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Date de mise à jour 04/07/2022

Boiterie de l’enfant

 

R. Guedj*, J. Aroulandom, T. Lecarpentier, N. de Suremain

Service des Urgences pédiatriques, CHU Trousseau APHP, 26 Avenue du Dr Arnold Netter, 75012 Paris
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : romain.guedj@aphp.fr (R. Guedj).
 

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Article validé par :

SFP (Société Française de Pédiatrie)

GFRUP (Groupe Francophone de Réanimation et Urgences Pédiatriques)

SOFREMIP (SOciété FRancophone dédiée à l’Etude des Maladies Inflammatoires Pédiatriques).

 

Introduction

Une boiterie se définit par une anomalie de la marche. Elle peut être d’origine traumatique, infectieuse, néoplasique, inflammatoire, congénitale ou neuromusculaire. L’orientation diagnostique se fait sur l’histoire clinique, l’examen physique et l’âge de l’enfant. L’impotence fonctionnelle peut être très variable, orientant la démarche diagnostique et les examens complémentaires. Les infections et les affections malignes doivent rester la hantise du clinicien.

Conduite à tenir face à une boiterie

(1) La boiterie est, dans la grande majorité des cas, secondaire à une douleur lors de l’appui sur le membre inférieur (boiterie d’esquive). Dans cette situation, la démarche diagnostique est essentiellement anamnestique et clinique. Les informations essentielles sont :
l’âge de l’enfant ;
la température corporelle ;
• le caractère aigu ou ancien, et l’horaire de la boiterie : mécanique (rythmée par l’effort) ou inflammatoire (douleurs nocturnes, prédominance matinale – dérouillage –, non rythmée par l’effort, voire s’améliorant au cours de l’effort) ;
• l’existence d’une infection virale récente ou d’un traumatisme. Attention à ne pas rapporter trop facilement la boiterie à un traumatisme bénin, et ainsi entraîner une errance diagnostique ;
• les caractéristiques et l’intensité de la douleur ainsi que sa localisation, bien que non prédictive de la lésion causale. La présence de réveils nocturnes douloureux doit absolument orienter vers une étiologie inflammatoire ou tumorale : la présentation des leucémies aiguës de l’enfant peut être trompeuse car pseudo-rhumatismale, et une localisation osseuse (isolée ou associée à une arthralgie) doit la faire suspecter ;
• la prise de thérapeutiques et leur efficacité.

L’examen clinique doit être minutieux, complet d’un enfant dévêtu et pieds nus pour identifier la localisation de la boiterie, de la lésion causale et son mécanisme. Il doit systématiquement rechercher :
• une anomalie de la marche, de la statique pouvant déjà orienter l’examen ;
• une douleur à la mobilisation du rachis, du bassin, des sacroiliaques. La spondylodiscite est évoquée si refus de s’asseoir, ou marche avec hyperlordose ± une douleur à la palpation du rachis, une raideur rachidienne ou une douleur au changement de couche ;
• une limitation douloureuse des articulations des membres inférieurs et supérieurs (une atteinte de plusieurs articulations évoquant une pathologie inflammatoire). Examiner minutieusement chaque articulation et comparer les angles deux à deux. Devant une gonalgie, examiner systématiquement la hanche (douleur projetée) ;
• un épanchement articulaire, une rougeur ou une augmentation de la chaleur locale ;
• une douleur élective à la palpation des os évoquant une fracture sous périostée non déplacée ou une ostéomyélite ;
• une anomalie de l’examen cutané (cellulite, corps étranger au niveau de la plante des pieds) ;
• une douleur à la palpation des masses musculaires (évoquant une myosite), une amyotrophie ou une rétraction articulaire (pied varus équin) ;
• une diminution ou abolition des réflexes ostéo-articulaires des membres inférieurs, pouvant révéler un syndrome de Guillain-Barré ; des signes de compression médullaire ;
• une altération de l’état général et/ou un syndrome tumoral évoquant une hémopathie ; une tuméfaction évoquant une tumeur osseuse ;
• une anomalie de l’examen de l’abdomen et des orifices herniaires, dans l’hypothèse notamment d’une boiterie due à un psoïtis ;
• chez l’adolescent une surcharge pondérale (calcul de l’indice de masse corporelle [IMC]).

Il arrive parfois chez le jeune enfant que l’examen clinique ne soit pas contributif et ne permette pas de localiser spécifiquement la douleur. Il faudra répéter l’examen clinique à distance.

Les causes infectieuses sont à éliminer en urgence à tout âge.

La recherche d’éléments anamnestiques (infection récente), de signes cliniques et paracliniques en faveur d’une infection est essentielle. La prise de température doit être systématique et répétée à la recherche d’une fièvre (bien qu’inconstante). En cas de suspicion clinique, le bilan sanguin (numération formule sanguine [NFS], C-reactive protein [CRP] ± vitesse de sédimentation [VS], hémoculture) est systématique avec une radiographie et une échographie centrée sur le segment douloureux.

S’il existe des arguments cliniques et/ou biologiques forts en faveur d’une infection (épanchement souvent monoarticulaire, fièvre, frissons et/ou syndrome inflammatoire biologique, même modéré), la réalisation de prélèvements locaux (ponction articulaire au bloc opératoire pour cultures et Polymerase Chain Reaction [PCR] 16S/Kingella kingae) est impérative et suivie d’une antibiothérapie probabiliste, adaptée secondairement aux résultats microbiologiques. Le bilan sera ensuite complété d’une scintigraphie osseuse (en l’absence de symptômes typiques) ou d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) centrée sur les signes focaux.

En cas de bilan négatif ou de doute, s’abstenir de tout traitement et revoir l’enfant dans les 2 jours. Même en l’absence de fièvre, la persistance des symptômes après 5 jours doit conduire à des explorations complémentaires : NFS, CRP, scintigraphie osseuse ou IRM, voire bilan d’hémostase. Un avis spécialisé est alors nécessaire.

(2) Le diagnostic, exceptionnel après l’acquisition de la marche, d’une luxation congénitale de hanche, doit être évoqué devant une boiterie d’équilibration. Cette boiterie peut, plus rarement, être une adaptation à une perturbation de l’activité musculaire d’origine neuromusculaire ou ostéo-articulaire, être secondaire à une inégalité de longueur des membres de plus de 3 cm ou un défaut dynamique de la marche.

(3) Enfant de moins de 3 ans – Hanche limitée et douloureuse L’arthrite de hanche est le principal diagnostic à éliminer en urgence. Le traitement précoce diminue les complications (septiques) et les séquelles (ostéo-articulaires). Toute limitation aiguë de la hanche avant 3 ans nécessite la réalisation d’un bilan : NFS, CRP ± VS, hémoculture, et radiographies (pouvant être initialement normales). L’échographie est utile pour rechercher et quantifier un épanchement bien que l’examen clinique reste plus sensible. La fièvre tout comme le syndrome inflammatoire biologique peuvent être absents initialement. C’est une urgence thérapeutique qui nécessite une ponction articulaire sous anesthésie générale avant toute antibiothérapie (sauf si patient septique). Ne pas retenir le diagnostic de rhume de hanche sans un avis spécialisé à cet âge.

(4) Enfant de moins de 3 ans – Autre atteinte ou examen clinique non contributif

L’examen clinique oriente généralement la suite de la prise en charge.
• Les diagnostics les plus fréquents sont une contusion ou un traumatisme bénin passé inaperçu (fracture spiroïde en cheveu par simple torsion) et les causes mécaniques (chaussures inadaptées, corps étranger plantaire, ongle incarné, etc.). L’enfant est apyrétique, sans altération de l’état général avec une impotence fonctionnelle non majeure.
• En l’absence d’orientation diagnostique et en cas d’impotence fonctionnelle mineure, on peut ne pas réaliser d’examen complémentaire sous réserve d’une surveillance bien comprise par les parents. La résolution des signes doit se faire dans les 5 jours. Si la douleur persiste plus de 5 jours, ou la boiterie s’aggrave ou une fièvre apparaît, le diagnostic doit être remis en question (NFS, CRP, radiographie ± autres explorations).
• Une boiterie d’installation récente et « nette » justifie toujours un bilan paraclinique : NFS, CRP, radiographie centrée sur la zone douloureuse ou de l’ensemble du membre inférieur.
• Le diagnostic de fracture sans traumatisme évident doit faire suspecter une maltraitance (ex. : fracture diaphysaire chez un enfant qui ne marche pas encore).

(5) Enfant âgé de 3 à 9 ans – Hanche limitée et douloureuse

Le diagnostic de synovite aiguë transitoire, diagnostic d’exclusion, est le plus fréquent. Il nécessite d’éliminer :
• une arthrite septique (bien que plus rare à ces âges), évoquée devant de la fièvre, une limitation importante de la hanche et/ou un syndrome inflammatoire biologique ;
• une ostéochondrite primitive de hanche (maladie de Legg-Perthes-Calvé) dont le diagnostic repose sur une ostéolyse sous-chondrale puis condensation épiphysaire sur la radiographie du bassin de face et incidence de Lowenstein.

Le diagnostic de synovite peut être posé devant une limitation articulaire modérée de la hanche non ou peu fébrile sans autre anomalie clinique avec une radiographie normale et l’absence de syndrome inflammatoire biologique. L’échographie peut confirmer la présence d’un épanchement (si épanchement confirmé puis amélioration clinique, l’échographie de contrôle n’est pas nécessaire). Le traitement est symptomatique (antalgique ± anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS]). L’apparition d’une fièvre, la majoration de la douleur ou la persistance plus de 10 jours doivent remettre en cause le diagnostic. Ainsi, l’enfant doit être revu à J10, le diagnostic étant rétrospectif. Une radiographie de contrôle doit être réalisée 4 à 6 semaines plus tard pour s’assurer de l’absence d’ostéochondrite primitive.

(6) Enfant âgé de 3 à 9 ans – Autre atteinte ou examen clinique non contributif

L’examen clinique oriente généralement la suite de la prise en charge. Ne pas retenir les diagnostics improbables de tendinite ou douleur de croissance.

(7) Enfant âgé de 10 ans et plus – Hanche limitée et douloureuse

L’urgence diagnostique méconnue à éliminer devant toute douleur de hanche de l’adolescent est l’épiphysiolyse fémorale supérieure. Dès la suspicion, il faut mettre en décharge le membre afin d’éviter une aggravation brutale. Le diagnostic se fait sur les radiographies de bassin de face et surtout hanche de profil.

Le diagnostic d’ostéochondrite primitive de hanche et d’arthrite septique est exceptionnel.

Le diagnostic le plus fréquent est l’apophysite de croissance avec fracture/arrachement apophysaire dont le diagnostic est radiologique.

(8) Enfant âgé de 10 ans et plus – Autre atteinte ou examen clinique non contributif

L’examen clinique oriente généralement la suite de la prise en charge.

Les ostéochondroses regroupent les apophysites, les épiphysites et les ostéochondrites. Ce sont des lésions secondaires à des microtraumatismes répétés sur une zone particulière, osseuse et/ou cartilagineuse, touchant le jeune enfant et l’adolescent plutôt sportif. Cliniquement, elles se manifestent par une douleur mécanique aggravée par les efforts sportifs, et soulagée par le repos. L’examen clinique retrouve un point douloureux à la palpation. La radiographie peut être normale. Le traitement de base est le repos sportif.

(9) À évoquer dans un second temps selon l’anamnèse et évolution

Les arthrites juvéniles idiopathiques (AJI) sont un groupe de maladies défini par une ou des arthrites inflammatoires d’étiologie indéterminée évoluant depuis plus de 6 semaines chez l’enfant de moins de 16 ans. Leur présentation initiale est particulièrement trompeuse car la maladie évolue le plus souvent par poussées entrecoupées de rémissions spontanées. La présentation clinique peut être mono- ou polyarticulaire, fébrile ou apyrétique, douloureuse ou non, strictement articulaire ou associée à d’autres symptômes tels qu’une uvéite antérieure non granulomateuse (sans accès d’oeil rouge), une éruption cutanée ou des sérites. Les antécédents familiaux de maladie inflammatoire sont le plus souvent absents. L’absence de syndrome inflammatoire n’élimine pas ce diagnostic. Afin de limiter l’errance diagnostique dont les conséquences sont graves sur le pronostic articulaire et ophtalmologique à long terme, un avis rhumatologique pédiatrique doit être sollicité devant toute boiterie d’étiologie indéterminée et a fortiori si elle évolue depuis quelques semaines ; et un examen ophtalmologique avec lampe à fente doit être systématiquement proposé dans l’intervalle, à la recherche d’une uvéite à oeil blanc.

L’hémophilie et les autres troubles de l’hémostase engendrant des hémarthroses sont des diagnostics différentiels à ne pas méconnaître.

Conclusion
• Un examen clinique minutieux et complet est toujours nécessaire afin de pouvoir orienter les hypothèses diagnostiques devant une boiterie de l’enfant.
• La mesure de la température doit être systématique, et une infection ostéo-articulaire doit toujours être évoquée, surtout devant une monoarthrite.
• Des douleurs osseuses ou insomniantes doivent faire évoquer une origine tumorale (hémopathie maligne).
• En cas de bilan clinique ± paraclinique négatif, s’abstenir de tout traitement et revoir l’enfant dans les 2 jours. La persistance des symptômes après 5 jours doit entraîner la réalisation d’explorations complémentaires : NFS, CRP, radiographies et échographie si non faites initialement, et scintigraphie osseuse (en l’absence de symptômes typiques) ou IRM (centrée sur les signes focaux) en 2e intention.
• Le rhume de hanche est un diagnostic d’élimination. Ne l’évoquer avant l’âge de 3 ans qu’après un avis spécialisé. L’évolution favorable sous traitement symptomatique permet de confirmer le diagnostic.
• Toute boiterie de hanche chez l’adolescent doit être considérée comme une épiphysiolyse : la hanche doit être mise en décharge jusqu’à confirmation ou exclusion de ce diagnostic.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

Références

Bartoloni A, Aparisi Gómez MP, Cirillo M, Allen G, Battista G, Guglielmi G, et al. Imaging of the limping child. Eur J Radiol 2018;109:155‑70.

O’Dowd D, Fernandes JA. The Limping Child – What a Pediatrician Should Know? Indian J Pediatr 2016;83(11):1259‑65.

Naranje S, Kelly DM, Sawyer JR. A Systematic Approach to the Evaluation of a Limping Child. Am Fam Physician 2015;92(10):908‑16.