Vous êtes ici


Thématique:

Date de mise à jour 21/05/2021

Interprétation d’un bilan thyroïdien limite chez l’enfant (après 3 ans)

 

I. Oliver Petit

Unité d’endocrinologie, génétique, maladies osseuses et gynécologie de l’enfant, Hôpital des enfants, TSA 70034, 31059 Toulouse, Cedex 9, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : oliver.i@chu-toulouse.fr (I. Oliver-Petit).
 

Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
 
 
Article validé par :

SFEDP (Société Française d’Endocrinologie et Diabétologie Pédiatrique)

 

Remerciements aux relecteurs :

R. Coutant

M. Polak (SFEDP)

Introduction

Les signes d’appel des dysthyroïdies sont souvent peu spécifiques chez l’enfant, en dehors de l’existence d’un goitre et du retentissement sur la vitesse de croissance staturale. La prescription d’un bilan thyroïdien pour une symptomatologie isolée (un seul signe ou symptôme) et peu spécifique (fatigue, frilosité, prise de poids) doit être évitée. Trop de bilans thyroïdiens sont prescrits en excès, confrontant le pédiatre puis l’endocrinopédiatre sollicité à l’interprétation de résultats souvent limites. Les hormones thyroïdiennes (HT) exercent une action essentielle dans le développement du système nerveux central, en particulier chez le jeune enfant, ainsi que sur la croissance : s’il est important d’identifier avec précision les situations pathologiques acquises ou congénitales révélées par ces anomalies, il faut aussi éviter les explorations et traitements non justifiés chez l’enfant. Ce document a pour objectif de donner quelques clés pratiques pour l’interprétation d’un bilan thyroïdien limite chez l’enfant après l’âge de 3 ans.

Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien limite

(1) Les variations de la thyréostimuline (TSH) sont le témoin biochimique de la production des HT et de sa régulation hypothalamo-hypophysaire : le dosage de la TSH est considéré comme le meilleur témoin d’une dysthyroïdie primaire et donc la base de la démarche diagnostique. En dehors de la période néonatale, les normes pour la TSH, comme celles des HT, varient modérément selon les kits de dosage utilisés ; les guidelines de l’Association européenne thyroïde (ETA) recommandent de se référer chez l’enfant aux normes pour l’âge et le sexe même s’il n’existe pas de consensus. Pour simplifier, une TSH sera considérée comme normale entre 0,5 et 5 mUI/L. Il est utile de se souvenir que ces limites correspondent aux 3e et 97e percentiles de la population normale, et que des valeurs en deçà ou au-delà de ces seuils ne sont donc pas synonymes de pathologie. Pour les HT, les limites hautes des normes chez l’enfant jusqu’à la fin de la puberté sont modérément plus élevées que chez l’adulte et il est important en cas de doute de s’y référer.

Valeur de TSH dans les limites de la norme (0,5-5 mUI/L)

(2) Si la valeur de la TSH est entre 0,5 et 5 mUI/L (limites de la norme), le bilan thyroïdien doit être interprété comme normal, sans nécessité de poursuivre les explorations, sauf s’il existe un contexte pathologique particulier : ralentissement de la vitesse de croissance staturale, goitre, signes neurologiques comme un retard de développement psychomoteur ou une atteinte neuromusculaire. En effet, en cas d’hypothyroïdie centrale, la TSH peut être normale, voire modérément élevée car de forme biologiquement inactive ; dans ce cas les HT dosées concomitamment seront basses et inadaptées au taux de TSH. Ce résultat oriente vers une pathologie hypothalamo- hypophysaire et nécessite un bilan endocrinien rapide et complet, ainsi qu’une imagerie hypophysaire pour éliminer une pathologie tumorale. Chez un enfant avec contexte neurologique ou syndromique, une TSH normale ou très modérément élevée associée à une discordance entre les taux de T4L et de T3L oriente vers un tableau de résistance aux HT ou d’anomalie rare du métabolisme des HT, nécessitant un avis spécialisé et une recherche génétique (transporteur 8 de monocarboxylate [MCT8], selenium-binding protein 3 [SBP3]).

TSH abaissée (< 0,5 mUI/L)

(3) Si la TSH est < 0,5 mUI/L, le bilan est complété par un dosage des HT, des anticorps (ac) anti-thyroperoxydase (TPO) et anti-récepteur de la TSH (TSHR) spécifiques de la maladie de Basedow, diagnostic le plus probable et dont le traitement chez l’enfant relève d’une prise en charge spécialisée : échographie, antithyroïdiens de synthèse. Attention, devant un tableau biologique évocateur de maladie de Basedow (HT élevées, ac positifs) mais sans signe clinique d’hyperthyroïdie associé, on recherchera une prise de biotine exogène (médicament, complément alimentaire) qui peut faussement perturber le bilan thyroïdien et positiver les ac. L’absence d’auto-immunité avec une TSH basse et HT normales ou élevées orientent vers une hyperthyroïdie non auto-immune par anomalie génétique du récepteur à la TSH.

TSH modérément élevée (5-10 mUI/L)

(4) Dans les situations de surpoids ou d’obésité, il a été démontré que la TSH s’élève proportionnellement à l’indice de masse corporelle (IMC), ceci n’étant que le témoin du surpoids (normalisation du bilan thyroïdien avec la perte de poids). Il est actuellement recommandé de ne pas doser la TSH dans ces situations sauf si la vitesse de croissance staturale est anormale. Il ne faut donc pas recontrôler la TSH si elle s’avère modérément élevée (dans l’obésité commune, la TSH dépasse rarement 7 mUI/L) dans le cadre d’un bilan systématique.

(5) Dans tous les autres cas, la TSH devra être contrôlée sans urgence, à 1 ou 2 mois, avec dosage couplé de la T4L et des ac anti-TPO. Le dosage des ac anti-thyroglobulines (TGO) ne présente aucun intérêt car non spécifique. Le dosage de la T3L n’est pas nécessaire.

(6) Dans la très grande majorité des cas (3/4), la TSH se normalise au contrôle. Aucun suivi n’est alors préconisé.

(7) L’hypothyroïdie subclinique (HSC) est un statut biochimique avec une TSH qui persiste au-dessus du taux de référence alors que la T4L est dans l’intervalle de référence pour l’âge. Sa prévalence est d’environ 2 %. L’HSC n’a pas de retentissement clinique.

Quand la TSH est < 10 mUI/L, l’HSC est dite « modérée » et ne nécessite ni échographie ni traitement substitutif, sauf en cas de goitre significatif ou d’antécédent d’irradiation (y compris prégreffe).

(8) Dans une situation d’HSC modérée isolée, il a été montré qu’il n’y a aucun risque à ne pas traiter ces enfants tant sur le plan de la croissance, de la prise pondérale, du devenir neurologique ou sur le plan métabolique. L’indication d’un traitement sera discutée en fonction de la présence ou non d’ac anti-TPO avec une surveillance biologique initiale à 6 mois.

(9) Si l’HSC est secondaire à une maladie chronique (insuffisance rénale…) ou à un traitement associé (antiépileptique, INFα…) en dehors d’un terrain d’auto-immunité, dès lors que la TSH est < 10 mUI/L, la poursuite du suivi biologique ne sera pas systématique, mais uniquement sur signe d’appel évocateur d’une hypothyroïdie clinique. Il en est de même pour les hyperTSHémies congénitales idiopathiques suivies au cours des premiers mois de vie.

(10) En cas d’HSC idiopathique, sans auto-immunité, environ 40 % des patients verront leur TSH se normaliser à 5 ans et près de 50 % vont conserver cette HSC stable. Au final, très peu de patients évolueront vers une hypothyroïdie clinique nécessitant un traitement. Le suivi biologique, si la TSH reste stable, pourra donc être progressivement espacé (tous les 6, 12 puis 24 mois) puis arrêté.

(11) Si au cours du suivi la TSH est > 10 mUI/L, on parle alors d’HSC sévère : dans ce cas, un traitement substitutif par lévothyroxine est préconisé par les recommandations.

(12) Parmi les HSC modérées, seul un terrain prédisposant à l’auto-immunité (ac anti-TPO positifs, diabète de type 1, maladie coeliaque, syndrome de Turner ou trisomie 21) peut faire poser l’indication d’un traitement : dans ce cas, la surveillance biologique est maintenue tous les 6 mois avec une indication de substitution si la TSH s’élève progressivement, en particulier lorsqu’elle dépasse 7,5 mUI/L.

Conclusion

Un bilan thyroïdien chez l’enfant ne doit jamais être prescrit de manière systématique, sauf dans des situations de pathologie syndromique (en particulier neurologique) ou de maladies prédisposantes. Seuls des signes cliniques patents d’hyperthyroïdie ou d’hypothyroïdie, en particulier un ralentissement de la croissance staturale ou la mise en évidence d’un goitre, peuvent le justifier. Le surpoids isolé, sans ralentissement de croissance, n’est pas une indication. L’HSC est une situation fréquente, la plupart du temps bénigne, qui va très peu évoluer vers une hypothyroïdie clinique et qui ne nécessite donc généralement pas de traitement substitutif.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2021 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble et Sanofi Pasteur.

Références

2014 European Thyroid Association Guidelines for the Management of Subclinical Hypothyroidism in Pregnancy and in Children. Eur Thyroid J 2014;3:76‑94. DOI: 10.1159/000362597.

Taylor PN, Sayers A, Okosieme O, Das G, Draman MS, Tabasum A, et al. Maturation in Serum Thyroid Function Parameters Over Childhood and Puberty: Results of a Longitudinal Study. J Clin Endocrinol Metab 2017;102:2508‑15. DOI:10.1210/jc.2016‑3605.

Krause AJ, Cines B, Pogrebniak E, Sherafat-Kazemzadeh R, Demidowich AP, Galescu OA, et al. Associations between Adiposity and Indicators of Thyroid Status in Children and Adolescents. Pediatr Obes 2016 ;11 :551‑8. DOI: 10.1111/ijpo.12112.