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Date de mise à jour 07/06/2022

Diminution du taux de prothrombine (TP) chez l’enfant

 

P. Saultier1,21,2, A. Fabre3,4

1APHM, Hôpital d’Enfants de la Timone, Service d’hématologie, immunologie et oncologie pédiatrique, Marseille, France
2Aix-Marseille Univ, INSERM, INRAe, C2VN, Marseille, France
3APHM, Hôpital d’Enfants de la Timone, Service de pédiatrie multidisciplinaire, Marseille, France
4Aix-Marseille Univ, INSERM, MMG, Marseille, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : paul.saultier@ap-hm.fr (P. Saultier).
 

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Article validé par :

GFHGNP (Groupe Francophone d’Hépatologie, de Gastro-entérologie et de Nutrition Pédiatriques)

SHIP (Société d’Hématologie Immunologie Pédiatrique)

 

Remerciements aux relecteurs :

E. Mas (GFHGNP)

A. Marie-Cardine

D. Moshous

W. Abou Chahla (SHIP)

Introduction

Le taux de prothrombine (TP) explore la voie tissulaire (extrinsèque) et commune de la coagulation. Ce paramètre est basé sur la mesure du temps nécessaire au plasma pour coaguler lorsqu’il est exposé au facteur tissulaire (temps de Quick). Le résultat est exprimé en pourcentage et est considéré comme diminué en dessous de 70 %. L’interprétation du TP nécessite de prendre en compte le contexte clinique, ainsi que le temps de céphaline + activateur (TCA) et le fibrinogène. Un TP normal implique la normalité des facteurs du complexe prothrombinique (constitué par les facteurs II, V, VII et X) et du fibrinogène. Ces facteurs de la coagulation sont synthétisés par les hépatocytes. Le tableau 1 présente les caractéristiques principales de ces facteurs de coagulation. La mesure du TP permet d’explorer la coagulation, notamment dans les indications suivantes : syndrome hémorragique, dépistage orienté par une histoire familiale de saignement, évaluation systématique du risque hémorragique avant une chirurgie à risque, ou surveillance d’un traitement par antivitamine K. Le TP est également utilisé en tant que biomarqueur de la fonction hépatique. Il peut enfin être indiqué dans le cadre d’un bilan nutritionnel ou de l’exploration d’une malabsorption, comme témoin d’un défaut d’absorption de la vitamine K (liposoluble).

Tableau 1. Caractéristiques principales des facteurs
Facteur
de
coagulation
Variation
physiologique
enfant/adulte
Âge
d’acquisition
d’un taux
adulte
Remarques
Fibrinogène Pas de variation Dès la naissance Valeurs normales 2-4 g/L
Facteur II Taux bas à la naissance (45-75 %) 6 mois Facteur vitamine K-dépendant
Facteur VII Taux bas à la naissance (55-110 %) 6 mois Facteur vitamine K-dépendant dont la demi-vie est la plus courte
Facteur X Taux bas à la naissance (65-90 %) 1 mois Facteur vitamine K-dépendant
Facteur V Pas de variation Dès la naissance Seul facteur non-vitamine K-dépendant du complexe prothrombinique

 

Conduite à tenir devant une diminution du TP chez l’enfant

Analyse du résultat du TP

(1) Les situations d’urgence suivantes sont à repérer

La gravité de l’atteinte hépatique ou du défaut de la coagulation est généralement proportionnelle à la diminution du TP. Le seuil de 50 % est généralement admis comme nécessitant l’avis d’un centre spécialisé en urgence. Cependant, la gravité des pathologies explorées par le TP reste essentiellement clinique, avec les signes d’encéphalopathie hépatique pour les atteintes hépatiques, ou les signes hémorragiques pour les anomalies de l’hémostase.

(2) Faux TP diminué

Afin de garantir un résultat fiable, il est nécessaire que le tube de prélèvement soit entièrement rempli, agité doucement après prélèvement pour éviter la formation d’un caillot, et acheminé rapidement au laboratoire. En cas de prélèvement sur une voie veineuse, il faut veiller à ce que le prélèvement ne soit pas contaminé par un soluté de perfusion ou un médicament anticoagulant. La mesure du TP est également perturbée en cas d’hématocrite particulièrement élevé (> 55 %).

En dehors de ces situations, toute diminution du TP < 70 % doit être explorée et/ou recontrôlée.

Défaut de synthèse d’un ou plusieurs facteurs de coagulation

(3) Carence en vitamine K débutante

En cas de carence en vitamine K débutante, le facteur VII est le premier à s’abaisser car sa demi-vie est la plus courte des facteurs vitamine K-dépendants (6 heures).

(4) Déficits génétiques rares

La plupart de ces déficits génétiques rares en facteur(s) de coagulation sont de transmission autosomique récessive. Seules les formes sévères de ces pathologies, résultant d’altérations bi-alléliques, sont à risque hémorragique. Une étude familiale est essentielle. Les signes hémorragiques peuvent notamment inclure des saignements à la chute du cordon, des hémorragies intracrâniennes, des hématomes et des hémarthroses secondaires à des traumatismes parfois mineurs, voire survenir spontanément.

Une diminution de l’ensemble des facteurs vitamine K-dépendants (II, VII, IX, X), avec V et fibrinogène normaux, peut correspondre à l’une des 3 situations suivantes.

(5) Traitement par antivitamine K

Les traitements par antivitamine K (AVK) entraînent une diminution du TP. Pour l’adaptation des doses de traitement par AVK, il est nécessaire d’utiliser l’international normalized ratio (INR) qui correspond à une valeur normalisée (standardisée) du TP. Un cas particulier est la consommation accidentelle de raticides anticoagulants aux propriétés AVK : il faut donc évoquer cette hypothèse en cas de diminution des facteurs vitamine K-dépendants sans cause retrouvée.

(6) Cas du nouveau-né

Du fait d’une immaturité hépatique, l’équilibre hémostatique du nouveau-né est physiologiquement différent de celui du grand enfant et de l’adulte. Il est donc indispensable d’interpréter le bilan de coagulation d’un nouveau-né en utilisant des normes adaptées à l’âge. Chez le nouveau-né, les taux des facteurs vitamine K-dépendants (II, VII, IX et X) peuvent être diminués par rapport aux normes adultes. Ce phénomène est encore plus marqué en cas de prématurité. Le TP du nouveau-né sain est habituellement normal, contrairement au TCA qui est fréquemment allongé. À côté de ces variations physiologiques de la coagulation, la maladie hémorragique du nouveau-né est rare mais peut être extrêmement grave car associée à des saignements intracrâniens, hépatiques ou surrénaux. Elle est secondaire à un défaut de synthèse hépatique des facteurs vitamine K-dépendants. Cette pathologie est favorisée par l’allaitement maternel exclusif et la prise prolongée d’antibiotiques. Le stock hépatique de vitamine K à la naissance est très faible. La prévention de la maladie hémorragique du nouveau-né repose sur l’administration systématique de vitamine K1 chez tous les nouveau-nés dès la naissance. Le schéma actuellement recommandé par la Société Française de Néonatalogie pour le nouveau-né à terme est l’administration orale de 3 doses de 2 mg de vitamine K : à la naissance, à la sortie de maternité et 1 mois après la naissance (dernière dose facultative sous allaitement artificiel).

(7) Carence en vitamine K par défaut d’absorption (cholestase)

Les acides biliaires sont nécessaires à l’absorption des graisses incluant les vitamines liposolubles (A, D, E et K). De ce fait, une cholestase va induire une diminution de l’absorption de la vitamine K. Les stocks de cette dernière étant faibles, cela va rapidement induire un déficit en vitamine K et un défaut de synthèse des facteurs II, VII, IX et X avec un risque d’hémorragie notamment intracrânienne (hématome sous-dural). Les signes cliniques évocateurs de cholestase sont un ictère et une décoloration des selles. Au niveau biologique, on observe une élévation de la bilirubine conjuguée et dans la majorité des cas de la gammaglutamyltransférase (GGT) (sauf, par exemple, dans les cholestases intrahépatiques familiales progressives ou les défauts de synthèse des acides biliaires). Les nourrissons présentant une cholestase à début précoce sont particulièrement à risque du fait du faible stock de vitamine K à la naissance. En cas de cholestase ictérique, la supplémentation en vitamine K doit se faire par voie intraveineuse à la dose de 10 mg (ou en intramusculaire si la voie veineuse est impossible). Les causes de cholestase sont détaillées dans les Pas à Pas « Ictère du nourrisson » et « Ictère du grand enfant »

(8) Insuffisance hépatocellulaire : diminution de l’ensemble des cofacteurs

Le foie synthétise 15 % des protéines de l’organisme. L’insuffisance hépatocellulaire va entraîner une baisse du TP par défaut de synthèse des facteurs de coagulation. Dans ce cas on observe une baisse de tous les facteurs dans l’ordre de leur demi-vie (le facteur VII en premier du fait de sa courte demivie et le facteur V en dernier). La baisse du TP et du facteur V ne reflète pas toujours parfaitement le degré de l’insuffisance hépatocellulaire, surtout quand les facteurs vitamine K-dépendants sont dissociés (normaux), et le surestime parfois comme dans les situations d’hypertension portale avec hypersplénisme. L’insuffisance hépatocellulaire peut survenir sur un foie antérieurement sain (par exemple, intoxication au paracétamol) ou sur un foie atteint de cirrhose (par exemple, en cas de maladie cholestatique). Dans le cas de pathologie hépatique sous-jacente, plusieurs causes hépatiques de baisse du TP peuvent être associées : l’insuffisance hépatocellulaire, la cholestase et parfois la consommation dans une splénomégalie sur hypersplénisme. Les causes d’insuffisance hépatocellulaire sont en partie détaillées dans le Pas à Pas « Hépatite aiguë ».

Consommation ou neutralisation d’un ou plusieurs facteurs de coagulation

(9) Coagulation intravasculaire disséminée

La coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) peut entraîner à la fois des signes hémorragiques et thrombotiques. Cet état s’accompagne également d’une augmentation des produits de la dégradation de la fibrine (PDF), notamment les D-dimères. Les étiologies principales de CIVD sont le sepsis, les traumatismes et autres lésions tissulaires étendues, et les pathologies malignes. Chez le nourrisson, deux étiologies spécifiques supplémentaires sont à évoquer : d’une part le déficit homozygote en protéines C ou S se traduisant par un tableau de purpura fulminans aseptique néonatal, et d’autre part le syndrome de Kasabach-Merritt, dans lequel une tumeur vasculaire (hémangioendothéliome kaposiforme) est responsable d’une CIVD localisée avec thrombopénie souvent sévère et coagulopathie de consommation.

(10) Anticoagulant circulant

Parmi les causes de TP diminué par présence d’un anticoagulant circulant acquis, l’hypoprothrombinémie (diminution du facteur II) est à connaître car elle peut être responsable de complications hémorragiques graves. L’hypoprothrombinémie est ici due à la présence d’un inhibiteur spécifique (anticorps) anti-FII. Ce tableau est associé à une diminution du TP et à un allongement du TCA. Ces anomalies ne sont pas corrigées par le test des mélanges (mélange par le laboratoire de plasma du patient avec un plasma témoin, puis contrôle du TP/TCA). Ce tableau est habituellement transitoire (post-infectieux) chez l’enfant. Le suivi est principalement clinique mais un contrôle de la normalisation du bilan de coagulation à 6 semaines est justifié. Il faut bien distinguer cette entité de celle des anticoagulants circulants de type lupique de l’enfant, associés à un allongement isolé du TCA avec dosage des facteurs de coagulation normaux. Cette dernière entité constitue, lorsqu’elle est découverte chez un enfant asymptomatique, une anomalie transitoire, post-infectieuse, dépourvue de risque thrombotique ou hémorragique et ne nécessitant pas de contrôle biologique systématique.

Conclusion

L’interprétation d’une diminution du TP nécessite de prendre en compte des paramètres cliniques et un certain nombre d’autres examens complémentaires (principalement le TCA, le fibrinogène, le bilan hépatique et les cofacteurs du TP). Les étiologies principales d’une diminution du TP sont la carence en vitamine K par défaut d’absorption en cas de cholestase, l’insuffisance hépatocellulaire, un traitement par AVK, la CIVD, et la présence d’un anticoagulant circulant.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2021 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble et Sanofi Pasteur.

Références

Toulon P, Berruyer M, Brionne-François M, Grand F, Lasne D, Telion C, et al. Age Dependency for Coagulation Parameters in Paediatric Populations. Results of a Multicentre Study Aimed at Defining the Age-Specific Reference Ranges. Thromb Haemost 2016;116:9‑16.

Hascoët J-M, Picaud J-C, Lapillonne A, Boithias-Guerot C, Bolot P, Saliba E, et al. [Vitamin K in the Neonate: Recommendations Update]. Arch Pediatr 2017;24:902‑5.

Lachaux A, Lacaille F. Hépatologie de l’enfant. Elsevier Health Sciences, 2016.