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Date de mise à jour 26/05/2023

Splénomégalie chez l’enfant

 

D. Moshous1,2, A. Brassier3

1Unité d’immunologie, d’hématologie et de rhumatologie pédiatriques, CHU Necker, AP-HP, université Paris Cité, Paris, France
2Centre de référence des déficits immunitaires héréditaires (CEREDIH), CHU Necker, AP-HP, université Paris Cité, Paris, France
3Centre de référence des maladies héréditaires du métabolisme, CHU Necker, Paris, France
Auteur correspondant - Adresse e-mail : despina.moshous@aphp.fr (D. Moshous).
 

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Article validé par :

Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique (GPIP)

Société Française pour l’étude des Erreurs Innées du Métabolisme (SFEIM)

Société d’Hématologie et d’Immunologie Pédiatrique (SHIP)

Société Francophone de Rhumatologie Et de Maladie Inflammatoire Pédiatrique (SOFREMIP)

 

Introduction

La rate est le plus grand organe du système lymphatique. Elle a une vascularisation importante, ce qui lui donne un aspect spongieux rouge-violet. Une capsule de tissu fibro-élastique compacte, contenant des fibres musculaires lisses, la protège et contribue à sa dilatation et à sa contraction. La rate a un rôle important dans l’immunité et est en permanence en contact avec les antigènes circulants. Son parenchyme se constitue de la pulpe blanche (cellules du système immunitaire) et de la pulpe rouge (sinusoïdes contenant beaucoup d’érythrocytes). La rate élimine les globules rouges vieillis ou altérés ainsi que les microorganismes de la circulation.

Située dans la partie supérieure gauche de la cavité abdominale, entre le fundus gastrique et le diaphragme, à proximité du bord costal entre les neuvième et onzième côtes, la rate n’est en règle pas palpable. La splénomégalie (SM) est définie comme une augmentation du volume de la rate qui devient palpable à l’examen clinique. La présence d’une SM doit faire rechercher sa cause.

Des signes de gravité immédiats seront recherchés en premier lieu pour éliminer une hémo pathie maligne, une infection sévère, un déficit immunitaire. En dehors de ces situations, un premier bilan d’orientation notamment à la recherche d’une hépatomégalie ou d’autres signes associés, et d’une cytopénie, orienteront le diagnostic. En l’absence d’éléments cliniques et biologiques associés, il s’agira d’une SM dite « isolée » nécessitant également la recherche d’une étiologie souvent plus rare. Une SM volumineuse peut se compliquer d’hypersplénisme et de séquestration splénique avec cyto pénies ; la rupture de rate et l’infarctus splénique sont très rares chez l’enfant.

Conduite diagnostique face à une splénomégalie chez un enfant

Premiers éléments d’orientation diagnostique

(1) Le diagnostic positif de splénomégalie (SM) est avant tout clinique et ne nécessite pas d’emblée d’examen échographique. Toute rate palpable est définie comme une SM. Il faut toutefois savoir que le pôle inférieur de la rate peut être perçu sous le rebord costal chez environ 5 % des enfants sains, et jusqu’à 30 % des nouveau-nés sains. Une imagerie est nécessaire en cas d’examen clinique difficile (obésité) ou de doute sur l’origine splénique d’une masse abdominale (hémopathie maligne, néphroblastome, neuroblastome : voir PAP spécifique « Masse abdominale chez l’enfant »). L’échographie abdominale permettra de confirmer et caractériser la SM. La taille normale mesurée en échographie varie avec l’âge (Figure 1).

Figure 1. D’après Pelizzo G, Guazzotti M, Klersy C, Nakib G, Costanzo F, Andreatta E, et al. Spleen size evaluation in children: Time to define splenomegaly for pediatric surgeons and pediatricians. PloS One 2018;13:e0202741.

(2) Le bilan d’orientation comprend un examen clinique et des analyses biologiques simples. La démarche diagnostique sera toutefois orientée par une anamnèse précise tenant compte de l’âge, de l’origine ethnique et d’une éventuelle consanguinité. Il faut rechercher des antécédents familiaux de SM/splénectomie, la notion de voyage à l’étranger et de risque de contagion éventuelle par contact avec des animaux. Dans les antécédents personnels, il faut s’intéresser à des éventuelles infections à répétition ou inhabituelles, des manifestations auto/dysimmunes et un éventuel retard des acquisitions.

L’examen clinique recherche une fièvre, un syndrome tumoral associé à la SM, une hépatomégalie, des signes d’hypertension portale ou d’insuffisance hépatocellulaire, des signes neurologiques, un syndrome dysmorphique ou un retard staturo- pondéral

Un bilan biologique de première intention sera réalisé avec un hémogramme, frottis sanguin avec morphologie des globules rouges, une recherche de syndrome inflammatoire (VS, CRP, fibrinogène), un bilan hépatique avec TP et LDH.

En cas de signes de gravité clinique tels qu’un syndrome anémique aigu ou un syndrome tumoral évocateur d’hémopathie, des signes de sepsis sévère, des signes de syndrome d’activation macrophagique, des signes neurologiques aigus, des signes d’insuffisance hépatocellulaire ou d’hypertension portale, l’enfant doit être orienté vers une structure d’urgence pédiatrique, si besoin avec un transport médicalisé.

Splénomégalie isolée

Si le bilan d’orientation ne révèle pas d’anomalie, on parle alors de SM « isolée ».

(3) En cas de SM isolée, une échographie abdominale avec Doppler est indiquée afin de préciser si la SM est homogène ou non. Le Doppler mettra en évidence une éventuelle malformation vasculaire de la rate et vérifiera la perméabilité du tronc porte. Des tumeurs non malignes telles qu’un cavernome portal ou un hémangiome/lymphangiome peuvent être diagnostiquées, tout comme des maladies de surcharge lysosomale telles que la maladie de Gaucher (déficit en glucocérébrosidase) et la maladie de Niemann-Pick B (déficit en sphingomyélinase acide) qui se présentent parfois avec une SM isolée et dont le diagnostic et le traitement précoces améliorent le pronostic.

Splénomégalie non isolée

La SM peut être associée à des cytopénies sans contexte infectieux/inflammatoire évident

(4) En cas d’anémie, la distinction entre hémolyses acquises ou constitutionnelles se fait grâce à un bilan de deuxième intention comprenant une étude de l’hémoglobine par chromatographie liquide à haute résolution et un test de Coombs érythrocytaire. Une anémie avec Coombs érythrocytaire positif oriente vers une anémie hémolytique auto-immune (AIHA). On parle d’un syndrome d’Evans quand l’AIHA est associée à une thrombopénie auto-immune. Les formes précoces, chroniques et/ou difficiles à traiter peuvent s’intégrer dans un déficit immunitaire avec auto-immunité (cf. ci-dessous).

Une anémie avec Coombs érythrocytaire négatif doit faire rechercher une anémie hémolytique constitutionnelle. On distingue :
• les anémies corpusculaires, notamment la sphérocytose caractérisée par des anomalies des protéines membranaires du globule rouge et les anémies caractérisées par défaut enzymatique. Le déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD) ou favisme est un déficit enzymatique fréquent (environ 400 millions de personnes atteintes dans le monde). Il est lié à l’X, souvent retrouvé chez les patients d’ascendance africaine et se caractérise par des poussées d’hémolyse en cas de maladie aiguë ou après exposition à certains médicaments ou aliments (fèves par exemple). Le déficit en pyruvate kinase (PK) est une cause fréquente d’anémie hémolytique de transmission autosomique récessive, avec une prévalence de 1/20 000 dans la population caucasienne ;
• les hémoglobinopathies dont la thalassémie homozygote et la drépanocytose. Les patients atteints de drépanocytose ont souvent une SM chronique, mais peuvent également développer une augmentation aiguë de volume de la rate (+2 cm) et une chute du taux de l’hémoglobine d’au moins 2 g/dL (parfois également une thrombopénie) lors d’une séquestration splénique aiguë. La survenue de pâleur, fatigue et altération de l’état général d’apparition brutale sont des signes d’alerte. La séquestration splénique aiguë est une urgence mettant en jeu le pronostic vital.

Une porphyrie érythropoïétique, maladie autosomique récessive rare provoquée par la carence en enzymes impliquées dans la synthèse de l’hème, peut se révéler par une SM associée à une anémie. Les patients peuvent présenter dès la naissance une (hépato)splénomégalie très volumineuse avec une photodermatose et des urines rouge porto.

Il faut rechercher une ostéopétrose infantile devant une anémie associée à une thrombopénie, une densité osseuse élevée et une hypocalcémie, parfois néonatale

Enfin, des hémopathies malignes peuvent se manifester par des cytopénies isolées.

La SM peut être associée à une fièvre, une altération de l’état général (AEG), des adénopathies, un syndrome inflammatoire et/ou des cytopénies

(5) En cas de fièvre, une origine infectieuse doit être éliminée. Dans les étiologies infectieuses, la primo-infection EBV est la cause la plus fréquente de SM d’origine virale. Ce diagnostic est confirmé par la sérologie retrouvant un profil d’infection aiguë (IgM VCA + ; IgG VCA +/- ; IgG EBNA -) ou par un MNI-test. Plus rarement, la rougeole, les hépatites virales, le VIH, le CMV et les infections à Coxsackie peuvent être à l’origine d’une SM. En ce qui concerne les infections bactériennes, il faut évoquer une salmonellose, une brucellose ou une tuberculose. En cas de septicémie, il faut éliminer une endocardite.

Les infections parasitaires sont à rechercher. Pour écarter une leishmaniose viscérale, fréquente dans le sud-est de la France, il convient de réaliser des PCR dans la moelle (à répéter selon les situations, en cas de négativité). Il faut aussi rechercher une toxoplasmose. En cas de séjour en zone d’endémie, il faut penser au paludisme chronique, à l’échinococcose et la bilharziose. Enfin, une infection fongique est également à éliminer (candidose, histo plasmose).

En cas d’infections chroniques, récurrentes, atypiques, il faut rechercher un déficit immunitaire, comme par exemple la granulomatose chronique septique ou un déficit immunitaire avec une prédisposition mendélienne aux infections mycobactériennes.

(6) Devant une SM avec fièvre, AEG, adénopathies, +/- cytopénies, il faut penser à certains déficits immunitaires primitifs (DIP). Leur exploration nécessite un bilan de deuxième intention (dosage pondéral des immunoglobulines, numération des populations lymphocytaires T, B, NK) et un avis spécialisé pour orienter le bilan étiologique (485 formes génétiques ont été décrites dans la dernière classification internationale de DIP en 2022 !) et la prise en charge des patients.

Néanmoins, certaines situations cliniques devraient d’emblée attirer l’attention du clinicien :
• une érythrodermie néonatale associée à une hépatosplénomégalie, des adénopathies et une alopécie du cuir chevelu, des cils et sourcils → ce tableau appelé syndrome d’Omenn doit faire suspecter un déficit immunitaire combiné sévère nécessitant une prise en charge immédiate en centre d’immunologie pédiatrique avec indication d’allogreffe de moelle osseuse ;
• une lymphoprolifération associée à une hypogammaglobulinémie → on suspecte un syndrome lymphoprolifératif lié à l’X (XLP pour X-Linked Lymphoproliferative, ou syndrome de Purtilo), un syndrome dit « Hyper-IgM » caractérisé par des taux normaux ou élevés d’IgM et une diminution/absence des autres immunoglobulines causant une sensibilité accrue aux infections bactériennes (infections récurrentes des sinus et des poumons en l’absence de traitement substitutif par immunoglobulines), un Activated PI3Kδ Syndrome (APDS) ou un « Autoimmune Lymphoproliferative Syndrome » (ALPS) ;
• des syndromes d’activation macrophagique (SAM) primitifs (ou lymphohistiocytose hémophagocytaire, HLH pour Hemophagocytic Lymphohistiocytosis), pathologie rare mais fatale en l’absence de traitement. Le SAM est défini par des critères cliniques (fièvre, SM), biologiques (bi- ou pancytopénie, hypo fibrinogénémie, hypertriglycéridémie, hyperferritinémie) et cytohistologiques (hémophagocytose dans la moelle osseuse, la rate, le foie ou les ganglions périphériques), la présence de lymphocytes T activés avec une fonction (cytotoxicité/ dégranulation) anormale. Le SAM primitif, qui peut se déclarer dès la naissance, nécessite également une prise en charge urgente dans un centre d’immunologie pédiatrique. Les lympho histiocytoses familiales sont de transmission autosomique récessive. Certains patients présentent un albinisme partiel avec des cheveux, des cils et sourcils argentés (Maladie de Griscelli, de Chédiak-Higashi) ;
• un DIP avec microthrombocytopénie constitutionnelle associée à un eczéma profus, et parfois des manifestations vasculaires, chez un garçon fait suspecter une maladie de Wiskott-Aldrich (transmission récessive liée à l’X).

(7) Enfin, on peut parfois retrouver :
• des maladies malignes : lymphomes, leucémies aiguës, leucémies myélomonocytaires juvéniles (LMMJ) ou tumeurs. En cas d’infection chronique active à EBV, le virus de l’EBV persiste dans des lymphocytes T ou NK avec une expansion clonale des lymphocytes infectés ;
• des histiocytoses : la forme la plus fréquente chez l’enfant est l’histiocytose langerhansienne, d’autres formes comme la maladie de Rosai-Dorfman et des histiocytoses atypiques (histio cytose de type Erdheim-Chester, xanthogranulomes) sont plus rares ;
• des maladies inflammatoires : lupus, maladie de Still (en particulier compliquée d’un SAM), sarcoïdose, certaines maladies auto-inflammatoires génétiques (par exemple, fièvre méditerranéenne familiale)…

La SM peut enfin être associée à une hépatomégalie.

(8) En cas d’hépatomégalie associée à la SM sans autre signe clinique, une échographie abdominale avec Doppler précisera la nature de l’atteinte hépatique. Ainsi on détectera une hypertension portale (cf. PAP hypertension portale) et on distinguera les différentes lésions ou obstacles :
• préhépatique (Thrombose porte ? Compression tumorale ?) ;
• intrahépatique (toutes les causes de cirrhose tel que le déficit en α-1 antitrypsine, l’hémochromatose, la mucoviscidose…) ;
• posthépatique (Syndrome de Budd-Chiari, insuffisance cardiaque droite).

(9) En cas d’hépatomégalie accompagnée le plus souvent de signes cliniques tels qu’une dysmorphie, un retard de croissance, des troubles neurologiques avec retard des acquisitions, il faut rechercher une maladie héréditaire du métabolisme (MHM) afin d’exclure :
• la maladie de Wilson : maladie génétique rare du métabolisme du cuivre qui se manifeste par des troubles hépatiques, neurologiques, psychiatriques ou ophtalmologiques en raison d’une anomalie de l’excrétion biliaire du cuivre entraînant un dépôt excessif de cuivre dans l’organisme ;
• les maladies de surcharge lysosomale : mucopolysaccharidoses (MPS) et oligosaccharidoses (OS) qui présentent de nombreux signes associés, des sphingolipidoses avec avant tout la maladie de Gaucher (déficit en glucocérébrosidase) qui est la maladie lysosomale la plus fréquente, la maladie de Niemann-Pick A/B (déficit en sphingomyélinase), la maladie de Niemann-Pick C, la maladie de Wolman (déficit en lipase acide lysosomale, très rare et associée à un tableau bruyant d’insuffisance hépatocellulaire et dénutrition) ; ces maladies bien que rares doivent être diagnostiquées car des prises en charge spécifiques et des traitements enzymatiques substitutifs améliorent significativement le pronostic ;
• une intolérance aux protéines dibasiques quasiment toujours associée à un SAM biologique (hyperferritinémie, élévation des LDH), parfois associée à une hyperammoniémie, un retard de croissance, une atteinte pulmonaire interstitielle ; il s’agit d’une maladie traitable multisystémique, dont le principal diagnostic différentiel est la lymphohistiocytose ;
• des signes d’hépatopathie associée ou pas à une cirrhose, qui peuvent évoquer un déficit en transaldolase, une maladie mitochondriale, une glycogénose de type IV, un CDG syndrome, une tyrosinémie de type I ou des maladies peroxysomales.

Le bilan comprendra notamment une mesure de l’activité des enzymes leucocytaires (glucocérébrosidase, sphingomyélinase…), des mucopolysaccharides / oligosaccharides urinaires devant une suspicion de MPS ou OS, une chromatographie des acides aminés plasmatiques et urinaires et une ammoniémie (en cas de suspicion d’intolérance aux protéines dibasiques). Les autres bilans spécialisés seront demandés en fonction des signes cliniques associés (atteinte hépatique, neurologique etc.). Cette enquête étiologique sera faite en lien avec un centre de compétence ou un centre de référence des maladies héréditaires du métabolisme.

Conclusion

Les étiologies d’une SM sont très nombreuses et parfois difficiles à diagnostiquer.

Il convient de solliciter un avis spécialisé si besoin et il ne faut pas hésiter à répéter des recherches infectieuses.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2023 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble et Sanofi.

Références

Suttorp M, Classen CF. Splenomegaly in children and adolescents. Front Pediatr 2021;9:704635. DOI: 10.3389/fped.2021.704635. PMID: 34307263.

Hilmes MA, Strouse PJ. The pediatric spleen. Semin Ultrasound CT MR 2007;28:3-11.