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Date de mise à jour 18/09/2018

Hypophosphatasémie

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J.-P. Salles

Unité d’endocrinologie, maladies osseuses, hôpital des enfants, INSERM UMR 1043, université Paul-Sabatier, CHU de Toulouse, 31059, Toulouse, France
Correspondance - Adresse e-mail : salles.jp@chu-toulouse.fr (J.-P. Salles).
 

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Arbre diagnostique – Commentaires

(1) La découverte d’une valeur basse de l’activité phosphatase alcaline (PA) circulante peut être fortuite à l’occasion d’un bilan biologique, ou orientée lors de l’exploration étiologique de manifestations osseuses (fractures, déformations, déminéralisation) ou dentaires (notamment chute précoce des dents temporaires). Il faut apporter une attention particulière à ces derniers cas où le dosage de PA doit toujours être analysé de manière précise. Ils peuvent conduire au diagnostic d’hypophosphatasie (HPP) ou d’odontohypophosphatasie. Ceci est orienté s’il existe un contexte familial de pathologie osseuse évocatrice d’HPP. Cependant l’hypophosphatasémie peut être le seul élément d’orientation, ce qui souligne son importance [2]. Une réévaluation des radiographies peut alors confirmer le diagnostic dans des formes cliniques inhabituelles, par exemple des fractures répétées chez l’enfant qui peuvent survenir dans la période de fragilité dite « physiologique ».

(2) Les cliniciens et les biologistes sont plus accoutumés à l’identification de valeurs élevées de PA (dans le rachitisme) qu’à des valeurs trop basses. Les valeurs de PA peuvent ne pas être totalement effondrées, même en cas d’HPP prouvée génétiquement.

(3) Pour affirmer une hypophosphatasémie, il est indispensable d’interpréter les valeurs de PA avec des valeurs de contrôle propres au laboratoire qui a réalisé le test, avec des normes en fonction de l’âge. Cette activité augmente au cours de la croissance pubertaire, une valeur basse peut donc être négligée à tort. De même, après un épisode de fracture dont la consolidation va élever temporairement les valeurs de PA et fausser l’interprétation.

(4) En cas de valeurs douteuses, il faut renouveler le dosage. S’il n’est pas contributif mais reste bas, une surveillance et un contrôle à un an sont nécessaires.

(5) Le complément de bilan radiologique (lacunes osseuses métaphysaires ou crâniennes, aspect du crâne en cuivre battu) et la déminéralisation (intérêt de l’évaluation de la densité minérale osseuse par absorptiométrie biphotonique) peuvent également être contributifs. Il faut cependant noter que l’HPP est extrêmement variable dans la présentation clinique et sa sévérité, des formes infantiles, voire létales, aux formes adultes.

(6) Le bilan phosphocalcique est contributif au diagnostic d’HPP, qui est dû au défaut d’activité de la PA non spécifique de tissu (TNSAP) responsable de l’activité d’origine osseuse. Cette activité représente la majorité de l’activité PA circulante. L’HPP est la seule forme de rachitisme (déficit de minéralisation) qui s’accompagne d’une élévation de la calcémie et de la phosphatémie, avec en conséquence une diminution de la valeur de parathormone (PTH). Les valeurs de 25 OH vitamine D sont habituellement élevées en raison de la freination de la 1-hydroxylation secondaire à l’hypercalcémie. Tous ces éléments vont concourir au diagnostic d’HPP.

(7) Devant des chutes de dents précoces chez le jeune enfant, le diagnostic d’odontohypophosphatasie est probable si une valeur d’AP basse est constatée. Le bilan doit alors être étendu à l’analyse génétique. Un complément de bilan osseux doit être réalisé pour affirmer que les lésions sont limitées au tissu dentaire, dans cette forme atténuée d’HPP.

(8) Le défaut d’activité de la TNSAP d’origine osseuse peut avoir d’autres causes que l’HPP. C’est le cas de la dysplasie cléido-crânienne, le tissu osseux crânien, quantitativement important, contribuant pour une grande part à cette activité. C’est aussi le cas de certaines formes d’ostéogénèse imparfaite (OI) où l’activité AP circulante peut être basse en dehors des épisodes de fracture.

(9) Si une forme d’HPP est suspectée, on peut s’aider du dosage d’autres substrats de l’enzyme qui s’accumulent dans le plasma ou l’urine. Il s’agit du phosphate de pyridoxal (vitamine B6) dans le plasma ou de la phospho-étanolamine dans l’urine. Cependant ces dosages ne sont pas communément réalisés et les normes peu disponibles, dans des laboratoires très spécialisés. Le diagnostic génétique d’HPP peut être aisément réalisé, mettant en évidence des mutations homozygotes ou hétérozygotes composites. Plus rarement, il s’agit de formes hétérozygotes simples produisant des dominants négatifs, comme dans l’odontohypophosphatasie. Ceci souligne l’importance de l’enquête génétique. Les formes prénatales et périnatales peuvent être suspectées lors de la surveillance échographique (défaut de minéralisation surtout crânienne, anomalies métaphysaires avec spicules, déformations osseuses). Le diagnostic génétique anténatal n’est le plus souvent pas réalisé. Un dosage de PA est alors réalisé après la naissance. Les données disponibles sur les valeurs normales de PA postnatale sont parcellaires. Le dosage devra être réalisé plusieurs fois dans les semaines après la naissance. Le diagnostic différentiel avec une OI (notamment le type V) est important car les biphosphonates sont contre-indiqués dans l’HPP. Le dosage du PLP et l’analyse génétique sont alors très contributifs.

Au total, il est important de détecter une valeur basse de PA et de documenter l’hypothèse d’une HPP. Ceci est d’autant plus important que le traitement de l’HPP par enzymothérapie recombinante, actuellement en évaluation, sera probablement proposé dans un avenir proche. Dans l’HPP, contrairement aux autres formes de fragilité osseuse, les biphosphonates ne sont pas indiqués. Le diagnostic étiologique d’HPP repose sur l’analyse génétique.

Liens d’intérêts

J.-P. Salles : Honoraires pour des communications, des participations à des groupes d’experts et des activités de conseil (Alexion) ; Investigateur ou expérimentateur principal, coordonnateur ou responsable scientifique d’un essai clinique dont le promoteur était une organisation concernée par le thème de l’article (Alexion).

Références

Mornet E. Hypophosphatasia. Best Pract Res Clin Rheumatol 2008;22:113-27.

Moulin P, Vaysse F, Bieth E, et al. Hypophosphatasia may lead to bone fragility: don’t miss it. Eur J Pediatr 2009;168:783-8.

Tinnion RJ, Embleton ND. How to use… alkaline phosphatase in neonatology. Arch Dis Child Educ Pract Ed 2012;97:157-63.

Whyte MP, Greenberg CR, Salman NJ, et al. Enzyme-replacement therapy in life-threatening hypophosphatasia. N Engl J Med 2012;366:904-13.