Pancréatite aiguë chez l'enfant

I. Scheers¹, L. Masson²
¹Gastroentérologie et hépatologie pédiatrique, unité de transplantation hépatique, Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles, Belgique
²Urgences pédiatriques et gastroentérologie pédiatrique, CHU Nantes, Nantes, France


Introduction

La pancréatite aiguë (PA) de l’enfant est une maladie rare et peu étudiée, dont la prévalence est de 3-13/100.000 enfants et en augmentation.
L’épisode sera isolé pour une majorité des patients, seuls 15-35% vont évoluer vers des épisodes récurrents de pancréatite aiguë, voire vers une pancréatite chronique. Les formes légères et non compliquées prédominent largement.

La prise en charge de la pancréatite aiguë repose sur 3 piliers :
- L’apport hydrique initial optimisé suivi du support nutritionnel.
- La gestion de la douleur (selon recommandations OMS).
- Le monitoring des complications immédiates, à moyen et long termes.

Conduite à tenir devant un enfant avec une clinique suggestive de pancréatite aiguë

Critères diagnostiques

(1) Le diagnostic de pancréatite aiguë est retenu si 2 des 3 critères sont présents :
- Douleurs abdominales de localisation sus-ombilicale, avec irradiation éventuelle vers l’hypochondre gauche ou dans le dos, et/ou présence de nausées ou vomissements.
(Le dosage de la lipase est indiqué en cas de douleurs abdominales aiguës notables et/ou inexpliquées, même ne répondant pas à l’ensemble des critères, devant la fréquence des formes frustes chez l’enfant).
- Lipasémie > 3 fois la limite supérieure de la normale (augmente habituellement 4-8h après le début des symptômes avec un pic à H24, normalisation sous 8-15 jours). Le dosage de l’amylase n’est plus recommandé car manque de spécificité.
- Images échographiques évocatrices d’une pancréatite telles que de l’œdème, des coulées denécrose.

Le diagnostic de pancréatite aiguë récurrente (PAR) est posé en présence de 2 épisodes distincts de pancréatite aiguë (selon définition ci-dessus), quel que soit l’intervalle entre les 2 épisodes.
Pour que 2 épisodes soient considérés comme distincts, un des deux critères suivants doit être rempli : résolution complète de la douleur (intervalle sans douleur ≥ 1 mois entre les diagnostics de PA) ou normalisation complète du taux sérique de lipase, avant l'épisode suivant de PA.

Le diagnostic de pancréatite chronique (PC) est posé quand au moins 1 des 4 critères suivants est rempli :
- Douleur abdominale compatible avec une origine pancréatique et des résultats d’imagerie évocateurs de lésions pancréatiques chroniques.
- Preuve d’une insuffisance pancréatique exocrine et résultats évocateurs à l’imagerie pancréatique.
- Preuve d’une insuffisance endocrinienne pancréatique et résultats évocateurs à l’imagerie.
- Biopsie pancréatique démontrant des caractéristiques histopathologiques compatibles avec le diagnostic de pancréatite chronique.

Évaluation initiale

L’évaluation initiale d’une pancréatite aiguë se fait dans un service hospitalier pédiatrique.
Seuls les patients atteints d’une pancréatite chronique connue, avec bon contrôle de la douleur par les antalgiques oraux et en l’absence d’aphagie, peuvent surseoir à l’évaluation hospitalière.

(2) Le bilan clinique initial comprend : une anamnèse précise (début des symptômes, évolution, traitements médicamenteux habituels/récents), le recueil des paramètres vitaux (FC, FR, TA, SpO2, T°C) ainsi qu’une évaluation de la douleur adaptée à l’âge.
L’enquête paraclinique de première intention affirme le diagnostic, recherche une cause curable et évalue la sévérité : NFS, ionogramme sanguin avec calcium et phosphore, lipase, bilan hépatique complet (ASAT, ALAT, GGT, bilirubine), triglycérides, gaz du sang veineux avec lactate ; échographie abdominale.
Le scanner abdominal n’est jamais indiqué en première intention sauf cause particulière : traumatisme abdominal sévère, abdomen chirurgical sans étiologie et après échographie, urgence vitale, échographie non contributive, non réponse au traitement initial ou détérioration clinique. Sa réalisation doit toujours être discutée avec l’équipe radiologique.
Un bilan étiologique extensif n’est pas recommandé après un premier épisode de pancréatite.

(3) Évaluation de la gravité
- Forme légère : absence de défaillance d’organe et de complication locale (pseudokyste, thrombose vasculaire, abcès, nécrose) ou régionale.
- Forme modérée : défaillance transitoire d’organe (< 48h) ou complications locales ou systémiques sans défaillance organique prolongée.
- Forme sévère : défaillance organique persistante (> 48h).
Aucun score de sévérité décrit chez l’adulte n’a une bonne sensibilité et spécificité chez l’enfant.
Le score de SIRS (Systemic Inflammatory Response Syndrome) est un bon indicateur du risque d’évo-
lution défavorable chez l’enfant (Tableau 1).

Tableau 1. Score de SIRS (adapté de Grover et al.).
La présence de 2 critères ou plus définit un SIRS
Orientation et prise en charge thérapeutique

(4) En cas de premier épisode de pancréatite, l’hospitalisation est toujours indiquée.
S’il s’agit d’un nouvel épisode chez un patient connu pour pancréatite récurrente ou chronique, que l’alimentation orale est conservée et que l’antalgie per os est satisfaisante, un retour à domicile peut être proposé.

(5) Une surveillance rapprochée est indispensable, en raison notamment du risque de dégradation secondaire : monitoring de la diurèse, des paramètres hémodynamiques (FC/TA) et respiratoires (FR, SpO2), et de la douleur.

(6) Les patients ayant une forme modérée avec défaillance d’organe (cœur, poumon, rein, foie) ou ayant une forme sévère sont hospitalisés en Unité de Soins Intensifs / Continus ou en Réanimation.

(7) Les apports hydriques initiaux sont à optimiser quelle que soit la gravité de la pancréatite pendant les 24 premières heures afin de prévenir l’évolution vers une forme plus sévère (type pancréatite nécrosante ou défaillance systémique).
Les apports se font par voie orale si bonne tolérance digestive dans les pancréatites légères, ou intraveineuse par du soluté glucosé isotonique (type G5% + 9 g/L (soit 153,9 mmol/L) de NaCl + 2 g/L (soit 26,8 mmol/L) de KCl), balancé, au débit de 1,5 à 2 fois les apports de base.

(8) L’antalgie doit être adaptée à l’intensité de la douleur (selon les recommandations OMS). Les douleurs pancréatiques peuvent être sévères et requérir chez un nombre non négligeable de patients une antalgie de palier 2 voire 3. Les AINS sont autorisés.
Le SIRS peut s’accompagner de fièvre, d’hyperleucocytose et d’une élévation de la CRP. Il est nécessaire de différencier le SIRS d’une infection de pseudokyste ou de nécrose, en se basant sur la clinique (état septique) et une éventuelle identification bactériologique (hémocultures, culture de liquide (pseudokyste) ou de matériel nécrotique obtenu par écho-endoscopie). Ainsi, l’antibiothérapie (ceftriaxone et métronidazole, en 1ère intention) n’est donc pas systématique en cas de fièvre, sa prescription reste à l’appréciation du médecin.
Il n’y a pas d’indication à la prescription systématique d’IPP, ou d’enzymes pancréatiques.

(9) Une réalimentation orale précoce est recommandée, dès que possible et avant 48-72h, quelle que soit la sévérité de la pancréatite, sauf en cas d’iléus (distension abdominale, arrêt du péristaltisme intestinal), après contrôle de la douleur, selon la tolérance. Elle doit être normocalorique. Il n’y a plus de recommandation à un régime sans graisse (hors hypertriglycéridémie). En cas de vomissements, on peut proposer une nutrition entérale continue sur sonde naso-gastrique et sur sonde naso-jéjunale en cas d’échec, après avis spécialisé. En cas d’iléus, une nutrition parentérale sera instaurée jusqu’à reprise du transit.
Pour les patients avec des formes modérées à sévères, on peut d’emblée débuter par une nutrition entérale. On privilégiera un mélange polymérique plutôt que semi-élémentaire, administré prioritairement de façon fractionnée, ou en continu en cas de mauvaise tolérance.

Bilan et traitement étiologiques

(10) Les pancréatites aiguës chez l’enfant sont très majoritairement idiopathiques ou virales, et ne requièrent aucun traitement spécifique. De nombreux agents infectieux (virus, bactéries, parasites, mycoses) peuvent être responsables d’un épisode de PA ; leur recherche peut se discuter, orientée par la clinique et le contexte de survenue.

(11) Si une cause iatrogène est suspectée (l’introduction récente d’un traitement est évocatrice), l’arrêt de ce traitement devra être discuté.

(12) L’hypertriglycéridémie (> 0,5 g/L = facteur de risque ; > 1 g/L = facteur causal), fera l’objet d’un traitement spécifique : perfusion de soluté glucosé, voire plasmaphérèse dans un premier temps, puis régime restreint en graisse, avec supplémentation en Ω3. Pour rappel, l’hypertriglycéridémie est généralement d’origine génétique chez l’enfant.

(13) En cas de lithiase biliaire enclavée, une extraction du calcul est indiquée. Selon les patients (notamment l’âge et le poids) et les compétences disponibles dans l’hôpital où l’enfant est pris en charge, la concertation doit avoir lieu avec les équipes d’endoscopie et de radiologie interventionnelle, afin de discuter de la prise en charge par voie rétrograde par CPRE (Cholangiopancréatographie Rétrograde Endoscopique) ou antérograde percutanée (en radiologie interventionnelle).

(14) En cas de traumatisme pancréatique, la conduite à tenir dépend du grade selon la classification de l’AAST (American Association for the Study of Trauma). Grade I-II : surveillance simple. Grade III, IV et V : avis chirurgical pour discussion concertée de prise en charge (observation ou chirurgie).

(15) La pancréatite auto-immune est extrêmement rare. Le diagnostic doit être évoqué chez des patients présentant un tableau auto-immun ou auto-inflammatoire. La prise en charge est spécialisée, reposant notamment sur un traitement par corticostéroïdes.

Suivi et complications

(16) Un premier épisode de pancréatite aiguë légère peut être pris en charge par les services
d’urgences et de pédiatrie générale. Un avis en gastroentérologie est indiqué en cas de pancréatite
aiguë modérée ou sévère et/ou en cas de récidive (PAR ou PC).

(17) La surveillance au décours d’un épisode de PA est avant tout clinique. Un suivi toutes les 24 à 48h de la lipasémie jusqu’à décroissance est préconisé. En l’absence de majoration de la douleur, de signe d’infection ou de vomissements, le suivi biologique ultérieur sera hebdomadaire jusqu’à normalisation de la lipasémie.

Près de 80% des pancréatites aiguës ont une évolution rapidement favorable. En cas de stagnation oude majoration de la lipasémie dans les jours ou semaines qui suivent le premier épisode, une complication est à rechercher (pseudokyste, fistule, nécrose). Une imagerie par échographie, avec éventuel complément par une cholangioIRM, sera alors utile. Un pseudokyste peut apparaître de quelques jours à 4 semaines après un épisode de PA, et sera drainé s’il est symptomatique (douleur, infection, obstacle à la vidange gastrique, compression portale) ou de grande taille (> 5cm). Le drainage peut se faire par voie trans-gastrique ou percutanée, selon sa localisation.
En cas de PC, une surveillance clinique simple suffit le plus souvent. Les complications à plus long terme des épisodes modérés ou sévères de pancréatite sont : un pseudokyste, une thrombose/anévrysme en intra-abdominal, une dysfonction pancréatique endocrine
et/ou exocrine, justifiant un suivi spécialisé au long cours.

Conclusion

La pancréatite aiguë est une pathologie majoritairement bénigne, mais potentiellement sévère dont la prévalence est en augmentation. Une prise en charge rapide et adaptée, reposant sur un traitement symptomatique et la recherche d’une cause curable, permet de réduire la durée d’hospitalisation ainsi que le nombre d’admissions en réanimation.

Mots clés

pancréatite, lithiase, hypertriglycéridémie, lipase, enfants

Bibliographie - Références

• Management of Acute Pancreatitis in the Pediatric Population: A Clinical Report From the North
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• Autoimmune Pancreatitis in Children: Characteristic Features, Diagnosis, and Management. Scheers I,
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• The Utility of the Systemic Inflammatory Respsonse Syndrome Score on Admission in Children
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