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Date de mise à jour 30/07/2019

Hypoglycémie de l’enfant (hors nouveau-né et diabètes)

 

J.-B. Arnoux*

Centre de référence des maladies héréditaires du métabolisme, Hôpital Necker-Enfants malades, AP-HP, 149, rue de Sèvres 75015 Paris, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : jean-baptiste.arnoux@aphp.fr (J.-B. Arnoux).
 

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Article validé par :

SFP (Société Française de Pédiatrie)

SFEDP (Société Française d’Endocrinologie et Diabétologie Pédiatrique)

SFEIM (Société Française pour l’Etude des Erreurs Innées du Métabolisme)

Introduction

L’hypoglycémie (< 50 mg/dL ou 2,8 mmol/L au diagnostic) est une situation fréquente en pédiatrie, souvent bénigne. Cependant, même isolée, elle peut être le premier symptôme d’une maladie plus générale pouvant causer des séquelles neurologiques. Elle doit donc être traitée rapidement et efficacement, et un diagnostic étiologique précoce permettra d’éviter des complications et des décompensations plus sévères.

Conduite à tenir en cas d’hypoglycémie chez l’enfant (hors nouveau-né et diabètes)

Toute hypoglycémie est suspecte a priori, puisque des maladies pourtant sévères (insuffisance surrénalienne, déficits de la β-oxydation des acides gras [βOAG]) peuvent mimer une hypoglycémie cétotique idiopathique (hypoglycémie fonctionnelle) et survenir dans les mêmes contextes (jeûne prolongé de gastroentérite par exemple). Elles devront donc toutes être explorées a minima, et des explorations supplémentaires pourront être engagées secondairement en cas de contexte ou de symptôme suspect (voir 3. Hypoglycémies suspectes). La prise en charge initiale de l’hypoglycémie dépend de l’état du patient.

(1) Si ce dernier est conscient, un bilan sanguin percritique au moment même de l’hypoglycémie sera prélevé et comprendra : glycémie veineuse sur tube avec inhibiteur de la glucosidase, insuline, peptide C, GH, cortisol, ACTH, lactate, ionogramme, RA, cétonémie, lactate, profil des acylcarnitines plasmatiques (et idéalement 3OH-butyrate et acides gras libres). La mesure spécifique de la glycémie avec cet inhibiteur permettra d’affirmer le diag nostic d’hypoglycémie suspecté à la glycémie capillaire, et de pouvoir alors interpréter les valeurs d’insulinémie et de peptide C (uniquement interprétables en hypoglycémie). Une cétose urinaire sera recherchée (une mesure de cétonémie capillaire peut être réalisée aux urgences) et une chromatographie des acides organiques sera prélevée sur la miction suivant l’hypoglycémie. Insuffisance surrénalienne et déficits de la βOAG sont particulièrement importants à rechercher puisque ce sont les maladies pouvant mettre en jeu le pronostic vital du patient. Le patient pourra ensuite recevoir un resucrage per os (5 g de sucre/20 kg de poids ; ou bien glucosé à 30 % 10 mL/20 kg, maximum 30 mL par prise) à répéter toutes les 5 minutes jusqu’à ce que la glycémie capillaire revienne à la normale.
Si jamais le bilan percritique n’a pas pu être réalisé, devant une probable hypoglycémie fonctionnelle (association : jeûne très prolongé + hypoglycémie peu profonde > 40 mg/dL et peu symptomatique + forte cétose) et en l’absence de contexte ou de symptôme suspect (voir 3. Hypoglycémies suspectes), un dosage le matin à jeun de la cortisolémie, de l’ACTH plasmatique et du profil des acylcarnitines plasmatiques pourra suffire et permettra d’éliminer ces deux maladies graves.

(2) Si l’hypoglycémie provoque des troubles de conscience, voire des convulsions, l’urgence est alors le resucrage par voie intraveineuse (risque de fausse route en cas de resucrage oral), qui sera suivi d’un bilan sanguin au plus près de l’hypoglycémie (identique au prélèvement percritique, sauf qu’ici insuline et peptide C ne seront pas interprétables).
Une perfusion de glucosé polyionique à 10 % (contenant les électrolytes habituels) sera ensuite prescrite pour maintenir la normoglycémie, dans tous les cas d’hypoglycémies sévères (très profonde : < 2,2 mM soit < 40 mg/dL ; ou très symptomatique : coma/convulsion), récidivantes, ou en cas d’hypo glycémie chez un enfant ne pouvant pas absorber d’aliments (ex. : vomissements). Le débit sera débuté à 6 mL/kg/h avant 2 ans, 5 mL/kg/h de 2 à 5 ans, 4 mL/kg/h de 5 à 15 ans et 3 mL/kg/h pour les > 15 ans. Ce débit glucosé permet de cesser la cétose émétisante des hypoglycémies fonctionnelles, et surtout de traiter la grande majorité des maladies héréditaires du métabolisme responsable d’hypoglycémies (à l’exception de certains hyper insulinismes sévères qui pourraient nécessiter plus).
L’utilisation de glucagon par voie sous-cutanée ou intra musculaire peut être envisagée en cas d’impossibilité d’abord veineuse ou de circonstance particulière (telle qu’une hypoglycémie sévère dans un contexte de diabète de type 1 [DT1] et un hyper insulinisme congénital). L’injection doit être réalisée en position latérale de sécurité (PLS). Elle sera complétée par une perfusion ou une prise alimentaire au décours de la réascension glycémique et de la reprise de conscience, pour couvrir le risque de rebond. Le glucagon ne sera pas efficace pour certaines étiologies graves (βOAG et glycogénose de type 1 notamment), il ne doit donc être utilisé qu’en complément du resucrage.

(3) La cause de l’hypoglycémie est parfois évidente car survenant dans un contexte particulier : causes médicamenteuses (antidiabétiques oraux, insulinothérapie, β-bloquants, certaines chimiothérapies, sevrage brutal d’une corticothérapie prolongée et/ou à fortes doses), insuffisances hépatiques sévères, états de dénutritions sévères, patients avec antécédent de chirurgie gastrique ou oesophagienne (dumping syndrome) ainsi que certaines cytopathies mitochondriales avec atteinte hépatique.
Certaines hypoglycémies sont suspectes de maladie sous-jacente, et nécessiteront de garder l’enfant en hospitalisation avec un avis spécialisé pour poursuivre des explorations adaptées à l’histoire clinique et aux résultats du bilan percritique. Ces hypoglycémies sont considérées comme suspectes quand elles sont inattendues (hypoglycémies pour un jeûne pas assez long pour l’âge : < 6 heures à la naissance, < 12 heures à 1-5 ans et < 24 heures à 5-10 ans ; après 10 ans, il ne devrait plus y avoir d’hypoglycémie de jeûne), inappropriées (hypoglycémies très symptomatiques ou très profondes ; insuffisance, voire absence, de cétose), ou accompagnées de signes associés (hépato mégalie, défaillance d’organe, acidose sévère avec pH < 7,10, mélanodermie, croissance pondérale ou staturale anormale, etc.).

(4) En pratique courante, les hypoglycémies surviennent le plus souvent lors de jeûnes très prolongés, mais le diagnostic d’hypoglycémie fonctionnelle (= hypoglycémie hypercétotique idiopathique) ne peut être posé que par exclusion des autres causes. L’hypoglycémie fonctionnelle associe habituellement : jeûne très prolongé + hypoglycémie peu profonde (> 40 mg/dL) et peu symptomatique + forte cétose (3OH-butyrate plasmatique > 2,5 mM). Le profil des acylcarnitines plasmatiques et la cortisolémie prélevés en hypoglycémie (ou au plus près) élimineront respectivement les déficits de la βOAG et l’insuffisance surrénalienne, deux causes pouvant mettre en jeu le pronostic vital.

(5) Une épreuve de jeûne en milieu spécialisé pour explorer une hypoglycémie au jeûne long ne sera donc réalisée qu’après avoir exclu les déficits de la βOAG et l’insuffisance surrénalienne par les dosages correspondants (soit percritique au moment de l’hypoglycémie, soit un matin à jeun) et si l’hypoglycémie était suspecte (hypoglycémie très symptomatique ou très profonde, absence de cétose, acidose sévère) et sans cause retrouvée.

(6) Les déficits de la βOAG, dont le plus fréquent est le déficit en Medium-Chain Acyl-Coenzyme A Dehydrogenase Deficiency (MCAD), provoquent au jeûne prolongé des hypoglycémies avec pas/peu de cétose, et par la suite tout jeûne prolongé sera interdit. D’autres signes sont parfois associés : rhabdomyolyse, insuffisance hépatique, trouble du rythme cardiaque, cardio myopathie.

(7) Les déficits de la βOAG, dont le plus fréquent est le déficit en Medium-Chain Acyl-Coenzyme A Dehydrogenase Deficiency (MCAD), provoquent au jeûne prolongé des hypoglycémies avec pas/peu de cétose, et par la suite tout jeûne prolongé sera interdit. D’autres signes sont parfois associés : rhabdomyolyse, insuffisance hépatique, trouble du rythme cardiaque, cardio myopathie.

(8) De rares causes d’hypoglycémies au jeûne prolongé peuvent être évoquées en cas d’hypoglycémie avec acidose majeure. Cette acidose peut être en lien avec une hyperlactatémie sévère (déficit en fructose 1,6-bisphosphatase ; l’hyperlactatémie sévère se normalise après resucrage et à l’état nourri), ou avec un déficit de la cétolyse (déficit en succinyl-CoA:3-cétoacide CoA transférase [SCOT] où la cétose est souvent permanente, persistante à l’état nourri ; déficit en MAT pour laquelle il existe des anomalies évocatrices à la chromatographie des acides organiques urinaires).

(9) Les hypoglycémies au jeûne court sont par définition anormales, et nécessitent des explorations complémentaires, idéalement en endocrinologie/métabolisme et/ou après avis spécialisé : un cycle de glycémie-lactatémie avant-après repas (prélevé sur un cathlon juste avant le repas, et 1 heure après le prélèvement préprandial) pendant 24 heures, et si une hypoglycémie est décelée : un bilan sanguin percritique et un test au glucagon (en hypoglycémie, 1 mg en sous-cutané, et mesure de glycémie capillaire et sur tube avec inhibiteur de la glucosidase à 5, 10, 15 et 30 minutes).
Remarque : Au cours d’une gastro-entérite, entre malabsorption, alimentation fortement diminuée et vomissements, toute hypoglycémie doit être considérée comme étant de jeûne long – d’ailleurs l’enfant est habituellement en forte cétose, ce qui confirme biologiquement son état de jeûne. L’enfant sera alors perfusé en pédiatrie générale selon le protocole en (2), jusqu’à la disparition complète de la cétose et le retour à une alimentation normale. Après arrêt de la perfusion, il est conseillé de réaliser un cycle glycémique sur 24 heures sous une alimentation normale pour vérifier l’absence de récidive d’hypoglycémie au jeûne court.

(10) Des hypoglycémies par hyperinsulinisme seront suspectées en cas d’insulinémie, peptide C, 3OH-butyrates et acides gras libres inadaptés (respectivement ˆ 2 μUI/mL, ˆ 0,5 ng/mL, < 2 mM, < 1,5 mM) et réponse exagérée au glucagon ( élévation de la glycémie de +30 mg/dL au cours du test). La cause de l’hyper insulinisme devra être ensuite déterminée (cause génétique, tumorale, iatrogène, dumping syndrome).

(11) Les glycogénoses hépatiques sont un groupe de maladies de sévérité variable, habituellement diagnostiquées au cours des tout premiers mois de vie sur des hypoglycémies de jeûne court avec hépatomégalie franche et molle le plus souvent (types I, III, VI, IX), bien que plus rarement l’hépatomégalie soit absente (type 0, parfois aussi en cas de types VI et IX). L’hyperlactatémie survient en hypoglycémie pour la glycogénose de type I, tandis que dans les autres glycogénoses, la lactatémie est élevée en postprandial immédiat et basse en hypoglycémie. Des symptômes supplémentaires peuvent orienter le diagnostic (myolyse permanente pour certaines formes de types III et IX, hyper uricémie et hypertriglycéridémie pour les types I, cytolyse hépatique pour les types I et III, neutropénie pour le type Ib). À noter que le test au glucagon n’élève pas la glycémie dans les types 0, I et III, mais qu’il existe une réponse significative dans les types VI et IX (ces deux derniers types étant cependant très rares). L’hypoglycémie s’accompagne souvent d’une franche cétose dans les glycogénoses de type III.

Conclusion

Prendre en charge une hypoglycémie de cause indéterminée est une urgence qui nécessite de connaître quelques points clés pour sa prise en charge symptomatique rapide (resucrage, éventuellement suivie d’une perfusion de polyionique glucosé à 10 % à fort débit permettant de bloquer le catabolisme), et pour orienter facilement vers un groupe diagnostique précis (survenue au jeûne court ou long, cétose présente ou absente, signes associés ; bilan biologique percritique).

Liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts avec cet article.

Références

van Veen MR, van Hasselt PM, de Sain-van der Velden MG, Verhoeven N, Hofstede FC, de Koning TJ, et al. Metabolic profiles in children during fasting. Pediatrics 2011;127(4):e1021-7.

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Ferrara C, Patel P, Becker S, Stanley CA, Kelly A. Biomarkers of Insulin for the Diagnosis of Hyperinsulinemic Hypoglycemia in Infants and Children. J Pediatr 2016;168:212-9.

Brown LM, Corrado MM, van der Ende RM, Derks TG, Chen MA, Siegel S, et al. Evaluation of glycogen storage disease as a cause of ketotic hypoglycemia in children. J Inherit Metab Dis 2015.

Reznik Y, Barat P, Bertherat J, Bouvattier C, Castinetti F, Chabre O, et al. SFE/SFEDP adrenal insufficiency French consensus: Introduction and handbook. Ann Endocrinol 2018;79(1):1-22.