S. Hadjadj Aoul¹²³, E. Martin-Lebrun⁴
¹Service de Pédiatrie, CH Simone Veil, Vitré, France
²Consultation de neuropédiatrie, CHU Rennes, Rennes, France
³Coordonnation PCO TND 35
⁴Cabinet de Pédiatre, Marseille
Introduction
Les difficultés scolaires sont fréquemment sources d’inquiétude parentale et de souffrance psychologique chez l’enfant avec des risques d’anxiété et/ou de dépression, responsables du désinvestissement progressif de l’enfant pour les tâches scolaires (entre autres), avec risque de déficit d’apprentissage. Il est donc important de les identifier précocement afin d’y apporter une réponse adaptée.
La démarche diagnostique des difficultés scolaires de l’enfant s’est enrichie en 2017 des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur le parcours de santé concernant les troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA), également appelés communément troubles DYS, puis de la publication de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) sur les troubles spécifiques des apprentissages en 2019, de la mise en place de la stratégie de prise en charge des troubles du neurodéveloppement (TND) pour 2023-2027 et enfin des recommandations de la HAS sur la prise en charge du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) en 2014 puis actualisées en 2024.
Conduite à tenir devant des difficultés scolaires :
(1) Les difficultés scolaires résultent d’interactions dynamiques entre les aptitudes cognitives de l’enfant, son niveau de développement et son environnement familial et scolaire. Elles peuvent atteindre des champs de compétences variables d’un enfant à un autre et retentir sur plusieurs domaines chez un même enfant. En premier lieu et lorsque les difficultés débutent, l’enseignant propose des adaptations pédagogiques à l’enfant et à sa famille sans intervention médicale dans le cadre d’un PPRE (programme personnalisé de réussite éducative). Des difficultés scolaires prégnantes et durables, en l’absence de déficit sensoriel et de graves carences éducatives, s’inscrivent dans le cadre de troubles du neurodéveloppement qu’il est important de repérer et de diagnostiquer pour mettre en place les prises en charge et les aménagements pédagogiques adéquats.
(2) Le médecin de premier recours (généraliste ou pédiatre) réalise une analyse détaillée de la plainte à partir de l’interrogatoire de l’enfant, de ses parents et des informations transmises par le milieu scolaire (cahiers, bulletins). La lecture, l’orthographe, l’écriture et le calcul doivent être évalués. L’interrogatoire, qui peut s’appuyer sur le questionnaire préalable à la consultation Troubles des Apprentissages de l’AFPA ou sur la trame proposée par la HAS, recherche toutes les comorbidités (troubles du sommeil, troubles alimentaires, troubles somatiques, troubles anxieux...). Il évalue aussi l’usage des écrans dans la sphère familiale, l’environnement et les conditions de vie de l’enfant. Le médecin peut étayer son recueil d’observation par l’utilisation de questionnaires standardisés (exemple : questionnaire d’identification du trouble développemental de la coordination ou DCDQ-FE) devant un enfant maladroit, questionnaires du DSM V, de Conners ou SNAP IV chez un enfant hyperactif et/ou distractible, questionnaire M-CHAT autour du TSA…), ainsi que par l’usage de batteries standardisées d’évaluation des apprentissages (comme la batterie modulable de tests informatisée ou BMT-i).
Cette analyse anamnestique et clinique va permettre de cibler les difficultés qui peuvent concerner le langage oral, la lecture, le langage écrit, le graphisme, le calcul, l’utilisation du matériel scolaire (outils de géométrie) mais aussi l’attention, l’hyperactivité et l’impulsivité (pouvant être au premier plan chez les plus grands), la compréhension, la mémorisation, le repérage dans le temps et l’espace et les habiletés sociales. Les difficultés ont de fortes répercussions sur la trajectoire scolaire, l’estime de soi et parfois l’autonomie avec un caractère de durabilité mêmes si elles peuvent être fluctuantes. Les troubles attentionnels et les troubles des habiletés sociales peuvent prédominer dans un des champs de vie de l’enfant (exemple de l’enfant se « contenant » beaucoup en classe et explosant en fin de journée au domicile).
L’examen clinique comprend systématiquement un examen neurologique et cutané, les paramètres de croissance (poids, taille, périmètre crânien, en reconstituant les courbes) ainsi que les tests de dépistage visuel (acuité visuelle, recherche de strabisme) et auditif (audiométrie vocale et tonale). L’orientation vers un spécialiste ophtalmologue ou ORL est indispensable en cas de troubles visuels ou auditifs.
(3) En cas de régression développementale (stagnation ou perte d’acquis), l’enfant est orienté vers une consultation de neuropédiatrie en urgence selon les ressources locales. En cas de suspicion de maladie organique/métabolique, il est préconisé de réaliser un bilan thyroïdien, hépatique, rénal avec des CPK avant l’orientation vers un neuropédiatre. Si le trouble du neurodéveloppement parait sévère ou complexe (décalage global des acquisitions psychomotrices, difficultés importantes de compréhension, trouble de communication marqué et/ou intérêts très restreints, sévérité des troubles des apprentissages…), il est également conseillé d’orienter l’enfant vers un neuropédiatre ou un pédopsychiatre ou un pédiatre formé aux TND et/ou troubles des apprentissages, qui guidera les investigations les mieux indiquées.
Lorsque les difficultés scolaires sont récentes, l’hypothèse d’une cause environnementale doit être recherchée : tous les types de harcèlement (scolaire, réseaux sociaux…), l’abus des écrans et/ou de substances, les difficultés psychologiques réactionnelles (stress familial, séparation ou instabilité parentale…), la maltraitance et les carences éducatives. Une prise en charge spécifique doit être proposée en lien avec le médecin scolaire. En cas de carence éducative, une information préoccupante doit être transmise à la CRIP (cellule de recueil des informations préoccupantes) du département. Dans les cas de maltraitance, un signalement au procureur doit être fait avec la mise en place des mesures de protection.
Dans les autres cas, ces difficultés scolaires récentes s’inscrivent dans un trouble du neurodéveloppement révélé par la charge scolaire et/ou sociale croissante (exemples : enfant ayant un TDAH avec difficultés exécutives et un bon niveau de raisonnement intellectuel parvenant à des apprentissages de qualité en école élémentaire puis en difficulté au collège). En effet, dans ce cas, la probabilité d’un trouble du neurodéveloppement compensé est assez élevée.
(4) Quand les difficultés suggèrent un ou des troubles du neurodéveloppement, le médecin de premier recours demande des bilans complémentaires pour affiner ses hypothèses diagnostiques (cf. paragraphe 2).
(5) Dans le cas des difficultés en langage oral ou écrit, un bilan orthophonique devra être prescrit. En cas de difficultés en calcul, un bilan de la cognition mathématique (logico-mathématique) est nécessaire. Ces deux bilans peuvent être complémentaires. Si le bilan orthophonique met en évidence des troubles, ils peuvent être du langage oral (6), du langage écrit (dyslexie, dysorthographie), du calcul (dyscalculie) et/ou des troubles de la cognition mathématique (7). Une évaluation psychométrique par échelle de Wechsler (sauf si la sévérité du trouble du langage nécessite d’autres échelles) complétera ces bilans initiaux, de façon à affiner au plus précis les diagnostics fonctionnels de l’enfant. Dans certains cas et notamment en cas de trouble de la cognition mathématique, il peut être nécessaire de compléter les investigations par un bilan des fonctions attentionnelles et exécutives, voire une évaluation plus fine des praxies et des compétences visu spatiales, car toutes les fonctions cognitives sont sollicitées en mathématiques.
Une rééducation orthophonique doit se mettre en place (et/ou en ergothérapie, selon les ressources disponibles), ainsi que les aménagements pédagogiques nécessaires, c’est-à-dire ceux qui permettront à l’enfant d’apprendre en tenant compte de son trouble. Un recours à la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) peut être fait selon la sévérité des troubles et les besoins de l’enfant, en particulier la nécessité de compensation (exemple : humaine avec pertinence d’une AESH en classe, financière avec l’AEEH, accompagnement type SESSAD, orientation type ULIS, etc.) (8).
(9) Lorsque l’enfant présente des troubles de la coordination portant sur sa motricité globale ou fine (se traduisant souvent par une entrave au geste graphique et à la manipulation des outils scolaires en classe), un bilan en psychomotricité est indiqué chez le jeune enfant (avant 8-9 ans) et un bilan en ergothérapie chez l’enfant plus âgé. Selon la sévérité des troubles présentés, l’enfant est orienté vers un médecin de 2ème recours (10) qui peut être un pédiatre ou médecin généraliste formé aux troubles du neurodéveloppement, un neuropédiatre ou un pédopsychiatre (hospitalier, libéral), exerçant dans un centre médico-psychologique (CMP) ou un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) notamment. Ce médecin évaluera les compétences de l’enfant de façon plus précise et pourra compléter l’évaluation par un bilan psychométrique si nécessaire. Il proposera ensuite les prises en charges adaptées.
(11) Si un diagnostic de troubles du développement de la coordination (TDC) est retenu, une rééducation en psychomotricité et/ou en ergothérapie est proposée selon l’âge et les besoins de l’enfant. Les adaptations de l’environnement et la mise en place de certains outils (support informatique) peuvent nécessiter une décision de la MDPH (12).
(13) Au cours de la démarche diagnostique d’un enfant présentant un trouble du neurodéveloppement, le bilan psychologique avec évaluation psychométrique par les échelles de Wechsler (WISC V pour la tranche d’âge 6-16 ans) permet de préciser le fonctionnement cognitif de l’enfant. Il permet également de définir un quotient intellectuel (QI), test étalonné de 6 ans à 16 ans et 9 mois. Il évalue les compétences intellectuelles de l'enfant dans cinq domaines par l’indice de compréhension verbale (ICV), l’indice visuo-spatial (IVS), l’indice de raisonnement fluide (IRF), l’indice de mémoire de travail (IMT) et l’indice de vitesse de traitement (IVT). Il précise ainsi les ressources cognitives de l’enfant et ses difficultés. Cependant, c’est la synthèse médicale des éléments anamnestiques, cliniques et neuropsychologiques qui permet de poser les diagnostics.
(14) Jusqu’à 12 ans, s’il le juge nécessaire, le médecin peut orienter l’enfant vers la plateforme de coordination et d’orientation (PCO) de son département s’il observe des éléments en faveur d’un trouble du neurodéveloppement afin de financer les bilans à l’aide du forfait d’intervention précoce (FIP) qui donne une équité d’accès aux bilans d’ergothérapie, de psychomotricité ainsi qu’aux bilans neuropsychologiques adaptés et aux rééducations nécessaires. Elle permet aussi d’assurer la coordination des soins en lien avec le médecin et d’orienter les enfants vers des structures de 2ème ligne quand c’est nécessaire (CMP, CMPP) voire des structures de 3ème ligne, notamment pour les cas complexes (CRTLA, CRA, CRMR DI, etc.).
(15) Les résultats du WISC V sont dits homogènes lorsque l’ensemble des indices sont regroupés dans le même intervalle.
Si le QI est supérieur à 130, l’enfant présente un haut potentiel intellectuel (HPI), et THPI si QI supérieur à 145 (16). Ce fonctionnement intellectuel, qui peut être hétérogène, n’est pas un trouble, mais il est pertinent de sensibiliser l’enseignant pour la qualité des apprentissages et le bien-être de l’enfant. Si l’enfant présente des difficultés scolaires, il faut chercher attentivement un trouble du neurodéveloppement, parfois partiellement compensé par les ressources de l’enfant HPI. (17). Si le quotient intellectuel est homogène et inférieur à 70 (18), l’enfant est orienté vers le médecin de 2ème ligne devant une hypothèse de trouble du développement intellectuel (TDI).
Selon l’hypothèse diagnostique du trouble du neurodéveloppement et selon les comorbidités associées, le médecin de 2ème recours complète les bilans.
Un bilan neuropsychologique permet d’explorer les fonctions attentionnelles et exécutives et de mesurer l’impact de l’atteinte cognitive sur le comportement (19). Il vient compléter les observations anamnestiques et cliniques qui permettent de diagnostiquer un TDAH (20).
(21) La prise en charge du TDAH est multimodale (HAS 2014 et 2024). Elle associe selon les besoins : la psychoéducation, les adaptations pédagogiques en fonction de la sévérité du trouble dans le cadre d’un plan d’accueil personnalisé (PAP) validé par le médecin scolaire ou d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS) si le handicap est reconnu, un traitement médicamenteux stimulant de l’attention (actuellement en France seul le méthylphénidate (MPH) est disponible et commercialisé selon 4 présentations galéniques différentes), des thérapies cognitives et comportementales si nécessaire, un programme d’entrainement aux habiletés parentales (PEHP) selon le souhait des parents et les possibilités du terrain.
(22) Quand l’enfant présente des troubles de la communication et des interactions sociales avec des comportements stéréotypés, son évaluation clinique est complétée par la réalisation de l’ADOS (Austim Diagnostic Observation Schedule 2) fréquemment utilisée en complémentarité avec l’ADI-R (Autism Diagnostic Interview-Revised) qui sont des échelles d’observation standardisée dans le diagnostic des troubles du spectre de l’autisme (TSA) (23). La prise en charge est pluridisciplinaire auprès de professionnels formés aux TSA (exemple : groupe d’habiletés sociales animée par un psychologue spécialisé). L’orientation dépend principalement du niveau intellectuel associé au TSA et du degré d’autonomie.
Dans les cas complexes de TSA, une orientation vers un centre ressource autisme (CRA) permet une évaluation pluridisciplinaire spécialisée (24).
Dans les cas complexes de TND (troubles des apprentissages de type TSLA/DYS, TDI, TDC, ou TDAH), une orientation vers un centre de référence pour les troubles du langage et des apprentissages (CRTLA) ou une structure de diagnostic de niveau 2 permet une évaluation pluridisciplinaire spécialisée.
(25) Dans le cas d’une hypothèse de trouble du développement intellectuel (TDI) selon les critères du DSM V (QI inférieur à 70), une échelle de Vineland II est demandée (26). Elle permet d’évaluer le niveau d’autonomie et d’adaptation de l’enfant quel que soit son âge.
(27) Lorsque l’enfant présente des troubles cognitifs majeurs ou une déficience intellectuelle, il faut questionner l’orientation la plus adaptée, telle que scolarité en classe ULIS, ou un institut médico-éducatif (IME) si l’enfant présente une forte entrave dans son autonomie, voire un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP) si comportement invalidant. D’autres orientations sont possibles selon les situations. Ce type d’orientation est notifiée par la MDPH avec l’accord des parents, après évaluation complète du dossier (partie complétée par la famille, Gevasco établi par l’école, certificat médical établi par le médecin, et tous les comptes-rendus médicaux, bilans et devis utiles à l’analyse de la situation de l’enfant).
Les centres de référence maladies rares pour la déficience intellectuelle de cause rare (CRMR DI) permettent d’effectuer des recherches étiologiques ciblées telles que des analyses génétiques, mais il faut rappeler que ces centres n’assurent pas le suivi et la prise en charge des patients.
Conclusions
Les difficultés scolaires prégnantes, en l’absence de déficit sensoriel et de carence éducative, s’intègrent dans la large majorité des cas dans un ou des troubles qui nécessitent une évaluation clinique attentive de la part du pédiatre ou du généraliste, complétée par des évaluations standardisées des fonctions cognitives qui semblent affectées. Le parcours de soins de l’enfant en difficultés scolaires vise à apporter à chaque enfant une prise en charge personnalisée, adaptée à ses besoins et efficiente. Du repérage précoce des difficultés jusqu’à la coordination des soins, le pédiatre joue un rôle clé pour un meilleur devenir et l’accompagnement des nombreux enfants confrontés à ces troubles. En fonction de la complexité des troubles du neurodéveloppement, il est possible d’avoir recours aux compétences de structures spécialisées de 2ème ou 3ème recours comme un centre ressources autisme (CRA), un centre de références maladies rares pour le trouble du développement intellectuel (CRMR DI) ou un centre de références des troubles du langage et des apprentissages (CRTLA).