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Date de mise à jour 18/05/2018

Conduite à tenir devant une hyperlactacidémie

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J. Bouchereau*, S. Pichard, A. Imbard, J.-F. Benoist, M. Schiff

Centre de référence Maladies Héréditaires du Métabolisme, Hôpital Robert Debré, APHP, 48 boulevard Sérurier, 75019 Paris
Auteur correspondant - Adresse e-mail :  juliette.bouchereau@aphp.fr (J. Bouchereau).

Conduite à tenir devant une hyperlactacidémie

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Arbre diagnostique – Commentaires

(1) Une hyperlactacidémie est définie par un lactate sanguin supérieur à 2,2 mmol/L. Lorsqu’elle dépasse le seuil de 6 mmol/L, celle-ci peut entraîner une acidose métabolique, à trou anionique (TA) élevé ([Na+K]-[HCO3+Cl] > 16). Cette acidose peut être asymptomatique ou être suspectée devant une polypnée ample de Kussmaul.

(2)  Le prélèvement du lactate doit être réalisé sans garrot, sur un tube fluoré ou une seringue pour gaz du sang, mis immédiatement dans la glace et transporté rapidement au laboratoire. Les conditions de prélèvement et d’acheminement sont essentielles pour éviter une fausse élévation du lactate.

(3) Plusieurs situations justifient la mesure du lactate :

  • toute situation d’urgence ou réanimatoire. L’hyperlactacidémie est un reflet de la défaillance hémodynamique et/ou de la défaillance d’organe, c’est-à-dire de l’hypoxie tissulaire. La lactacidémie sert de marqueur pronostic et de suivi ;

  • pour explorer une anomalie métabolique, en particulier une acidose métabolique à TA élevé (qui sera expliquée par l’hyperlactacidémie uniquement si celle-ci est ≥ 6 mmol/L) ou une hypoglycémie ;

  • pour explorer une pathologie inexpliquée faisant suspecter une maladie du métabolisme énergétique : encéphalopathie chronique ± épisodes de régressions ; myopathie ou cardiomyopathie ; atteinte multisystémique ; atteinte hépatique…

(4) Le bilan proposé n’est absolument pas exhaustif, il s’agit du bilan minimal pour une première orientation, avec pour objectifs :

  • de confirmer l’hyperlactacidémie et/ou l’acidose lactique ;

  • de rechercher des défaillances d’organe pouvant être la cause de l’hyperlactacidémie (rein, foie, hypoxie, etc.). Un bilan complémentaire orienté par la clinique peut être discuté, à la recherche d’une insuffisance cardiaque, d’une infection, etc. ;

  • d’orienter le bilan étiologique vers une maladie héréditaire du métabolisme (MHM).

(5) Dans la majorité des cas, la cause de l’hyperlactacidémie est facilement retrouvée. Elle est parfois plus difficile à mettre en évidence en cas de pathologie chronique : infection traînante non contrôlée, diarrhée ou anémie chronique, diabète, infection urinaire chronique [1].

Une MHM devra être suspectée lorsqu’aucune cause n’est retrouvée ou si l’hyperlactacidémie est accompagnée de certains signes cliniques ou biologiques : hépatomégalie, signes neurologiques aigus ou chroniques, hypoglycémie (répéter les glycémies capillaires pour chercher des hypoglycémies à jeun), présence d’une cétose, hyperammoniémie, etc.

(6) Devant une hyperlactacidémie avec suspicion de MHM, les éléments principaux permettant l’orientation diagnostique sont :

  • l’horaire : à jeun, postprandiale ou permanente ;

  • l’association avec une hypoglycémie, qu’il convient de caractériser : hypoglycémie de jeune court/long, avec ou sans cétose, avec ou sans hépatomégalie ;

  • la présence de signes neurologiques chroniques.

En cas d’hypoglycémie, le diagnostic est guidé par l’enquête étiologique de cette hypoglycémie. Les principales étiologies sont les glycogénoses, les déficits de néoglycogenèse, les déficits de l’oxydation des acides gras.

En l’absence d’hypoglycémie, l’investigation de l’hyperlactacidémie nécessitera des explorations métaboliques spécialisées, dont des « points redox » pré et postprandiaux, qui nécessitent des tubes spéciaux (perchlorate). Ces examens sont en général réalisés dans un service spécialisé et explorent le métabolisme énergétique. Les pathologies concernées sont nombreuses : déficit en pyruvate déshydrogénase (PDH) ou en pyruvate carboxylase (PC), carence en thiamine/vitamine B1, déficit multiple en carboxylase (dont déficit biotinidase), déficits de la chaîne respiratoire (cytopathies mitochondriales) ou du cycle de Krebs, etc.

(7) Le traitement d’une acidose lactique repose sur le traitement de la cause, c’est-à-dire la correction hémodynamique, le traitement de la défaillance d’organe et le traitement étiologique. L’acide lactique n’est pas toxique en lui-même, cependant une acidose sévère avec un pH < 7,2 peut entraîner des dysfonctions cellulaires et une défaillance cardiaque ou hémodynamique. Le bicarbonate de sodium est souvent utilisé pour corriger cette acidose mais n’a pas montré de diminution de la mortalité et reste à discuter [2].

L’acidose sévère entraîne également un risque d’œdème cérébral. Il faudra donc éviter absolument toute perfusion hypoosmolaire, mettre en place les mesures de neuro-protection, et assurer l’équilibre hydro-électrolytique et glycémique.

(8) Dans les MHM, le traitement dépendra de l’étiologie. En cas d’hypoglycémie, le traitement reposera sur l’apport régulier voire continu de glucose.

Pour les pathologies du métabolisme énergétique, il faudra limiter les apports en glucose qui risquent de majorer l’hyperlactacidé- mie, voire dans certains cas un régime cétogène sera proposé. En cas d’acidose lactique aiguë sévère, accompagnée de défaillance multi-viscérale ou d’encéphalopathie aiguë, un « cocktail vitaminique de sauvetage » peut être proposé dans l’attente d’un diagnostic étiologique. En pratique, on proposera une vitaminothérapie par B1 (thiamine 100 à 250 mg/j), B2 (riboflavine 50 à 100 mg/j), B8 (biotine 10-20 mg/j) et levocarnil (50-100 mg/kg/j) [1].

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts en relation avec cet article.

Ce Pas à Pas a été validé par la Société française des erreurs innées du métabolisme

Références

[1] Valayannopoulos V, Arnoux JB, Rio M, de Lonlay P. Conduite à tenir devant une acidose lactique. Arch Pediatr 2009;16:637-9.

[2] Kraut JA, Madias NE. Lactic Acidosis: Current treatments and future directions. Am J Kidney Dis 2016;68:473-82.