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Date de mise à jour 30/05/2022

Saignements abondants d’origine utérine chez l’adolescente

 

V. Vautier

Unité d’endocrinologie, diabétologie et de gynécologie de l’enfant et de l’adolescente, Hôpital des enfants, place Amélie-Raba-Léon, 33000 Bordeaux, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : vanessa.vautier@chu-bordeaux.fr (V. Vautier).
 

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Article validé par :

SFEDP (Société Française d’Endocrinologie et Diabétologie Pédiatrique)

SFSA (Société Française pour la Santé de l’Adolescent)

 

Remerciements aux relecteurs :

A. Cartault (SFEDP)

C. Stheneur

R. de Tournemire (SFSA)

Introduction

Les saignements abondants d’origine utérine ont été définis par la FIGO (International Federation of Gynecology and Obstetrics) comme tout saignement menstruel ou intermenstruel excessif qui interfère avec la santé physique, émotionnelle et la qualité de vie des femmes. Ils pourraient concerner 10 à 30 % des adolescentes sans antécédent particulier d’après des études récentes.

Conduite à tenir face à des saignements abondants d’origine utérine chez l’adolescente

(1) Évaluation clinique

(1a) Examen clinique à la recherche de signes de gravité et/ou orientant vers une étiologie

(1a) Examen clinique à la recherche de signes de gravité et/ou orientant vers une étiologie

L’examen clinique recherche en 1er lieu des signes de mauvaise tolérance de l’anémie : tachycardie, hypotension, dyspnée, désaturation, céphalées, vertiges, nécessitant une prise en charge urgente (cf. ci-dessous). La palpation abdomino-pelvienne et l’inspection vulvaire permettent de s’assurer de l’absence de masse palpable et de l’absence de traumatisme génital. L’inspection de la peau et des muqueuses recherche la présence de pétéchies et/ou hématomes pouvant orienter vers une maladie hémorragique constitutionnelle ou acquise. Les signes cliniques d’hyperandrogénie (hirsutisme, acné sévère, hyperséborrhée) sont également à préciser.

(1b) Évaluation globale du contexte gynécologique

L’interrogatoire permet de préciser l’âge de la ménarche, l’existence d’une activité sexuelle, la prise d’un traitement hormonal ou contraceptif.

Les saignements utérins sont considérés comme anormaux soit par leur abondance (> 80 ml par cycle) et/ou leur durée (> 7 jours) et/ou leur fréquence (< 21 jours). Il peut donc s’agir de saignements abondants menstruels ou intermenstruels.

Le score de Higham (Tableau 1) est un outil pour évaluer de manière objective et semi-quantitative les pertes sanguines menstruelles. L’utilisation de ce score doit être expliquée aux adolescentes afin d’augmenter leur sensibilité. Les saignements menstruels sont définis comme abondants si le score est > 100 points, correspondant à une perte sanguine d’un volume > 80 ml par cycle.

(1c) Recherche d’un contexte hémorragique spécifique

L’interrogatoire doit rechercher des éléments pouvant orienter vers une maladie hémorragique constitutionnelle : des antécédents de maladie hémorragique familiale, des épisodes de saignements après extraction dentaire ou chirurgie, des saignements et ecchymoses faciles, des épistaxis et gingivorragies fréquentes, des antécédents de saignements digestifs ou du système nerveux central. Il faut également vérifier une éventuelle prise de médicament pouvant interférer avec la coagulation ; anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), anticoagulants.

(2) Évaluation paraclinique

Le bilan paraclinique de 1re intention est le suivant : numération formule sanguine (NFS), plaquettes, taux de prothrombine (TP), temps de céphaline activée (TCA), ferritine, fibrinogène, facteur Willebrand antigène et activité, facteur VIII, βhCG, Thyroid Stimulating Hormone (TSH), échographie pelvienne. Il est notamment nécessaire d’éliminer le diagnostic de grossesse.

Toute anomalie du bilan de coagulation doit faire prendre l’avis d’un médecin spécialiste de l’hémostase pour orientation diagnostique et bilan de 2nde intention : explorations des fonctions plaquettaires, de la fibrinolyse et dosage du facteur XIII, selon les cas. Le stress et l’utilisation de fortes doses d’oestrogènes sont susceptibles d’augmenter le taux de facteur Willebrand. Il est donc nécessaire de recontrôler dans un second temps et à distance de l’épisode hémorragique le facteur Willebrand chez les patientes ayant un dosage initial anormal et/ou présentant un phénotype hémorragique sévère (score de Higham > 150 par cycle).

L’échographie pelvienne permet de vérifier l’absence d’anomalie anatomique ou malformative utérine, l’absence de kyste ovarien et de masse pelvienne.

(3) Étiologies

(3a) La maladie hémorragique constitutionnelle ou acquise (MHCA)

Elle concerne, suivant les études, jusqu’à 20‑30 % des adolescentes qui présentent des saignements utérins abondants. Le diagnosticle plus fréquent est celui de la maladie de Willebrand, devant les anomalies de la fonction plaquettaire puis les thrombopénies, les déficits en facteur de la coagulation et les anomalies du fibrinogène.

(3b) La dysfonction ovulatoire

La dysfonction ovulatoire est l’étiologie principale des saignements abondants utérins chez l’adolescente (70‑80 %). Il s’agit d’un diagnostic d’élimination. Elle est secondaire à l’immaturité de l’axe hypothalamo-hypophyso-ovarien dans les deux premières années de la ménarche. Il existe un défaut d’imprégnation en progestérone et un déséquilibre en faveur d’une oestrogénisation de l’endomètre entraînant des saignements excessifs.

(3c) Les causes rares

Les anomalies ovulatoires peuvent être secondaires à une pathologie endocrinienne : une dysthyroïdie, une hyperprolactinémie, une hyperandrogénie isolée ou associée à une obésité, à un syndrome des ovaires polykystiques.

D’autres causes rares peuvent être évoquées dès l’interrogatoire et l’examen clinique : les prises médicamenteuses (pilules, AINS, anticoagulants), la possibilité d’une grossesse (intra- ou extra-utérine), les infections sexuellement transmissibles ou les traumatismes vaginaux (corps étrangers, violence sexuelle).

Les autres étiologies rares sont mises en évidence par un bilan d’imagerie de seconde intention consistant le plus souvent en la réalisation d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) pelvienne ; l’endométriose, les tumeurs utérines bénignes ou malignes et les malformations vasculaires.

(4) Prise en charge urgente

Le traitement d’urgence est nécessaire si la patiente présente des troubles hémodynamiques, une anémie sévère (< 8 g/dl), une hémorragie active ou des signes cliniques de mauvaise tolérance de l’anémie (dyspnée d’effort puis de repos, vertiges, céphalées, asthénie).

Le traitement non hormonal inclut la discussion d’une transfusion sanguine dès lors qu’il existe une anémie sévère avec signes cliniques de mauvaise tolérance et l’utilisation systématique des antifibrinolytiques en intraveineux : acide tranexamique 10 mg/kg injection intraveineuse lente (IVL)/6‑8 heures max 4 g/j. L’acide tranexamique est contre-indiqué en cas d’épilepsie sévère ou mal équilibrée et la posologie doit être adaptée à la fonction rénale.

Le traitement hormonal de première intention est l’utilisation per os d’un contraceptif oestroprogestatif (COP) de 2e génération contenant 30 μg d’éthinyl-oestradiol, 1 à 3 comprimés par jour (toutes les 8 heures), jusqu’à l’arrêt des saignements. L’utilisation des oestrogènes permet de stabiliser l’endomètre et d’arrêter le saignement le plus souvent dans les 24 premières heures. Les contre-indications aux COP doivent être systématiquement recherchées. À l’interrogatoire, il est nécessaire de faire préciser l’existence de thromboses veineuses ou artérielles avant l’âge de 50 ans chez les apparentés de 1er degré ou l’existence d’une thrombophilie. Il faut vérifier qu’il n’existe pas chez la patiente de valvulopathie, de trouble du rythme cardiaque, d’hypertension artérielle, de dyslipidémie, de diabète déséquilibré ou compliqué de rétinopathie, de migraines avec aura, d’atteinte hépatique sévère ou de tumeurs hormonodépendantes.

Après l’arrêt des saignements, le traitement hormonal oestroprogestatif sera progressivement diminué jusqu’à 1 cp/j en continu avant réévaluation (1 à 3 mois, enchaîner les plaquettes sans pause).

En cas de contre-indications aux COP, le traitement hormonal consiste en l’utilisation de macroprogestatifs per os en continu. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a émis des recommandations en 2021 concernant les conditions de prescription et de délivrance de certains progestatifs : acétate de chlormadinone et acétate de nomégestrol. Il est nécessaire de prendre un avis auprès d’un gynécologue pédiatrique et/ou de l’adolescente.

Dans certains cas extrêmes, des ballonnets hémostatiques d’urgence peuvent être utilisés.

La supplémentation en fer est mise en place dès que possible, soit par voie intraveineuse, soit per os. La posologie de la supplémentation IV varie selon le médicament utilisé : en général entre 2 et 5 perfusions de 3 mg/kg (max 200 mg), espacées de quelques jours. Si la supplémentation est faite par voie orale, la posologie est de 3 à 10 mg/kg/j de fer élémentaire selon l’âge, pendant 3 mois.

(5) Prise en charge non urgente : plan d’action

En l’absence de critères d’urgence d’emblée et/ou en relais de la prise en charge urgente, la prise en charge associe un traitement antifibrinolytique par voie orale pendant les 1ers jours des règles à chaque cycle (acide tranexamique 2 à 3 g/j) à un traitement hormonal qui a pour objectif de compenser l’insuffisance lutéale. On peut utiliser des progestatifs en séquentiel dès le cycle en cours, 10 à 14 jours par mois en 2e partie du cycle (dydrogestérone 10 mg : 2 cp du 16e au 25e jour ou médrogestone 5 à 10 mg du 16e au 25e jour) ou une combinaison oestroprogestative contenant 30 ou 20 μg d’éthinyl-oestradiol en discontinu ou continu suivant l’intensité de l’anémie initiale et l’évolution des saignements sous traitement (respect des CI). Attention au risque accru de thrombose lors de l’association acide tranexamique et oestrogène. En cas de contre-indication aux oestroprogestatifs, il faut discuter l’utilisation des micro- ou macroprogestatifs. Si l’adolescente l’envisage, la prescription d’un dispositif intra-utérin au levonorgestrel semble efficace dans cette indication.

Dans tous les cas, la supplémentation en fer per os est nécessaire pendant les 3 premiers mois (3 à 10 mg/kg/j de fer élémentaire). Une éviction des traitements antiagrégants de type AINS, aspirine, est également indispensable jusqu’à la réévaluation clinique.

(6) Prise en charge dans le contexte des MHCA

Pour le cas le plus fréquent qui est la maladie de Willebrand, après avis spécialisé et dans certaines conditions, la desmopressine (DDAVP) peut être utilisée soit en spray nasal, soit en intraveineux. Un traitement substitutif par facteur Willebrand et/ou facteur VIII est parfois nécessaire.

Conclusion

La prise en charge médicale des adolescentes présentant des saignements abondants d’origine utérine est relativement fréquente. Le plus souvent les saignements sont secondaires à la dysfonction ovulatoire liée à l’âge des patientes mais ils peuvent être le symptôme d’une maladie hémorragique constitutionnelle ou acquise non connue. Le médecin doit rester attentif dans son interrogatoire (antécédents, contexte gynécologique) et son examen clinique afin d’évaluer l’urgence de la situation et rechercher des arguments pouvant orienter vers les causes rares. Les thérapeutiques à mettre en place sont à la fois hormonales et non hormonales et sont guidées par le niveau d’urgence. Un plan d’action doit être défini avec la patiente afin d’éviter les récidives hémorragiques.

Liens d’intérêts

V. Vautier déclare des liens d’intérêts pour des Interventions ponctuelles (rapports d’expertise) pour Lilly et Merck-Serono.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2022 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble et Sanofi.

Références

Higham JM, O Brien PM, Shaw RW. Assessment of menstrual blood loss using a pictorial chart. Br J Obstet Gynecol 1990;97:734‑9.

Haamid F, Sass A, Dietrich J. Heavy menstrual bleeding in adolescents. NASPAG Committee Opinion. J Pediatr Adolesc Gynecol 2017;30(3):335‑40.

Alaqzam TS, Stanley AC, Simpson PM, Flood VH, Menon S. Treatment modalities in adolescents who present with heavy menstrual bleeding. J Pediatr Adolesc Gynecol 2018;31:451‑8.

Borzutzky C, Jaffray J. Diagnosis and management of heavy menstrual bleeding and bleeding disorders in adolescents. JAMA Pediatr 2020;174(2):186‑94.