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Date de mise à jour 14/05/2017

Pleurs excessifs du nourrisson

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P. Foucaud, A. de Truchis

Service de Pédiatrie Néonatologie, Centre Hospitalier de Versailles
Auteur correspondant - Adresse e-mail : pfoucaud@ch-versailles.fr (P. Foucaud).
 
 
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Les pleurs sont physiologiquement pluriquotidiens chez le jeune nourrisson, d’autant que l’enfant est totalement dépendant de sa mère ou de son entourage. Ils augmentent en fréquence et durée de la naissance jusqu’à l’âge de 6 semaines, où ils atteignent un pic jusqu’à 3 heures par jour. Vers l’âge de 3 mois, ils se limitent à une heure par jour.

Les pleurs excessifs du nourrisson représentent aujourd’hui un véritable problème de santé publique. Ils génèrent de nombreuses consultations en ville, en PMI, jusqu’aux urgences hospitalières. Leur prise en charge participe de la prévention du syndrome des bébés secoués, forme de maltraitance dont la gravité a été récemment mise en exergue. On distingue pleurs excessifs aigus et pleurs excessifs prolongés.

Les pleurs paroxystiques aigus

Ils sont particuliers par leur intensité, leur début brutal. Ils révèlent une douleur aiguë, et demeurent rarement isolés. L’enquête étiologique requiert un interrogatoire rigoureux et un examen clinique soigneux. De nombreuses pathologies se discutent : une fissure anale compliquant une constipation ; une pyélonéphrite, d’autant que durant les premières semaines de vie la fièvre peut être absente (une prise pondérale insuffisante peut être un élément d’orientation) ; une otite, rare avant 3 mois ; une hernie étranglée, essentiellement inguinale ; une irritation cutanée, notamment un érythème du siège ; un traumatisme osseux, avec la difficulté de méconnaître l’accident, qu’il s’agisse ou non de sévices ; des céphalées par traumatisme crânien ou hypertension intracrânienne venant révéler une méningite, virale ou bactérienne, un hématome sous dural, une hémorragie méningée (le cri est alors particulier par son timbre aigu, son caractère plaintif chez un enfant irritable, hyperesthésique : cri « neurologique ») ; un accès de tachycardie supra ventriculaire ; la survenue de vomissements accompagnés d’accès de pâleur et de pleurs paroxystiques évoque en premier lieu une invagination intestinale aiguë, surtout lors du deuxième semestre, d’une potentielle gravité si le diagnostic est méconnu ; les brûlures occultes sont devenues exceptionnelles (brûlure œsophagienne sur un biberon réchauffé au four à micro-ondes).

Ces situations qui nécessitent une prise en charge spécifique ne doivent pas être méconnues. Elles constituent une faible proportion des pleurs excessifs.

Les pleurs excessifs prolongés

Ils connaissent différentes définitions, différentes approches, et un grand flou est entretenu par la confusion entre les coliques et les pleurs excessifs inexpliqués. Selon les études, 8 à 25 % des nourrissons du premier trimestre sont concernés, soit chaque année 65 000 à 200 000 enfants.

On comprend aisément que la définition du caractère « excessif »est nécessairement arbitraire. On peut retenir la règle des 3 fois 3 (plus de 3 heures par jour, plus de 3 jours par semaine, depuis au moins 3 semaines), ou plus simplement le ressenti des familles, dépassées ou anxieuses devant ces pleurs prolongés et répétés. Ce qui suppose une prise en compte de leur tolérance aux pleurs, éminemment variable. La première étape diagnostique sera donc de différencier pleurs habituels et pleurs excessifs.

On ne devrait parler de coliques du nourrisson que devant un tableau précis : enfant algique au faciès érythrosique, les poings serrés, le front plissé, les cuisses repliées sur un abdomen ballonné, avec des émissions répétées de gaz. Ces pleurs connaissent une acmé vespérale, sont hyperphoniques à 1 000 Hz, ne cèdent pas avec l’alimentation [5].

La dysphagie douloureuse est presque toujours liée à une œsophagite de reflux à cet âge. Les repas sont compliqués et interrompus par une agitation, des pleurs stridents per et post prandiaux. Le sommeil est lui aussi perturbé. Le diagnostic de reflux gastro-œsophagien (RGO) est aisé lorsque les régurgitations sont fréquentes et abondantes (il faut alors s’assurer que les rations lactées ne sont pas excessives). En cas de suspicion de RGO occulte, il est possible de débuter un traitement d’épreuve par antisécrétoires ; seule une amélioration franche de la symptomatologie permettra de confirmer ce diagnostic et justifiera la prolongation du traitement sur 4 semaines.

L’allergie aux protéines du lait de vache (APLV) est (trop) souvent évoquée. Comme il ne peut s’agir d’une forme IgE médiée, les signes d’accompagnement sont essentiels au diagnostic : prise de poids insuffisante, selles molles, et parfois eczéma et bronchites sifflantes associées. La prescription d’un lait à hydrolyse protéique poussée doit être sanctionnée par une amélioration franche de la symptomatologie. Parfois est mise en cause une intolérance au lactose. En dehors des cas exceptionnels d’alactasie congénitale, la responsabilité du lactose est discutée et discutable à cet âge.

Enfin, certaines maladies rares, difficiles à repérer dans les premières semaines, s’accompagnent de pleurs fréquents et de troubles du sommeil, liés ou non aux troubles digestifs sus cités. L’attention peut être attirée par des pleurs excessifs qui se prolongent au-delà du 4e mois, des éléments dysmorphiques, des troubles de la succion déglutition, de signes associés (syndrome de Williams, d’Angelman, de Cornelia de Lange,…)

Reste un pourcentage important de pleurs excessifs sans cause identifiée, abusivement étiquetés « coliques » dans de nombreux travaux. Des troubles du sommeil sont fréquemment associés. Quelques facteurs de risque ont été identifiés dans la littérature [6,7] : premier enfant ; familles monoparentales ; vie urbaine ; deux parents au niveau d’étude élevé qui mènent une activité professionnelle ; âge maternel entre 30 et 34 ans ; absence de soutien ; tabagisme passif, qui favorise coliques et RGO [8-10]. Dans ce contexte, les interactions parent enfant peuvent être déterminantes. Des corrélations ont pu être établies entre anxiété maternelle et pleurs excessifs. Le baby blues avéré, des dépressions post partum plus ou moins masquées peuvent parasiter la réponse adaptée aux besoins du bébé. Un cercle vicieux peut s’instaurer, la mère se sentir dépassée, voire persécutée dans des cas extrêmes. Des tensions intrafamiliales, des violences conjugales, le surinvestissement d’un enfant
« précieux » peuvent conduire à des pleurs excessifs. Comme Brazelton, on peut observer que les pleurs sont pour certains nourrissons un moyen de se libérer de leurs tensions internes [11,12].

Références

[1] Crowcroft NS, Strachan DP. The social origins of infantile colic: questionnaire study covering 76747 infants. BMJ 1997;314:1325-8.

[2] Guichard D. Les pleurs du nourrisson : étude prospective aux urgences pédiatriques de l’hôpital Saint Vincent de Paul à Lille, à propos de 67 observations [thèse]. Lille : université du droit et de la santé ; 2006.

[3] Lehtonen L, Korvenranta H. Infantile colic: seasonal incidence and crying profiles. Arch Pediatr Adolesc Med 1995;149:533-6.

[4] Reijneveld SA, Brugman E, Hirasing RA. Excessive infant crying: definitions determine risk groups. Arch Dis Child 2002;87:43-4.

[5] Reijneveld SA, Brugman E, Hirasing RA. Excessive infant crying: the impact of varying definitions. Pediatrics 2001;108:893-7.

[6] Reijneveld SA, Brugman E, Hirasing RA. Infantile colic: maternal smoking as potential risk factor. Arch Dis Child 2000;83:302-3.

[7] Roberts DM, Ostapchuk M, O’Brien JG. Infantile colic. American Academy of Family Physicians 2004;70:735-40.

[8] Shenassa ED, Brown MJ. Maternal smoking and infantile gastrointestinal dysregulation: the case of colic. Pediatrics 2004;114:497-505.

[9] Sondergaard C, Henriksen TB, Obel A, Wisborg K. Smoking during pregnancy and infantile colic. Pediatrics 2001;108:342-6.

[10] St James-Roberts. What is distinct about infants’ colic cries. Arch Dis Child 1999;80:56-62.

[11] Brazelton TB. Crying in infancy. Pediatrics 1962;29:579-88.

[12] Herman M., le A. The crying infant. Emerg Med Clin North Am 2007;25:1137-59.