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Date de mise à jour 07/06/2022

Fièvre chez l’enfant sous chimiothérapie

 

C. Calvo1, W. Abou Chahla2, E. Jeziorski3

1Service d’hématologie et d’immunologie pédiatrique, CHU Robert-Debré, AP-HP-Université de Paris, France
2Service de pédiatrie, Unité d’hémato-oncologie, CHRU de Lille, Hôpital Jeanne-de-Flandre, France
3Service de pédiatrie générale, infectiologie et immunologie clinique, CHU de Montpellier, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : charlotte.calvo@aphp.fr (C. Calvo).
 

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Article validé par :

SFCE (Société Française de lutte contre les Cancers et leucémies de l’Enfant et de l’adolescent)

SHIP (Société d’Hématologie et d’Immunologie Pédiatrique)

 

Remerciements aux relecteurs :

A. Petit

V. Gandemer

I. Pellier (SFCE)

A. Phulpin

A. Marie-Cardine

D. Moshous (SHIP)

Introduction

La fièvre est une complication courante en oncologie pédiatrique et au cours du traitement des hémopathies malignes de l’enfant : c’est donc un motif fréquent de recours aux urgences pour ces patients. Il s’agit d’une urgence thérapeutique qui doit être prise en charge en lien avec le centre d’hémato-oncologie référent du patient à chaque étape.

Conduite à tenir en cas de fièvre chez l’enfant sous chimiothérapie

Évaluation du patient

(1) Dans ce contexte, la fièvre est définie par une température corrigée ≥ 38,5 °C une fois ou ≥ 38 °C à deux reprises à 1 heure d’intervalle en l’absence de prise d’antipyrétique. En cas de prise concomitante de corticoïdes par voie systémique, le seuil de la température pour la fièvre est à 38 °C une fois. La température ne doit en aucun cas être prise par voie rectale, en raison du risque de translocation bactérienne et de perforation.

(2) Ces patients doivent bénéficier d’un circuit d’accueil spécifique, prioritaire et urgent soit via le service d’accueil des urgences (SAU), soit par un accès direct dans un service de pédiatrie (générale ou spécialisée). Ces enfants ne doivent pas patienter en salle d’attente. Ils doivent par ailleurs bénéficier d’un isolement protecteur (surblouse et masque chirurgical, matériel d’examen dédié ou nettoyé).

(3) Une anamnèse exhaustive doit être reconstituée auprès des parents (interrogatoire, documents apportés) et du dossier médical de l’enfant (localement et/ou en appelant le centre de référence). Elle comprend les antécédents oncologiques, la date de la dernière chimiothérapie et le type de cure, ainsi que le traitement actuel, notamment la prise d’une antibioprophylaxie ou d’une prophylaxie antifongique systémique. La recherche d’infections invasives antérieures et d’antécédent de portage de bactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu (BLSE)/ bactéries multirésistantes (BMR) en fait également partie. La recherche d’un contage infectieux, et notamment varicelleux, est également indispensable, de même que le statut COVID-19 (contage éventuel, positivité antérieure, etc.).

(4) La recherche de signes de sévérité clinique notamment de défaillance hémodynamique (tachycardie, allongement du temps de recoloration cutanée [TRC], marbrures, pouls filants voire absents, hypotension artérielle parfois au premier plan [importance de la pression artérielle moyenne – PAM]), respiratoire (polypnée, désaturation) et neurologique (confusion, syndrome méningé), doit être réalisée et impliquer une prise en charge spécifique en unité de soins continus ou de réanimation. L’évaluation clinique doit être complète et comprendre l’examen minutieux de la peau et des muqueuses (bouche et périnée, à la recherche d’une mucite ou d’une anite), ainsi que de l’orifice du cathéter central (signes locaux de surinfection, qui peuvent toutefois être atténués, voire absents, en cas d’aplasie).

(5) Les examens paracliniques doivent comprendre des hémocultures de chaque lumière du cathéter central. Les hémocultures périphériques ne sont pas recommandées. Celles-ci doivent être de volume suffisant (5 mL avant 2 ans, 10 mL entre 2 et 10 ans et 20 mL après 10 ans). La recherche d’un syndrome inflammatoire biologique avec au moins une protéine C-réactive (CRP) et une procalcitonine (PCT), si possible, doit être réalisée. L’examen cytobactériologique des urines (ECBU) doit être réalisé de façon systématique sans retarder l’initiation du traitement, même en l’absence de symptomatologie urinaire. La bandelette urinaire (BU) n’est pas un outil de dépistage fiable chez ces patients, du fait de l’antibioprophylaxie fréquente et de la leuco-neutropénie.

En période épidémique, un test de diagnostic rapide (TDR) grippe et une PCR nasale contenant au moins la recherche du virus respiratoire syncytial (VRS) doivent être réalisés, de même qu’une PCR SARS-Cov2. La radiographie de thorax doit être réservée aux patients présentant une symptomatologie respiratoire.

Dans le cas particulier des patients en traitement d’entretien, chez qui l’immunosuppression est moins forte et la neutropénie moins probable, les examens ci-dessus n’auront pas tous un caractère systématique et seront donc à adapter au cas par cas.

Principes de prise en charge thérapeutique

La prise en charge thérapeutique doit toujours être discutée avec le centre d’hémato-oncologie référent prenant en charge l’enfant.

(6) La présence d’une situation de gravité anamnestique, fonction de la durée de la neutropénie (si ≥ 7 jours) et du type de tumeur (solide si traitement intensif, et hématologique sauf traitement d’entretien), ou clinique (hémodynamique, respiratoire ou neurologique), doit faire discuter un rapprochement de l’enfant du service d’hémato-oncologie référent, voire d’une unité de soins intensifs.

(7) Une antibiothérapie intraveineuse (IV) empirique doit être initiée rapidement et systématiquement en cas de situation de gravité et/ou de neutropénie avec nombre de polynucléaires neutrophiles (PNN) < 500/mm3 (ou > 500/mm3 en phase descendante).

En l’absence de signe de sévérité clinique, il s’agit d’une monothérapie dont le choix de la molécule sera fonction des recommandations de centre : bêtalactamine avec activité antipseudomonas (ex. pipéracilline/tazobactam). Elle tiendra compte des portages du patient et des infections antérieures, et en particulier des portages antérieurs de BLSE/BMR.

La prescription d’un aminoside est réalisée en cas de signe de sévérité clinique ou si le patient est porteur de bactéries résistantes connues. L’ajout d’un glycopeptide est recommandé en cas de sévérité clinique, de la présence d’un point d’appel franc en regard de la voie centrale, ou en cas d’orientation microbiologique vers une infection à staphylocoque (si lésion cutanée, ou chez tout patient porteur d’une prothèse orthopédique).

En cas de signes de choc infectieux et/ou de signes cutanés évocateurs d’infection fongique, en particulier chez l’enfant en cours de traitement pour une leucémie aiguë, un antifongique doit être ajouté rapidement.

Le traitement anti-infectieux doit être débuté dans l’heure suivant l’admission, et aucun examen ne doit le retarder.

L’épidémiologie locale et les portages connus du patient doivent faire adapter l’antibiothérapie initiale.

En période épidémique et si le TDR grippe est positif, ou s’il existe un contage avéré < 48 heures, l’oseltamivir (TAMIFLU) doit être proposé en plus de l’antibiothérapie empirique.

(8) Dans tous les cas, il faut penser à suspendre la chimiothérapie en cours (dont celle orale prise au domicile).

(9) Un traitement par facteur de croissance granulocytaire (G-CSF) doit être discuté avec le centre de référence en fonction de la durée attendue de la neutropénie et de la gravité de l’infection.

(10) Un relais antibiotique oral ambulatoire peut être envisagé pour les patients à faible risque après 48 heures, c’est-à-dire les patients atteints de tumeur solide avec période d’aplasie estimée < 7 jours ou ceux en traitement d’entretien d’une hémopathie maligne, après l’obtention d’une apyrexie rapide et sous réserve : d’un examen clinique normal, d’hémocultures négatives, de l’absence de syndrome inflammatoire biologique, de l’absence d’antécédents infectieux notables, de la compliance de l’enfant et de la fiabilité des parents, ainsi que de la proximité avec le centre d’hémato-oncologie référent de l’enfant. En l’absence de documentation microbiologique, certaines équipes proposent un relais oral par l’association amoxicilline et ciprofloxacine jusqu’à la sortie d’aplasie (PNN > 500/mm3), confirmée par 2 NFS à 48 heures d’intervalle.

Pour les patients à haut risque (aplasie prolongée, hémopathies malignes, allo- et autogreffe de moelle osseuse, autres traitements intensifs ou antécédents infectieux particuliers), une prise en charge ambulatoire anticipée ne peut toutefois pas être proposée.

(11) Pour ces patients à haut risque, et pour tous les autres, si la fièvre persiste, l’élargissement de l’antibiothérapie avec un glycopeptide doit être discuté, ainsi que l’ajout d’aciclovir (si une mucite est présente) et d’un antifongique. Un rapprochement vers le centre de référence doit alors être discuté quotidiennement, pour l’expertise onco-hématologique et la proximité d’une unité de réanimation.

(12) Les patients présentant des PNN > 500/mm3, non en phase descendante, représentent une part non négligeable des patients suivis en onco-hématologie consultant pour de la fièvre. Les études, bien que peu nombreuses, rapportent des bactériémies chez moins de 10 % d’entre eux.

En présence de signes de sévérité clinique (cf. (6)), l’instauration d’une antibiothérapie IV en urgence est indiquée. En l’absence d’élément de gravité, l’immunosuppression dépendant de la chimiothérapie et la problématique des cathéters centraux rendent nécessaire une discussion au cas par cas avec le centre d’hémato-oncologie référent de l’enfant.

Conclusion

La prise en charge des patients en cours de traitement d’une tumeur solide ou d’une hémopathie est une urgence. L’évaluation clinique doit être minutieuse, ce d’autant que ces patients, souvent neutropéniques, peuvent se présenter avec très peu de symptômes. L’antibiothérapie IV doit être initiée au plus vite, en arrêtant toute chimiothérapie en cours. La prise en charge de ces patients doit se faire en relation étroite avec le centre d’hématooncologie référent de l’enfant.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2021 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble et Sanofi Pasteur.

Références

Lehrnbecher T, Robinson P, Fisher B, Alexander S, Ammann RA, Beauchemin M, et al. Guideline for the Management of Fever and Neutropenia in Children With Cancer and Hematopoietic Stem-Cell Transplantation Recipients: 2017 Update. J Clin Oncol 2017;35:2082‑94. DOI:10.1200/JCO.2016.71.7017.

Lehrnbecher T. Treatment of Fever in Neutropenia in Pediatric Oncology Patients. Curr Opin Pediatr 2019 ;31:35‑40. DOI:10.1097/MOP.0000000000000708.

Recommandations pour la prise en charge des neutropénies fébriles des patients traités en hémato-oncologique pédiatrique, www.rifhop.net/sites/rifhop.net/files/ATI01_V2_neutropenie_febrile_0.pdf

Weiss SL, Peters MJ, Alhazzani W, Agus MSD, Flori HR, Inwald DP, et al. Surviving Sepsis Campaign International Guidelines for the Management of Septic Shock and Sepsis-Associated Organ Dysfunction in Children. Pediatr Crit Care Med 2020;21:e52-e106. DOI:10.1097/PCC.0000000000002198.

Allaway Z, Phillips RS, Thursky KA, Haeusler GM. Nonneutropenic Fever in Children with Cancer: A Scoping Review of Management and Outcome. Pediatr Blood Cancer 2019;66:e27634. DOI:10.1002/pbc.27634.