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Date de mise à jour 26/05/2023

Acrosyndrome chez l’enfant

 

F. Zekre*, A. Belot

Service de néphrologie-rhumatologie et dermatologie pédiatrique, hôpital Femme-Mère-Enfant, Hospices Civils de Lyon, Bron, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : franck.zekre@chu-lyon.fr (F. Zekre).
 

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Article validé par :

Société Française de Dermatologie Pédiatrique (SFDP)

Société Francophone de Rhumatologie Et de Maladie Inflammatoire Pédiatrique (SOFREMIP)

 

Introduction

Les acrosyndromes regroupent un ensemble de pathologies qui se caractérisent par des troubles des extrémités (modification de la coloration, trouble de la sensibilité thermo-algique), le plus souvent d’origine vasculaire. La distinction entre forme primitive et secondaire d’acrosyndrome chez l’enfant repose essentiellement sur l’anamnèse, l’examen clinique, et dans certains cas sur des examens complémentaires

Conduite diagnostique devant un acrosyndrome chez l’enfant

(1) L’interrogatoire et l’examen clinique constituent des éléments importants dans l’orientation diagnostique des acrosyndromes. Le clinicien s’intéresse à l’âge du début des symptômes, au caractère paroxystique (survenant sur quelques minutes, voire quelques heures) ou semi-permanent (quelques jours), voire permanent, aux antécédents familiaux, à la prise récente de médicaments (vasoconstricteurs, méthylphénidate) ou toxiques chez l’adolescent (nicotine, cannabis, LSD, cocaïne), aux facteurs déclenchants ou calmants et aux anomalies cliniques associées : atteintes neurologiques, retard statural et modifications de l’aspect cutané notamment.

(2) En l’absence de modification de la couleur locale, les acrosyndromes sont essentiellement non vasculaires. On parle volontiers d’acroparesthésie. Les manifestations seront des sensations de brûlure, de picotement, de piqûre, de raideur et surtout d’engourdissement des extrémités. En pédiatrie, les acroparesthésies s’observent soit dans le cadre de la maladie de Fabry (essentiellement chez le garçon car lié à l’X, exacerbées par l’effort ou la fièvre), soit dans le cadre de poly neuropathies périphériques pouvant regrouper plusieurs étiologies différentes. Il est donc nécessaire, devant des acroparesthésies, d ’effectuer le dosage enzymatique sanguin de l’activité alpha-galactosidase chez le garçon ou une mesure du Lyso-Gb3 plasmatique (plus sensible) chez la fille. Dans le cadre d’une activité effondrée de l’alpha-galactosidase ou d’une augmentation du Lyso-Gb3, le patient sera orienté vers les centres de référence/de compétence de prise en charge de la maladie de Fabry. Si le dosage réalisé est normal, le patient sera adressé vers un neuropédiatre.

(3) En cas de modification de la couleur locale, on évoque un acrosyndrome vasculaire. L’interrogatoire devra éliminer une cause médicamenteuse (bêta-bloquants, méthylphénidate, vasoconstricteurs), déterminer le caractère paroxystique ou permanent de l’acrosyndrome, et identifier l’existence de troubles trophiques associés.

(4) Les acrosyndromes vasculaires non paroxystiques regroupent les acrocyanoses, les troubles trophiques et les engelures.

(4a) La physiopathologie de l’acrocyanose se caractérise par une stase sanguine des capillaires des extrémités. Elle se manifeste par des mains froides avec une coloration permanente bleue ou rouge des doigts. Elle touche volontiers le sujet mince, dénutri, et en particulier les adolescents atteints de troubles du comportement alimentaire. Aucun examen complémentaire n’est nécessaire en absence d’anomalie clinique associée à l’acrocyanose. Il n’existe pas de traitement spécifique efficace, et l’acrocyanose n’impose pas de suivi particulier, dans la mesure où elle représente surtout une gêne esthétique.

(4b) Les troubles trophiques avec pertes de substance témoignent d’une atteinte vasculaire sous-jacente. Un lupus, une vascularite, la présence d’anticorps anti-phospholipides (APL), une sclérodermie et une endocardite sont recherchés.

(4c) Les engelures sont des lésions dermiques (papules uniques ou multiples) inflammatoires liées à une hypersensibilité au froid. Elles siègent à la face dorsale des doigts et orteils, des talons, des genoux, des coudes, des oreilles, du visage, et surviennent pendant l’hiver. Elles peuvent aussi s’intégrer dans le cadre des acrosyndromes semi-permanents, c’est-à-dire persistants sur plusieurs jours. Lorsqu’elles surviennent chez l’enfant ou l’adolescent (nourrisson exclu), avec exposition préalable au froid et sans autre anomalie clinique, aucun examen complémentaire n’est nécessaire (forme primitive ou essentielle). La prise en charge de ces formes se résume à la protection contre le froid (port de gants). La survenue sans exposition au froid implique un avis spécialisé (rhumatologie ou dermatologie pédiatrique) et la réalisation d’examens complémentaires (NFS, Anticorps antinucléaire (AAN), Cryofibrinogène, APL, C3, C4, CH50). En cas de survenue d’engelures à un âge précoce (en particulier avant 5 ans) et/ou si présentation atypique (localisations multiples, nez, oreilles, atteinte sévère persistante pendant les périodes tempérées), le patient devra être adressé à un rhumato- ou dermato- pédiatre qui pourra être amené à réaliser une recherche d’interféronopathie de type I (recherche d’autres signes cliniques évocateurs, dosage IFN (interféron) alpha sérique, signature IFN, recherche génétique +/- TDM cérébrale et pulmonaire). On peut citer parmi ces interféronopathies de type I le syndrome d’Aicardi-Goutières, qui se manifeste typiquement par une encéphalopathie spastique précoce avec des calcifications cérébrales (mutations TREX1, SAMHD1, RNASEH2A/2B/2C, ADAR1, IFIH1, LSM11, RNU 7-1), le syndrome SAVI ou COPA avec atteinte pulmonaire et vascularite (mutations STING1, COPA) et le lupus-engelure familial (mutations TREX1, SAMHD1, STING1).

(5) Les acrosyndromes vasculaires paroxystiques constituent la grande majorité des acrosyndromes et peuvent être classés en fonction du facteur déclenchant leur survenue.

Les engelures et le phénomène de Raynaud sont déclenchés par l’exposition au froid.

Les engelures sont rarement paroxystiques, et durent plus souvent plusieurs jours ou semaines (cf. 4a ).

(5a) Le phénomène de Raynaud constitue l’acrosyndrome le plus fréquent. Il se caractérise par une décoloration des doigts évoluant généralement en 3 phases de durée variable : pâleur (ou phase syncopale), cyanose et hyperhémie. Il est classiquement douloureux et seule la phase syncopale est obligatoire pour définir le syndrome de Raynaud ; on parle de forme incomplète si la phase de cyanose et/ou d’hyperhémie est absente. Il est le plus souvent primitif en pédiatrie, cependant sa survenue impose la réalisation d’un bilan (NFP, VS, CRP, AAN (si positif, typage des antigènes extractibles du noyau des cellules – ENA) et capillaroscopie) afin d’éliminer une connectivite (lupus, sclérodermie systémique, myosite). En cas d’anomalie sur le bilan, le patient sera adressé à un rhumato-pédiatre.

(5b) L’érythermalgie est un acrosyndrome paroxystique déclenché par la chaleur et amélioré par le froid. Elle peut être d’origine génétique par mutation autosomique dominante du gène SCN9A codant pour un canal sodique des neurones périphériques. Elle peut aussi survenir dans un contexte de connectivite, de dysthyroïdie, de neuropathie périphérique, de syndromemyéloprolifératif ou de prise de toxiques (dont le mercure). Le bilan à réaliser est le suivant, idéalement après avis spécialisé : TSH, NFS, AAN, recherche de toxiques, génétique (mutation SCN9A), mesure des conductances électrochimiques cutanées (CEC) par Sudoscan, +/- myélogramme, +/- dosage du mercure en cas de suspicion d’exposition environnementale. En l’absence d’anomalie des examens complémentaires, on conclura donc à une cause primitive.

(5c) Le syndrome BASCULE (Bier Anemic Spots Cyanosis and Urticaria-Like Eruption) ou dermatose bleu-blanc-rouge est un phénomène vasomoteur paroxystique et récurrent de caractère bénin, chronique, siégeant sur les extrémités. Il survient en position ortho statique et immobile. Il se caractérise par le développement successif d’une acrocyanose, de macules pâles et d’une éruption pseudo- urticarienne. La physiopathologie n’est pas totalement élucidée, elle associerait de façon successive une stase veineuse et une vasoconstriction artérielle avec comme facteur déclenchant une compression mécanique vasculaire. Il existe 2 formes de présentation :
• chez le nourrisson : apparition d’un oedème, d’une douleur, d’une éruption cutanée et d’une asymétrie d’un membre après le port de l’enfant, avec une régression rapide en quelques minutes après la mise en position allongée. La fréquence cardiaque et la tension artérielle doivent alors être mesurées, car la pathologie peut être associée à une tachycardie et une hypotension avec comme conséquence la survenue de malaises justifiant un suivi cardio-pédiatrique. La réalisation de l’échographie Doppler du membre concerné afin d’éliminer une thrombose ou une sténose vasculaire est parfois proposée. Si l’ensemble des explorations ne retrouve pas d’anomalie, l’arrêt du facteur déclenchant permet un retour à la normale et la symptomatologie disparaîtra à l’acquisition de la marche ;
• chez l’adolescent : survenue en position debout depuis plus de 5 minutes avec une réversion en clinostatisme. L’association avec le syndrome de tachycardie posturale orthostatique est fréquente : pour cette raison, il est préconisé une mesure de la fréquence cardiaque au repos et après orthostatisme de plus de 10 minutes. Si on constate une augmentation supérieure à 40 battements/minutes, alors le diagnostic de tachycardie posturale orthostatique est confirmé, avec risque d’hypotension orthostatique et de syncope. Le patient devra être adressé à un cardiologue pour d’autres explorations. Le traitement du syndrome BASCULE chez l’adolescent est symptomatique : port de chaussettes de contention, et éventuellement anti- histaminique si prurit sévère.

Conclusion

Les manifestations cliniques des acrosyndromes sont variées : l’anamnèse et l’examen clinique permettent de classer l’acrosyndrome et de faire un diagnostic, parfois étayé par des examens complémentaires. Le phénomène de Raynaud, contrairement à l’adulte, peut être incomplet chez l’enfant et impose la réalisation d’un bilan complémentaire afin d’éliminer une cause secondaire. Par ailleurs, un bilan biologique, voire un avis spécialisé s’impose d’emblée devant la survenue d’engelures chez le jeune enfant et devant l’apparition d’un trouble trophique.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2023 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble et Sanofi.

Quelques photos d’acrosyndromes (Photos fournies par A. Phan) :

Références

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Crow.YJ, Chase DS, Schmidt JL, Szynkiewicz M, Forte GMA, Gornall HL, et al. Characterization of human disease phenotypes associated with mutations in TREX1, RNASEH2A, RNASEH2B, RNASEH2C, SAMHD1, ADAR, and IFIH1. Am J Med Genet A 2015;167A(2):296-312. DOI: 10.1002/ajmg.a.36887.

Mann N, King T, Murphy R. Review of primary and secondary erythromelalgia. Clin Exp Dermatol. 2019;44(5):477-82.

Bessis D, Jeziorski É, Rigau V, Pralong P, Pallure V. Bier anaemic spots, cyanosis with urticaria-like eruption (BASCULE) syndrome: a new entity? Br J Dermatol. 2016;175(1):218-20.

Les clés du diagnostic FAI2R: Rédaction : Dr B. Bader-meunier, Pr E. Hachulla, Dr JB. Monfort, Dr P. Senet (Janvier 2022).