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Date de mise à jour 27/05/2024

Urticaire chronique de l’enfant

 

A. Lasek Duriez1, L. Martin2, P. Cros3

1Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Université catholique de Lille, Lille, France
2Service de dermatologie, CHU Angers, Angers, France
33Service de pédiatrie, CHU Morvan, Brest, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : lasek.audrey@ghicl.net (A. Lasek-Duriez).
 

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Article validé par :

Société Française de Dermatologie Pédiatrique (SFDP)

Société Pédiatrique de Pneumologie et d’Allergologie (SP2A)

 

Introduction

L’urticaire chronique (UC) est définie par la présence d’urticaire et/ou d’angioedème pendant plus de 6 semaines sur un mode permanent ou récidivant. L’urticaire chronique est souvent considérée à tort d’origine « allergique » par les parents ou les praticiens, mais il s’agit d’une dermatose inflammatoire par hyperactivité non spécifique des mastocytes cutanés, le plus souvent en contexte d’auto-immunité ou de dysimmunité (atopie).

Chez l’enfant, il y a peu d’études sur l’urticaire chronique ; pourtant cette pathologie n’est pas si rarement rencontrée en pratique clinique. La prévalence estimée est de 0,1 à 0,3 % chez l’enfant. Le retentissement sur la vie quotidienne peut être majeur. Il n’existe pas de recommandations spécifiques de prise en charge chez l’enfant, contrairement à l’adulte.

Conduite à tenir face à une urticaire chronique

Diagnostic

(1) Le diagnostic d’urticaire est clinique.

Les lésions élémentaires consistent en des papules érythémateuses et oedémateuses, prurigineuses, fugaces, c’est-à-dire que chaque lésion ne persiste pas plus de 24 heures au même endroit et disparaît sans anomalie cutanée résiduelle (figure 1). Les lésions d’urticaire superficielle peuvent être associées ou non à des épisodes d’angioedème (urticaire profonde, cutanée ou muqueuse) pouvant durer jusqu’à 72 heures (figure 2). Plus rarement, les angioedèmes sont isolés. On parle d’urticaire chronique (UC) si les lésions cutanées surviennent sur un mode permanent (quotidien ou quasiquotidien) ou récurrent (de fréquence variable mais non définie de façon consensuelle) pendant plus de 6 semaines. La présentation urticaire chronique superficielle isolée / urticaire chronique superficielle associée à des angioedèmes récurrents / angioedèmes isolés récurrents ne modifie pas le raisonnement diagnostique. L’angioedème du visage ne constitue pas un signe de gravité, mais une forme d’urticaire profonde. L’angioedème laryngé n’est observé que dans certaines UC au froid (après consommation ou exposition à un produit froid) et est exceptionnel.

Figure 1. Lésions élémentaires d’urticaire. (photo fournie par A. Lasek-Duriez)

 

Figure 2. Angioedème. (photo fournie par A. Lasek-Duriez)

(2) Les diagnostics différentiels à évoquer sont :
• les syndromes auto-inflammatoires, à discuter en cas d’UC chez le jeune nourrisson et/ou en cas d’association à de la fièvre, une surdité, etc. ;
• les vascularites urticariennes, en cas de plaques urticariennes fixes (durant plus de 24 heures) plus souvent douloureuses que prurigineuses et de manifestations extracutanées (arthralgies, douleurs abdominales, etc.) ;
• les mastocytoses, en particulier maculopapuleuses (ex. : « urticaires pigmentaires ») ; les lésions élémentaires initiales laissent place à des macules pigmentées ; les mastocytoses cutanées sévères peuvent être associées à des lésions bulleuses lors des poussées, ce qui n’est jamais le cas dans le cadre d’une urticaire commune.

(3) Les seuls examens complémentaires systématiques sont NFS-plaquettes et CRP, essentiellement prescrits pour éliminer un syndrome auto-inflammatoire.

En cas d’orientation vers une UC inductible, des tests physiques (froid, chaud, pression, effort, etc.) peuvent être réalisés en consultation de dermatologie pédiatrique compte tenu de la standardisation nécessaire. Seul le dermographisme est simple à rechercher par tout praticien en frottant la peau à l’aide d’une pointe de stylo (figure 3).

Figure 3. Dermographisme. (photo fournie par A. Lasek-Duriez)

En cas de suspicion d’UC dans le cadre d’une auto-immunité plus large, on peut demander selon les cas : TSH, AAN, anticorps anti-TPO. En cas de suspicion de vascularite urticarienne, une biopsie cutanée est nécessaire.

L’urticaire chronique n’est pas d’origine allergique : il n’y a pas d’indication à réaliser un bilan allergologique explorant une allergie immédiate et permettant d’identifier un allergène dont l’éviction permettrait la guérison de l’urticaire. Dans ce contexte, l’association à un terrain atopique n’est pas clairement expliquée.

On distingue l’urticaire chronique inductible et l’urticaire chronique spontanée (UCS).

(4) L’urticaire chronique inductible est liée à un facteur déclenchant précis et reproductible : pression cutanée (dermographisme, survenant immédiatement ; ou UC à la pression, retardée, ou après vibration), urticaire cholinergique à l’effort, urticaire solaire, urticaire aquagénique, urticaires au froid ou au chaud.

(5) L’urticaire chronique spontanée (UCS) est la plus fréquente, parfois intriquée avec un dermographisme.

L’UCS survient typiquement chez un patient atopique ou encore dans le cadre d’une auto-immunité isolée ou plus large (thyroïdite, connectivite, etc.) en lien avec la présence d’auto-anticorps de type IgG dirigés contre la sous-unité alpha du récepteur aux IgE des mastocytes dermiques (ces auto-anticorps ne sont pas recherchés en pratique clinique).

Dans tous les cas, les facteurs déclenchants et d’entretien sont multiples : infections, vaccins, stress, etc. Certains médicaments sont susceptibles d’activer les mastocytes de façon pharmacologique (= indépendante des IgE, donc de mécanisme non allergique) : AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens), morphiniques, produits de contraste iodés, etc. Ils peuvent être des facteurs d’aggravation ou d’entretien d’une UCS.

La durée d’évolution peut aller de quelques mois à plusieurs années : 50 % de résolution à 5 ans, avec comme facteurs de risque de persistance la sévérité de la maladie et le début après l’âge de 10 ans.

Prise en charge thérapeutique

(6) Trépied de la prise en charge
• Identification et élimination des causes inductibles sous-jacentes, et des facteurs d’aggravation ou d’entretien (dont la prise de médicaments). Aucun régime alimentaire n’est nécessaire.
• Évaluation de la qualité de vie : utile pour guider la prise en charge thérapeutique.
• Traitements médicamenteux.
Afin d’évaluer le retentissement de la maladie, plusieurs scores objectifs et subjectifs sont disponibles tels que le score d’activité de l’urticaire ou de l’angiodème (UAS, AAS), le questionnaire de qualité de vie sur l’urticaire chronique ou l’angioedème (CU-Q2oL ou AE-QoL) ou encore le score de contrôle de l’urticaire (SCU).

Traitements médicamenteux

Les anti-H1 de 2° génération sont le traitement de référence de l’UC.

Les anti-H1 de 2° génération ayant fait la preuve d’efficacité et de sécurité chez l’enfant sont : desloratadine (à partir de 1 an, en pratique prescrit hors AMM avant cet âge), cétirizine, lévocétirizine, loratadine, bilastine (à partir de 12 ans). Il faut éviter les anti-H1 de 1° génération qui ont des effets anticholinergiques et sédatifs. Leur objectif est la prévention de la survenue de l’urticaire et/ou des angioedèmes afin d’améliorer la qualité de vie de l’enfant, et non le traitement symptomatique « au coup par coup ». Leur efficacité n’est que suspensive et ne modifie pas l’histoire naturelle de l’UC.
1° ligne : anti-H1 à dose simple, à adapter à l’âge et/ou au poids, au long cours pendant 4 à 6 semaines.
2° ligne : anti-H1 à dose augmentée double, puis triple et enfin quadruple si nécessaire (rassurer les parents que le recours à ces doses est possible et stipuler sur l’ordonnance « selon la conférence de consensus de l’UCS » pour ne pas que l’on pense qu’il puisse s’agir d’une erreur). La répartition de la dose en deux prises (matin et soir) est souvent privilégiée. Une réévaluation clinique peut être faite toutes les 2 semaines. La tolérance des doses augmentées est bonne. Il existe un risque d’allongement de l’espace QT et de torsades de pointes, dose-dépendant, pour certaines molécules. Parmi les anti-H1 de 2° génération, il convient ainsi de ne pas prescrire l’ébastine, la bilastine et la mizolastine aux patients porteurs d’un QT long congénital ou acquis et ne pas les associer aux médicaments allongeant l’intervalle QT ou susceptibles d’induire des torsades de pointes. Il n’y a pas d’interaction médicamenteuse rapportée avec la cétirizine, la lévocétirizine, la desloratadine.
3° ligne : avis spécialisé si les symptômes persistent après 2 à 4 semaines d’anti-H1 dose quadruple.

Dans cette situation, il peut être prescrit de l’omalizumab, un anticorps monoclonal anti-IgE ayant l’AMM dans l’urticaire chronique spontanée à partir de 12 ans à la posologie de 300 mg par voie sous-cutanée toutes les 4 semaines et parfois proposé dès 6 ans selon les cas, dans les centres spécialisés (AMM dans l’asthme à partir de cet âge). Ce médicament est à prescription initiale hospitalière annuelle (levée de la PIH en cours de discussion lors de la rédaction de cet article) ; sa prescription initiale et le renouvellement sont réservés aux spécialistes en pneumologie, pédiatrie, dermatologie, médecine interne et allergologie.

En dernier recours, dans les cas résistants à l’omalizumab, un traitement immunosuppresseur (ciclosporine notamment, méthotrexate) peut être proposé.

Les associations au kétotifène, au montélukast et à la colchicine ont montré un faible niveau de preuve et ne sont pas recommandées.

(9) Les corticoïdes systémiques ne sont pas indiqués, surtout lors des poussées ; ils favorisent la chronicité de l’urticaire.

(10) Éducation thérapeutique

Comme pour toute dermatose chronique, l’éducation thérapeutique permet au patient d’être plus autonome dans la gestion de sa maladie. Pour l’UC, l’ETP a pour objectifs d’expliquer au patient qu’il s’agit d’une dermatose chronique immunologique qui n’est pas d’origine allergique, qu’il doit savoir adapter son traitement antihistaminique en fonction des poussées, qu’il n’y a pas de risque vital (absence d’angioedème asphyxique) et qu’il ne doit pas faire de régime alimentaire spécifique ni utiliser de corticoïdes systémiques.

Conclusion

L’UC se caractérise par la survenue quotidienne ou quasi quotidienne de plaques avec ou sans angioedème pendant plus de 6 semaines. Cette pathologie est beaucoup plus rare que l’urticaire aiguë, souvent virale, chez les enfants.

Le bilan biologique de première intention se limite à une NFS et une CRP. Les tests allergologiques ne sont pas indiqués. Le traitement de première intention repose sur les anti-H1 de 2° génération au long cours, dont les doses peuvent être progressivement augmentées jusqu’à une dose quadruple sans risque particulier.

L’évolution naturelle de l’UC est la rémission complète des symptômes chez 50 % des enfants à 5 ans. L’omalizumab a l’AMM à partir de 12 ans dans l’UC résistant à un traitement antihistaminique bien conduit.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2024 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble.

Références

Lee SJ, Ha EK, Jee HM, et al. Prevalence and risk factors of urticaria witha focus on chronic urticaria in children. Allergy Asthma Immunol Res. 2017 May;9(3):212-9.

Zuberbier T, Aberer W, Asero R, et al. The EAACI/GA2LEN/EDF/WAO guideline for the definition, classification, diagnosis and management of urticaria. The 2017 revision and update. Allergy. 2018 Jul;73(7):1393-414.

Cornillier H, Giraudeau B, Munck S, et al. Chronic spontaneous urticaria in children – a systematic review on interventions and comorbidities. Pediatr Allergy Immunol. 2018 May;29(3):303-10.

Cornillier H, Maruani A. Urticaire chronique de l’enfant : diagnostic et prise en charge. Perfectionnement en Pédiatrie. 2018 Dec;1(4):229-36.

Hacard F, Giraudeau B, d’Acremont G, et al. Prise en charge de l’urticaire chronique spontanée : recommandations françaises. Ann Dermatol Venereol. 2023 Mar;3(2):83-90.