A. de Luca
Unité Mobile de Nutrition, CHU de Tours, Tours, France

Introduction
La dénutrition se définit par un déséquilibre nutritionnel de l’organisme, c’est-à-dire un bilan énergétique et/ou protéique négatif, ayant pour conséquence des modifications de la composition et/ou des fonctions corporelles ainsi qu’une aggravation du pronostic des maladies. En hospitalisation, elle concerne 10 à 20% des enfants. Les recommandations du diagnostic de la dénutrition ont été actualisées par la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2019. Il reste indispensable d’apprécier la croissance de l’enfant en traçant les courbes de croissance (poids, taille et IMC). L’index de Waterlow, c’est-à-dire le rapport du poids mesuré sur le poids attendu pour la taille, est utile pour compléter l’évaluation, en faveur d’une dénutrition si < 80% ou < -2 DS. La démarche est clinique, aucun bilan biologique n’est nécessaire. Les causes de dénutrition peuvent être classées selon trois catégories : la diminution des prises alimentaires, l’augmentation des besoins énergétiques et l’augmentation des pertes. Une dénutrition complique le plus souvent une maladie chronique connue, situation qui nécessite donc une vigilance particulière ; cependant le diagnostic de dénutrition peut être inaugural, notamment chez le nourrisson, et doit faire rechercher une étiologie sous-jacente parfois silencieuse. La stratégie thérapeutique nécessite d’établir un objectif calorique basé sur le poids cible, des modalités pratiques (voie d‘abord orale/entérale/parentérale, type de produit, mode d’administration), de traiter l’étiologie de la dénutrition et de réévaluer / surveiller l’efficacité et la tolérance. La nutrition parentérale doit être réservée aux situations où l’intestin n’est pas fonctionnel. Si la dénutrition est profonde, la renutrition doit être progressive afin de limiter le risque de syndrome de renutrition inappropriée.
Conduite à tenir devant une dénutrition
Identifier une dénutrition
(1) Le diagnostic de dénutrition nécessite la présence d’au moins 1 critère phénotypique et 1 critère étiologique.
a) Critères phénotypiques (1 seul critère suffit)
• Perte de poids ≥ 5% en 1 mois ou ≥ 10% en 6 mois ou perte ≥ 10% par rapport au poids habituel avant le début de la maladie.
• IMC < courbe IOTF 18,5 kg/m2.
• Stagnation pondérale aboutissant à un poids situé 2 couloirs en dessous du couloir habituel (courbe de croissance pondérale de l’enfant, ou de référence pour des pathologies spécifiques type trisomie 21, myopathie, etc.).
• Réduction de la masse musculaire et/ou de la fonction musculaire (critère difficile à évaluer car les méthodes sont peu disponibles et aucun seuil n’est établi chez l’enfant ni pour la composition corporelle ni pour la force musculaire).
b) Critères étiologiques (1 seul critère suffit)
• Réduction de la prise alimentaire ≥ 50% pendant plus d’1 semaine ou toute réduction des apports pendant plus de 2 semaines par rapport à la consommation alimentaire habituelle quantifiée ; ou aux besoins protéino-énergétiques estimés.
• Absorption réduite de façon chronique (maldigestion/malabsorption).
• Situation d’agression (hypercatabolisme protéique avec ou sans syndrome inflammatoire) : pathologie aiguë, pathologie chronique évolutive ou pathologie maligne évolutive.
On distingue ensuite deux degrés de gravité : dénutrition modérée et dénutrition sévère.
(2) Dénutrition modérée (1 seul critère suffit)
• IMC compris entre les courbes IOTF 17 et IOTF 18,5 kg/m2.
• Perte de poids ≥ 5% et ≤ 10% en 1 mois ou > 10% et ≤ 15% en 6 mois par rapport au poids antérieur.
• Stagnation pondérale aboutissant à un poids situé entre 2 et 3 couloirs en dessous du couloir habituel.
(3) Dénutrition sévère (1 seul critère suffit)
• IMC ≤ courbe IOTF 17 kg/m2.
• Perte de poids > 10% en 1 mois ou > 15% en 6 mois par rapport au poids antérieur.
• Stagnation pondérale aboutissant à un poids situé au moins 3 couloirs en dessous du couloir habituel.
• Infléchissement statural (avec perte d’au moins 1 couloir par rapport à la taille habituelle).
Les situations nécessitant une prise en charge urgente sont peu fréquentes, et sont principalement liées à une défaillance dans le maintien des constantes (bradycardie profonde, hypothermie, hypotension artérielle, œdèmes, apathie, déshydratation associée). Une hospitalisation est indiquée dans le cas d’une dénutrition sévère rapide ou en aggravation, d’autant plus que l’enfant est jeune (nourrisson), selon le retentissement général, en lien avec l’étiologie, à visée d’enquête étiologique ou encore si une nutrition artificielle est planifiée.
Stratégie thérapeutique en cas de dénutrition
(4) Les apports énergétiques sont établis à partir de l’objectif de poids, c’est-à-dire le poids attendu pour la taille. Le Tableau 1 permet d’estimer rapidement les besoins énergétiques journaliers par la règle des 100/50/25, soit :
• 100 kcal/kg de 0 à 10 kg
• puis (1000 kcal +) 50 kcal/kg de 10 à 20 kg
• puis (1500 kcal +) 25 kcal/kg au-delà de 20 kg.
Chez l’enfant polyhandicapé, les besoins énergétiques sont difficiles à évaluer, souvent inférieurs de 20 à 25% au calcul du Tableau 1. Plus la dénutrition est profonde, plus les apports doivent être augmentés progressivement afin de limiter le risque de syndrome de renutrition inappropriée. Les différents supports nutritionnels peuvent être combinés. Un traitement étiologique doit être associé à la prise en charge nutritionnelle, quand cela est possible. Lorsque la dénutrition est modérée, le traitement nutritionnel proposé va différer selon les ingesta, supérieurs ou inférieurs aux 2/3 des besoins. En effet, si l’alimentation est trop insuffisante, il sera difficile d’atteindre les objectifs caloriques en optimisant uniquement les prises orales, une nutrition artificielle sera donc indiquée.
(5) En cas de dénutrition modérée avec ingesta > 2/3 des besoins, une alimentation orale enrichie est proposée en 1ère intention. Cet enrichissement peut prendre différentes formes, selon l’âge et les habitudes alimentaires : ajout de dextrine maltose (sucre ayant un très faible pouvoir sucrant), ajout de matières grasses (huiles, crème fraîche, fromage fondu…), choix alimentaires (lait entier, crèmes desserts, fromage) ; concentration des biberons de lait infantile en poudre chez les nourrissons (1 mesurette pour 25 mL d’eau au lieu de 30 mL). Un complément nutritionnel oral peut être donné en plus des repas enrichis, sous forme de boissons lactées chez l’enfant, et de boissons lactées, crèmes desserts, jus de fruit, gâteaux chez l’adolescent.
(6) En cas de dénutrition modérée avec ingesta ≤ 2/3 des besoins ou si échec d’une alimentation enrichie (après réévaluation entre 15 jours et 1 mois), ou en cas de dénutrition sévère, une nutrition artificielle doit être mise en place. Une alimentation mixte (orale/entérale) est à privilégier sauf si les prises orales sont impossibles. La nutrition entérale est administrée le plus souvent en site gastrique, rarement en site jéjunal (gastroparésie, risque d’inhalation sous nutrition entérale, intolérance digestive haute) ; soit par sonde nasale, soit par stomie si la durée prévisible est supérieure à 3 mois. Différents produits de nutrition entérale adaptés à l’âge de l’enfant (< 1 an, ≥ 1 an) sont disponibles et sont plus ou moins riches en protéines et en énergie, avec ou sans fibres (modulant le transit). Un produit standard isocalorique (1 kcal/mL) et normoprotidique convient dans la très grande majorité des cas. Les produits hypercaloriques (≥ 1,2 kcal/mL, le plus souvent 1,5 kcal/mL) permettent de réduire les volumes, ce qui peut améliorer la tolérance (mais il faudra alors être vigilant à une hydratation suffisante) ou répondre à une indication de limitation hydrique. Les produits hyperprotidiques sont indiqués lorsque les besoins en protéines sont accrus. Certains produits, appelés semi-élémentaires, sont adaptés à des maladies spécifiques ou proposés en seconde intention si intolérance à un produit standard, selon la composition suivante :
• pour les protéines : entières ou hydrolysées (malabsorption, allergie aux protéines du lait de vache) ;
• pour les lipides : équilibré ou riche en triglycérides à chaînes moyennes (malabsorption) ;
• pour les sucres : sans lactose (malabsorption, intolérance).
Il est préférable de prendre un avis spécialisé dans cette situation.
(7) Une nutrition parentérale est indiquée si et seulement si le tube digestif n’est pas fonctionnel, comme dans l’insuffisance intestinale ou une occlusion digestive, ou en cas d’échec d’une nutrition entérale (apports ne permettant pas d’atteindre les objectifs, le plus souvent pour un problème de tolérance). Une alimentation mixte (orale/entérale/parentérale) est souvent possible. Un abord par voie centrale (chambre implantable ou cathéter) est indispensable. Une nutrition parentérale au long cours (> 3 mois) ou nécessitant des apports spécifiques relève d’unités spécialisées / centres labellisés de nutrition parentérale.
(8) La surveillance permet d’apprécier l’efficacité du traitement (reprise pondérale, amélioration de l’état clinique, rattrapage de taille 2 à 3 mois après) et de l’adapter si nécessaire. La fréquence est au minimum d’une fois par semaine en hospitalisation, dans le mois en ambulatoire. Dans les situations les plus sévères (perte de poids importante, IMC très bas, aphagie pendant plusieurs jours), un syndrome de renutrition inappropriée est à redouter, même dans le cadre d’une alimentation orale seule. Il est la conséquence d’un apport excessif de nutriments et peut associer une hypophosphorémie, une hypomagnésémie, une hypokaliémie, une hyponatrémie, une hypocalcémie, une carence en vitamine B1, une rétention hydrosodée et une cytolyse hépatique notamment. Une correction préalable des troubles hydroélectrolytiques, des supplémentations en phosphore, magnésium et vitamine B1, une restriction hydrosodée et une augmentation progressive des apports caloriques permettent de prévenir cette complication de la renutrition. Une surveillance biologique rapprochée (tous les 1 à 2 jours) est indispensable.
Les autres complications principales de la dénutrition doivent être recherchées et traitées. La dénutrition augmente le risque de survenue d’infections, de complications cutanées (escarre, retard de cicatrisation) et aggrave la pathologie causale, avec augmentation de la morbi-mortalité. La présence d’œdèmes fait évoquer une forme hypoalbuminémique préférentiellement dans un contexte d’agression métabolique. Les diarrhées et les vomissements sont plus fréquents chez les patients dénutris.
Conclusion
La dénutrition est sous-diagnostiquée chez l’enfant, donc insuffisamment traitée, ce qui aggrave le pronostic des maladies associées. Elle complique de nombreuses maladies chroniques, on la retrouve donc fréquemment à l’hôpital. La démarche diagnostique actuelle est issue de recommandations HAS. La situation clinique et la détermination d’un objectif de poids permettent d’adapter la prise en charge nutritionnelle, en privilégiant toujours l’utilisation du tube digestif. L’organisation d’un dépistage systématique de la dénutrition à l’hôpital est un point majeur pour améliorer la qualité des soins.
Tableau 1. Estimation des besoins énergétiques en fonction du poids

Soit pour un poids cible de 16 kg : 1000 kcal + 6 x 50 kcal = 1300 kcal/j