Fracture de l’enfant après l’acquisition de la marche

M. Desjonquères¹, T. Edouard²
¹Service de Néphrologie, Rhumatologie et Médecine Interne pédiatrique, Centre de référence des maladies osseuses constitutionnelles, filière OSCAR Hôpital Femme Mère Enfant, Hospices Civils de Lyon, Lyon, France
²Unité d'Endocrinologie, maladies osseuses et Génétique Centre de référence des maladies rares du calcium et du phosphate et centre de compétence des maladies osseuses constitutionnelles, filière OSCAR, ERN BOND, Hôpital des Enfants, CHU de Toulouse, Toulouse, France


Introduction
(1) Ce document ne concerne que l’enfant après l’âge d’acquisition de la marche. En effet, avant cet âge, le diagnostic le plus fréquent et à éliminer en priorité est la maltraitance. Dans ce cas, un bilan en milieu hospitalier (unité d'accueil pédiatrique de l'enfance en danger, UAPED) est toujours nécessaire; des documents spécifiques ont été publiés par la filière maladies rares OSCAR. Même si elle est moins fréquente après l’acquisition de la marche, la maltraitance reste toujours possible chez l’enfant : il est donc important de toujours évoquer ce diagnostic. Au moindre doute ou bien sûr s’il existe des fractures évocatrices (fractures multiples d’âges différents, fractures en coin métaphysaire ou fractures des arcs costaux postérieurs…), une évaluation doit être réalisée dans le cadre de l’UAPED, notamment chez les plus jeunes (moins de 3 ans).

(2) Définition de la fracture pathologique
Une fracture osseuse survient lorsqu’il existe un déséquilibre entre la résistance (la solidité) de l’os et la contrainte exercée (traumatisme) sur cet os. Il est attendu qu’un os se fracture lorsqu’il subit un traumatisme important. En revanche, l’apparition d’une fracture en l’absence de traumatisme (ou suite à un traumatisme minime) est pathologique et doit faire évoquer une fragilité osseuse. Comme nous le verrons dans la définition de la fragilité osseuse (8), une fracture vertébrale non traumatique suffit à porter le diagnostic de fragilité osseuse. Pour les fractures des os longs (en particulier humérus, fémur, tibia), le diagnostic de fragilité osseuse ne sera porté que s’il existe plusieurs épisodes de fracture (en l’absence de traumatisme ou sur traumatisme minime) associés à une masse osseuse diminuée. La caractérisation d’une fracture pathologique repose donc sur la localisation de la fracture (vertèbres ou os longs), le nombre et les mécanismes impliqués (intensité du traumatisme). Dans tous les cas, il appartient au clinicien de première ligne de vérifier systématiquement l’état nutritionnel de l’enfant, ses apports en calcium et en vitamine D, et de promouvoir une activité physique régulière.

(3) La radiographie ciblée, habituellement réalisée dans le cadre d’une fracture, permet bien sûr de confirmer la fracture mais aussi d’éliminer une cause de fragilité locale (tumeur osseuse ou lésion de dysplasie fibreuse par exemple) et de rechercher des signes radiologiques de fragilité osseuse généralisée (transparence osseuse excessive, corticales fines).

(4) Radiographie du rachis à la recherche de tassements
Les fractures vertébrales sont très fréquentes dans les fragilités osseuses (7 à 30% des enfants en fonction des pathologies), le principal facteur de risque étant les traitements par glucocorticoïdes. La présence de douleurs dorsales est un facteur prédictif indépendant de fractures vertébrales. Cependant, dans la moitié des cas, ces fractures sont asymptomatiques et il est donc nécessaire de les rechercher systématiquement en cas de suspicion de fragilité osseuse. Il n’existe pas de consensus quant à la technique de recherche de fractures vertébrales mais la technique la plus largement utilisée est la réalisation de radiographies de rachis thoraco-lombaire de profil, si possible avec un système EOS moins irradiant.

(5) Bilan biologique à la recherche d’une pathologie aiguë ou chronique responsable d’une fragilité osseuse (fragilité osseuse secondaire) :
Dans le cadre des fragilités osseuses secondaires, dans la majorité des cas, la pathologie est déjà connue. Des recommandations nationales (protocole national de diagnostic et de soins, PNDS) ont été établies pour la prévention, le dépistage et la prise en charge de ces fragilités osseuses secondaires. Plus rarement, la pathologie n’est pas connue et la fracture va être le mode de révélation de la maladie. C’est pourquoi, en cas de fracture inexpliquée (« pathologique »), un bilan élargi est réalisé pour éliminer une pathologie sous-jacente :
- NFS, CRP, IgA anti-transglutaminase et IgA totales, TSH, transaminases, ionogramme, créatinine, calcémie, phosphatémie, phosphatases alcalines, parathormone (PTH), 25(OH)vitamine D.
- Sur une miction : calciurie, créatininurie et ionogramme urinaire.

En fonction de l’évaluation clinique initiale, des explorations complémentaires peuvent être discutées, notamment hormonales (IGF1, LH, FSH, testostérone / œstradiol) s’il existe un retard de croissance ou de puberté.

(6) Évaluation de la masse osseuse par ostéodensitométrie
Même si la définition de la fragilité osseuse chez l’enfant repose avant tout sur des critères cliniques (fractures pathologiques des os longs ou des vertèbres), la détermination de la masse osseuse est une étape importante dans l’évaluation des enfants suspects de fragilité osseuse. Ainsi, l’évaluation de la masse osseuse sera réalisée chez les enfants avec récidive de fracture pathologique des os longs pour compléter le bilan initial, l’association avec des valeurs de masse osseuse basses permettant de confirmer le diagnostic de fragilité osseuse. L’évaluation de la masse osseuse sera également réalisée dans le cadre du bilan initial même lorsque le diagnostic de fragilité osseuse est certain (fracture vertébrale
non traumatique) afin de pouvoir suivre l’évolution de la masse osseuse, notamment si un traitement par bisphosphonates est débuté, pour évaluer son efficacité.
À ce jour, l’examen le plus répandu en pratique courante est l’ostéodensitométrie du fait de sa disponibilité, sa faible irradiation et l’existence de normes en fonction de l’âge (à partir de 5 ans) et du sexe. Contrairement au T-score utilisé chez l’adulte, chez l’enfant, les valeurs de densité minérale osseuse (DMO) doivent être exprimées en Z-score en fonction de l’âge, du sexe et de l’origine ethnique. Il est important de connaître les limites techniques de l’ostéodensitométrie lors de l’interprétation des résultats. Les normes des constructeurs de DMO ne sont disponibles qu’à partir de 5 ans. De plus, les valeurs de DMO chez l’enfant doivent être interprétées en fonction de la taille de l’os (influencée par la taille de l’enfant), de la maturation osseuse (influencée par le stade pubertaire) et de la composition corporelle. Cependant, à ce jour, il n’existe pas de consensus concernant les méthodes proposées pour ajuster les valeurs en fonction de ces différents paramètres ; l’interprétation est donc difficile et nécessite toujours l’avis d’un médecin spécialiste.

(7) Définition de la fragilité osseuse chez l’enfant
Alors que chez l’adulte, l’ostéoporose est définie principalement par des valeurs basses de DMO à l’ostéodensitométrie, chez l’enfant la définition repose avant tout sur les manifestations pathologiques (fractures des os longs et/ou des vertèbres) : cf. tableau ci-après.
C’est pourquoi chez l’enfant le terme de « fragilité osseuse » est préféré à celui d’« ostéoporose » ou d’« ostéopénie ».

Fracture(s) vertébrale(s) non traumatique(s)
(quelles que soient les valeurs de densité minérale osseuse, DMO)
ou
Fractures des os longs non traumatiques et récidivantes
• ≥ 2 fractures des os longs avant 10 ans
• ≥ 3 fractures des os longs avant 18 ans
et
Diminution de la masse osseuse
DMO du rachis lombaire et / ou du corps entier (sans tête) ≤ - 2 Z-score
(à interpréter par un médecin spécialiste en fonction de l'âge, du sexe, de la taille et de la maturation osseuse)

International Society for Clinical Densitometry (ISCD) 2013

Une fois la fragilité osseuse établie selon ces critères, l’interrogatoire, l’examen clinique et les explorations complémentaires permettront de distinguer les formes secondaires (à une pathologie fragilisant l’os) des formes constitutionnelles/primitives (souvent d’origine génétique).

(8) Fragilité osseuse secondaire à une pathologie sous-jacente
Il s’agit de la cause de fragilité osseuse la plus fréquente chez l’enfant. Elle est souvent la conséquence de l’association de plusieurs facteurs de risque : enfants en incapacité de marcher ou  à mobilité réduite, pathologies avec malabsorption ou dénutrition, maladies inflammatoires chroniques, mucoviscidose, leucémie, déficit en GH, retard pubertaire, corticothérapie à forte dose ou prolongée. La perte d’ambulation et la diminution de la masse osseuse sont les principaux facteurs de risque de fractures des os longs, alors que les traitements par glucocorticoïdes sont le principal facteur de risque de fractures vertébrales. La mise en évidence d’une fracture vertébrale au moment du diagnostic est un facteur de risque en soi de fragilité osseuse (« cascade de fractures vertébrales »).

(9) Fragilité osseuse constitutionnelle (génétique)
Il s’agit d’une cause beaucoup plus rare de fragilité osseuse dont le modèle est l’ostéogenèse imparfaite (incidence : 1/10 000). Les fractures pathologiques sont le mode de révélation habituel de la maladie ; elles peuvent apparaitre en période périnatale (formes sévères) ou à partir de l’acquisition de la marche (formes modérées). Le diagnostic de fragilité osseuse constitutionnelle est évoqué devant l’existence d’antécédents familiaux, l’association à d’autres signes osseux (pectus excavatum/carinatum, scoliose, malformation de la charnière occipitale) ou extra-osseux (sclérotiques bleues, dentinogenèse imparfaite, peau fine avec vaisseaux visibles, ecchymoses, hyperlaxité ligamentaire, faiblesse musculaire,
anomalies des valves cardiaques, surdité de transmission ou perception). L’ostéogenèse imparfaite dans sa forme classique est de transmission autosomique dominante et causée le plus souvent (90%) par des variants pathogènes du gène codant le collagène de type 1.
Ces dernières années, le développement des techniques d’exploration génétique a permis la mise en évidence de nombreuses autres anomalies génétiques dans des fragilités osseuses isolées (anciennement dénommées « ostéoporoses juvéniles idiopathiques » chez l’adolescent et faisant écho aux « ostéoporoses de survenue précoce » décrites chez l’adulte jeune). L’absence de signes associés à la fragilité osseuse n’élimine donc pas complètement une fragilité osseuse d’origine génétique, et des analyses génétiques approfondies (par panel de gènes) doivent être discutées en cas de fragilité osseuse avérée avec un bilan étiologique négatif.
À ce stade des explorations, l’ensemble du raisonnement étiologique doit être repris, en évoquant notamment la question de traumatismes infligés possibles, avec adressage à l’UAPED au moindre doute pour compléter l’évaluation.

(10) Mesures générales préventives et curatives de la fragilité osseuse
Il convient en premier lieu de corriger les facteurs de risque sous-jacents (notamment dans les fragilités osseuses secondaires).
Les principales mesures sont de :
- Contrôler la maladie causale.
- Assurer un état nutritionnel satisfaisant.
- Assurer des apports calciques et en vitamine D selon les apports recommandés pour l’âge et pour la situation pathologique.
- Augmenter la masse musculaire, favoriser la mobilité et l’activité physique.
- Et corriger d’éventuels déficits hormonaux, notamment l’hypogonadisme.

Les mesures curatives s’adressent aux enfants souffrant d’une fragilité osseuse symptomatique (présence de fractures des os longs ou des vertèbres), en association à un traitement orthopédique adapté. Elles doivent être discutées après correction des facteurs de risque ci-dessus. Les possibilités pharmacologiques sont limitées chez l’enfant et sont toutes hors AMM. Même si de nouveaux traitements sont en cours d’évaluation (anti-sclérostine), les traitements les plus largement utilisés sont les bisphosphonates qui inhibent la résorption osseuse. Dans les fragilités osseuses secondaires, l’indication de ces traitements dépend de l’évaluation du potentiel de récupération spontanée de la fragilité osseuse qui est important chez l’enfant en croissance.

Conclusion

Les fractures chez l’enfant peuvent être le mode de révélation d’une fragilité osseuse. Toute fracture pathologique doit donc conduire à un bilan systématique. Le diagnostic de fragilité osseuse permet d’adresser l’enfant aux équipes spécialisées pour compléter l’évaluation et organiser le suivi et la prise en charge. Toute récidive de fracture en l’absence de mise en évidence de fragilité osseuse doit faire évoquer une maltraitance et référer l’enfant à l’UAPED pour évaluation.

Mots clés

fracture pathologique, fragilité osseuse, ostéodensitométrie, ostéogenèse imparfaite, enfance

Bibliographie - Références

• Maltraitance versus fragilité osseuse : quel bilan initial ? Fiche OSCAR. Disponible sur :
• Fragilités osseuses secondaires de l’enfant. PNDS 2019. Disponible sur :
• Rachitismes rares vitamine-D dépendants. PNDS 2024. Disponible sur :
• Guidelines for the management of children at risk of secondary bone fragility: Expert opinion of a French
working group. Edouard T, Guillaume-Czitrom S, Bacchetta J et al. Arch Pediatr. 2020;27(7):393 8.
• Vitamin D and calcium intakes in general pediatric populations: A French expert consensus paper.
Bacchetta J, Edouard T, Laverny G et al. Arch Pediatr. 2022;29(4):312-325