire, un diagnostic de fièvre récurrente de type auto-inflammatoire ou toute autre pathologie de système, nécessitant alors des explorations orientées.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article.

Références

http://pap-pediatrie.fr/hematologie/evoquer-et-diagnostiquer-un-deficit-immunitaire-hereditaire 

de Pontual L. Fer et prédisposition aux infections. Arch Pediatr 2017;24:5S14-7.

Siegrist CA. Infections récidivantes de l’enfant : quel dépistage immunitaire ? Arch Pediatr 2001;8:205-10.

Georgin-Lavialle S, Rodrigues F, Hentgen V, Fayand A, Quartier P, Bader-Meunier B, et al. Panorama des maladies auto-inflammatoires. Rev Med Interne 2018;39(4):214-23.

Gattorno M, Hofer M, Federici S, Vanoni F, Bovis F, et al. Definitive classification criteria for autoinflammatory recurrent fevers, Ann Rheum Dis 2019, In press.