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Rectorragies du nouveau-né à terme
P. Tounian*, A. Lemoine
Service de Nutrition et Gastroentérologie pédiatriques, CHU Trousseau APHP, 26 Avenue du Dr Arnold Netter, 75012 Paris *Auteur correspondant - Adresse e-mail : p.tounian@aphp.fr (P. Tounian). Cliquez sur l'image pour l'agrandir.Article validé par : | |
SFP (Société Française de Pédiatrie) GFHGNP (Groupe Francophone d’Hépatologie-Gastroentérologie et Nutrition Pédiatriques). |
Introduction
La survenue de rectorragies chez un nouveau-né génère souvent beaucoup d’inquiétude pour les parents mais également pour le médecin. Si elles peuvent, rarement, révéler des pathologies sévères engageant le pronostic vital, elles sont le plus souvent la traduction de situations bénignes. L’allergie aux protéines du lait de vache (PLV) est le diagnostic le plus fréquemment évoqué, bien qu’il ne soit pas en cause dans la majorité des cas. Nous traiterons ici uniquement les rectorragies survenant chez un nouveau-né à terme, en distinguant ceux exclusivement allaités et ceux recevant des PLV (lait infantile exclusif ou allaitement mixte).
Rectorragies chez un nouveau-né exclusivement allaité
(1) Un examen clinique minutieux recherchera une fissure anale, des érosions péri-anales, une entérocolite ulcéronécrosante, un volvulus, mais également des crevasses chez la mère. L’interrogatoire vérifiera la supplémentation correcte de l’enfant en vitamine K. Si l’examen clinique est normal, une coproculture pourra être réalisée. La mise en évidence d’une bactérie pathogène pourra justifier une antibiothérapie selon les recommandations citées en référence. Lorsque toutes les causes précédentes auront été écartées, en l’absence d’autres signes associés ( diarrhée, vomissements, perte de poids, altération de l’état général) et si les rectorragies ne sont pas abondantes (filets de sang dans les selles), et dans l’attente des résultats de la coproculture, aucune mesure particulière ne sera effectuée pendant 4 jours.
(2) Si les rectorragies disparaissent dans les 4 jours, le diagnostic de colite néonatale transitoire sera retenu. Il s’agit d’une entité mal définie dont les constatations endoscopiques et histologiques sont identiques à celles des proctocolites allergiques aux PLV, mais la recto-sigmoïdoscopie est inutile dans cette situation. Une telle évolution est observée dans environ 20 % des cas.
(3) Si les rectorragies persistent au-delà de 4 jours, une exclusion des PLV et des autres laits de mammifères chez la mère sera prescrite. Dans une étude portant sur 95 nouveau-nés ayant des rectorragies sous lait de mère, l’exclusion des PLV permettait leur disparition dans près de deux tiers des cas. La mère sera supplémentée en calcium (1 g/j) pour compenser l’absence de produits laitiers dans son alimentation.
(4) Si les rectorragies disparaissent après exclusion des PLV chez la mère (habituellement en 3 à 15 jours), une réintroduction des PLV chez la mère sera tentée 4 semaines plus tard.
• Si les rectorragies récidivent, la mère reprendra un régime excluant les PLV jusqu’au sevrage de l’allaitement. Ce dernier se fera avec un hydrolysat extensif de PLV, suivi après 2 à 4 semaines d’un test de réintroduction des PLV.
• Si les rectorragies ne récidivent pas, le diagnostic de colite néonatale transitoire sera retenu. Le sevrage de l’allaitement se fera avec des PLV entières au domicile.
(5) Si les rectorragies persistent au-delà de 15 jours après l’exclusion des PLV, ces dernières seront réintroduites dans l’alimentation de la mère. Certains tentent une exclusion de l’oeuf chez la mère qui permet parfois la résolution des saignements. Compte tenu de la bénignité de la situation, il faudra rassurer la mère (pour ne pas provoquer d’arrêt intempestif de l’allaitement), éviter les exclusions alimentaires multiples et la faire patienter jusqu’au sevrage de l’allaitement qui permettra la guérison des rectorragies dans les 1 à 2 semaines qui suivent. Les rectorragies peuvent donc persister plusieurs mois si l’allaitement se prolonge, sans aggraver le pronostic ni remettre en cause le diagnostic. L’origine de ces rectorragies sous lait de mère n’est pas parfaitement connue. On évoque une allergie aux protéines ingérées par la mère et excrétées dans son lait ou une hyperplasie lymphoïde liée à la stimulation des follicules lymphoïdes intestinaux par le Transforming Growth Factor-β (TGF-β) contenu dans le lait de mère.
Rectorragies chez un nouveau-né recevant des PLV
(1) Un examen clinique minutieux recherchera une fissure anale, des érosions péri-anales, une entérocolite ulcéronécrosante, un volvulus. Si l’examen clinique est normal, une coproculture pourra être réalisée. La mise en évidence d’une bactérie pathogène pourra justifier une antibiothérapie selon les recommandations citées en référence. Lorsque toutes les causes précédentes auront été écartées, en l’absence d’autres signes associés ( diarrhée, vomissements, perte de poids, altération de l’état général) et si les rectorragies ne sont pas abondantes (filets de sang dans les selles), et dans l’attente des résultats de la coproculture, aucune mesure particulière ne sera effectuée pendant 4 jours.
(2) Si les rectorragies disparaissent dans les 4 jours, comme c’est le cas dans la majorité des situations, on posera le diagnostic de colite néonatale transitoire.
(3) Si les rectorragies persistent plus de 4 jours ou si elles sont d’emblée associées à d’autres symptômes (diarrhée, vomissements, perte de poids, altération de l’état général) ou abondantes, les PLV seront exclues de l’alimentation et remplacées par un hydrolysat extensif de PLV ou un hydrolysat partiel de protéines de riz.
(4) Si les rectorragies disparaissent,le diagnostic de proctocolite allergique aux PLV devra être confirmé ou infirmé par un test de provocation orale (TPO) au domicile réalisé 4 semaines après l’exclusion des PLV.
• Si les PLV sont tolérées, le diagnostic de proctocolite allergique aux PLV sera infirmé et le diagnostic de colite néonatale transitoire retenu. Cette entité pourrait ainsi être une allergie aux PLV de résolution rapide.
• Si les rectorragies ou d’autres signes évoquant une allergie aux PLV récidivent, le diagnostic de proctocolite allergique aux PLV sera confirmé. Un TPO pourra alors être effectué tous les 2 mois (en débutant au plus tôt à l’âge de 4 mois) car la tolérance aux PLV est acquise plus rapidement dans ces formes non IgE-médiées d’allergie aux PLV (données personnelles).
(5) Si les rectorragies persistent, l’attitude dépendra de l’alimentation de l’enfant.
• S’il n’est pas en allaitement mixte, l’hydrolysat extensif de protéines du lait de vache devra être remplacé par une préparation à base d’acides aminés.
• Si les rectorragies disparaissent, le diagnostic d’allergie aux hydrolysats de PLV sera retenu.
• Si les rectorragies persistent, l’enfant devra être confié à un service spécialisé pour rechercher des diagnostics plus rares (troubles de l’hémostase, déficit immunitaire, colites à début précoce, etc.). Cette situation constitue une des rares indications de la recto-sigmoïdoscopie.
• S’il est en allaitement mixte, les PLV seront réintroduites chez l’enfant et les rectorragies attribuées à l’allaitement qu’on encouragera à être poursuivi le plus longtemps possible après avoir rassuré la mère. Une exclusion des PLV chez la mère n’est pas nécessaire dans cette situation. Cependant, si les rectorragies sont abondantes ou accompagnées d’autres signes associés (diarrhée, vomissements, perte de poids, altération de l’état général), le diagnostic d’allergie aux hydrolysats de PLV devra être suspecté et l’hydrolysat sera remplacé par une préparation à base d’acides aminés.
Conclusion
Devant des rectorragies chez un nouveau-né, il est important de rassurer les parents après avoir éliminé les très rares causes sévères. Les rectorragies chez un nouveau-né exclusivement allaité disparaissent dans plus de la moitié des cas après exclusion des PLV chez la mère. Dans les autres situations, l’allaitement pourra être prolongé aussi longtemps que la mère le souhaitera, compte tenu de la bénignité de ces saignements qui ne risquent pas de déglobuliser l’enfant. Les rectorragies disparaîtront dans les 1 à 2 semaines suivant le sevrage. Les rectorragies chez un nouveau-né recevant des PLV ne sont pas dues dans la majorité des cas à une allergie aux PLV car elles cèdent spontanément ou ne récidivent pas lors du test de réintroduction diagnostique des PLV réalisé 4 semaines après leur exclusion. Le diagnostic de colite néonatale transitoire est alors retenu.
Liens d’intérêts
P. Tounian : Blédina, Capricaire, Mead Johnson, Nestlé, Novalac, Nutricia, Sodilac ; A. Lemoine : Mead Johnson, Novalac, Nutricia, Sodilac.
Références
Cohen R, Raymond J, Gendrel D. Antimicrobial treatment of diarrhea/acute gastroenteritis in children. Arch Pediatr 2017;24:S26-9.
Caubet JC, Szajewska H, Shamir R, Nowak-Wegrzyn A. Non IgE-mediated gastrointestinal food allergies in children. Pediatr Allergy Immunol 2017 ;28:6-17
Jang HJ, Kim AS, Hwang JB. The etiology of small and fresh rectal bleeding in not-sick neonates: should we initially suspect food protein-induced proctocolitis? Eur J Pediatr 2012;171:1845-9.
Lake AM. Food-induced eosinophilic proctocolitis. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2000;30:S58-60.
Elizur A, Cohen M, Goldberg MR, Rajuan N, Cohen A, Leshno M, et al. Infants labeled with cow’s milk-associated rectal bleeding: A population based prospective study. Pediatr Allergy Immunol 2012;23:765-9.