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Date de mise à jour 27/05/2024

Acidose métabolique chez l’enfant

 

J. Bouchereau1, A. De Mul2

1Service et CRMR maladies héréditaires du métabolisme, Hôpital Necker-Enfants malades, Paris, France
2Service de néphrologie pédiatrique, Hospices civils de Lyon, Lyon, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : juliette.bouchereau@aphp.fr (J. Bouchereau).
 

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Article validé par :

Groupe Francophone de Réanimation et d’Urgences Pédiatriques (GFRUP)

Société Française pour l’Étude des erreurs Innées du Métabolisme (SFEIM)

Société de Néphrologique Pédiatrique (SNP)

 

Introduction

Une acidose est définie par un pH plasmatique < 7,35 (pH artériel ou veineux). Cette acidose peut être d’origine respiratoire (pCO2 [capnie] et bicarbonates augmentés) ou métabolique (bicarbonates/réserve alcaline < 20 mmol/L et pCO2 < 35 mmHg par compensation respiratoire). Si l’acidose métabolique est d’installation rapide, elle peut se présenter cliniquement avec une dyspnée de Kussmaul (respiration ample et rapide liée à la compensation respiratoire visant à diminuer la capnie) et il faudra alors rechercher des signes de gravité : signes de déshydratation, troubles de conscience, instabilité hémodynamique. Dans les tableaux frustes, ou d’installation plus lente, les signes seront aspécifiques (teint gris et cireux, mauvaise prise pondérale, etc.) avec pour seul signe d’alerte une réserve alcaline basse sur un ionogramme sanguin non hémolysé. Le bilan initial comporte des examens simples permettant une première orientation, sanguins (gaz du sang veineux avec lactate, ionogramme avec bicarbonates sur échantillon non hémolysé, calcium, phosphore, protides ± albumine, urée, créatinine, glycémie capillaire et veineuse, cétonémie capillaire) et urinaires (bandelette urinaire pour pH, glycosurie et cétonurie).

Conduite diagnostique devant une acidose métabolique chez l’enfant

(1) La première étape pour définir l’origine de l’acidose métabolique est le calcul du trou anionique plasmatique (TAP) selon la formule [(Na+ + K+) – (Cl- + HCO3-)], dont la normale est 16 ± 4 mmol/L. Il représente les anions indosés physiologiques (albumine, phosphate, etc.) ou pathologiques (lactate, corps cétoniques, autres acides organiques endogènes ou exogènes, etc.).

Acidose métabolique à trou anionique plasmatique normal

(2) Si le TAP est non augmenté (< 20 mmol/L), l’acidose est hyperchlorémique et il faut calculer le trou anionique urinaire (TAU = Na+ + K+ – Cl-). Ce TAU permet d’évaluer l’ammoniurie, non réalisée en routine : en cas de charge acide, le rein doit normalement s’adapter à cette acidose et donc augmenter l’excrétion urinaire de H+ sous la forme de NH4+ ; les cations indosés augmentent et le trou anionique urinaire devient alors négatif. Le calcul du TAU permet donc d’évaluer si la réponse rénale est adaptée ou non.

(3) Si TAP non augmenté avec TAU négatif, l’ammoniurie est augmentée, la réponse rénale est adaptée. Il s’agit le plus souvent d’une perte de bicarbonates d’origine extrarénale (digestive : diarrhées sur gastro-entérite, situation fréquente, contexte clinique évocateur). Chez l’enfant hospitalisé, on peut également retrouver des acidoses hyperchlorémiques en cas de perfusion par soluté cristalloïde non balancé.

(4) Si TAP non augmenté avec TAU positif, la réponse rénale est inadaptée. L’acidose métabolique est d’origine tubulaire :
• elle peut résulter d’un défaut de réabsorption de bicarbonates au niveau du tubule proximal (pRTA [proximal Renal Tubular Acidosis], type II) ;
• elle peut également résulter d’un défaut d’acidification distale par défaut d’excrétion urinaire en H+ au niveau du canal collecteur. La sécrétion de H+ dépend d’une différence de potentiel membranaire liée à une réabsorption de Na+ et une excrétion de K+ sous le contrôle de l’aldostérone. Ce défaut d’acidification peut donc résulter directement d’un défaut d’excrétion de H+ (dRTA [distal Renal Tubular Acidosis], type I) mais aussi d’un hypoaldostéronisme ou d’une résistance à l’aldostérone (type IV).

(5) En cas de suspicion d’acidose tubulaire, on recherche des signes cliniques non spécifiques : teint gris et cireux, retard staturopondéral classiquement précoce, polyurodipsie, épisodes de déshydratation, rachitisme, lithiases rénales. On recherche la notion de consanguinité. La bandelette urinaire, les ionogrammes sanguin et urinaire ainsi que l’échographie rénale permettent de différencier :
• suspicion d’atteinte proximale, recherche d’autres signes d’insuffisance du tubule proximal (tubulopathie proximale complète de Toni, Debré, Fanconi) : glycosurie massive normoglycémique, signes d’hémoconcentration, hypokaliémie, hypophosphatémie avec phosphaturie, aminoacidurie, hypo-uricémie avec uricosurie, hypocarnitinémie ;
• suspicion d’atteinte distale : hypokaliémie par activation du système rénine angiotensine aldostérone, pH urinaire inadapté (> 5,5), hypercalciurie et hypocitraturie (pouvant entraîner une néphrocalcinose et des lithiases à l’échographie rénale). Une hyperkaliémie est, quant à elle, suggestive d’un hypoaldostéronisme ou d’une résistance à l’aldostérone (type IV).

(6) L’acidose tubulaire proximale peut être isolée (formes rares de perte de bicarbonate isolée, autosomales dominantes ou récessives, ou acquises sur certains traitements notamment antiépileptiques) ou le plus souvent associée à un syndrome de Fanconi plus ou moins complet. Celui-ci peut être acquis d’origine toxique (métaux lourds, ifosfamide, acide valproïque ou antiviraux) ou primitif dont l’étiologie la plus fréquente est la cystinose infantile, suivie d’étiologies plus rares comme : les maladies mitochondriales, les maladies d’intoxication endogène (maladie de Wilson, fructosémie, galactosémie et tyrosinémie de type I) ainsi que les anomalies de transcytose des protéines (syndrome de Dent ou de Lowe) et les rares glycogénoses de Bickel-Fanconi (variants bialléliques du gène GLUT2).

(7) L’acidose tubulaire distale de type I est la forme la plus fréquente d’acidose tubulaire en pédiatrie. Il existe des formes génétiques autosomiques récessives qui peuvent être associées à une surdité (potentiels évoqués auditifs à contrôler, mutation de la H+-ATPase) ou des formes autosomiques dominantes plus tardives et rares. Elle peut aussi être acquise, le plus souvent dans le cadre de pathologies systémiques chez l’adulte (lupus systémique, syndrome de Gougerot-Sjögren), se voir dans le cadre d’uropathies obstructives ou en post-transplantation rénale, ou encore être d’origine toxique (amphotéricine B, AINS, captopril, ciclosporine).

Le diagnostic étiologique précis des différentes acidoses tubulaires peut nécessiter des explorations métaboliques et génétiques spécifiques, du ressort d’un centre de référence.

Acidose métabolique à trou anionique plasmatique augmenté

(8) Si le TAP est élevé (la chlorémie reste normale dans ce cas), cela traduit l’accumulation d’acides anormaux. Les anions indosés peuvent être d’origine endogène (accumulation de lactate dans les sepsis ou choc, corps cétoniques dans l’acidocétose diabétique et/ou acide organique) ou exogène (éthylène glycol, méthanol, aspirine, etc.). L’ensemble de ces composés accumulés peut faire l’objet de dosages spécifiques, à réaliser dès le début de la prise en charge et avant tout traitement. La cause la plus fréquente, à rechercher en premier lieu, est l’acidocétose diabétique, de diagnostic facile avec l’hyperglycémie et/ou la glycosurie.

(9) En l’absence de circonstance évidente d’acidocétose diabétique ou d’intoxication exogène, il convient de rechercher en urgence une intoxication endogène liée à une maladie héréditaire du métabolisme (MHM), avec un bilan complémentaire détaillé dans l’arbre diagnostique. Les aciduries organiques pourront s’accompagner d’une hyperammoniémie plus ou moins sévère, parfois d’une augmentation du lactate. Les déficits de cétolyse se présenteront souvent avec une hypoglycémie accompagnant l’acidocétose profonde. Les circonstances déclenchantes, en dehors de la période néonatale pour les formes sévères, sont une période de catabolisme (maladie infectieuse intercurrente, jeûne prolongé, anesthésie, etc.) ; et les points d’appel cliniques, en dehors de la dyspnée d’acidose, sont souvent neurologiques (somnolence, troubles de conscience) ou digestifs (vomissements). En cas de suspicion d’acidurie organique, il faut en urgence arrêter les apports protéiques, stopper le catabolisme avec une perfusion glucidique, et débuter un traitement par carnitine. Le bilan étiologique spécifique comprend : profil d’acylcarnitines plasmatiques et chromatographie des acides organiques urinaires, à réaliser en période aiguë.

(10) L’hyperlactatémie n’entraîne une acidose métabolique que lorsque le lactate dépasse le seuil de 6 mmol/L (à noter qu’on peut retrouver sur des prélèvements sanguins difficiles avec éventuelle pose de garrot une hyperlactatémie, qui dans ce contexte sera inférieure à 6 mmol/L et ne sera pas associée à une acidose ; lactates normaux = 2 mmol/L). L’acidose lactique est le plus souvent due à une hypoperfusion tissulaire (choc, défaillance d’organe, etc.). Certaines MHM (déficit de la β-oxydation des acides gras, déficit en fructose-1,6-biphosphatase, glycogénoses et maladies mitochondriales, y compris les déficits en pyruvate déshydrogénase) doivent être suspectées, en particulier en cas d’association avec une hypoglycémie, une défaillance hépatique, une atteinte cardiaque ou une rhabdomyolyse (déficits de la β-oxydation des acides gras). Pour rechercher ces étiologies, il faut dès que possible prélever un profil d’acylcarnitines plasmatiques et une chromatographie des acides organiques urinaires. Quelle que soit la cause, la prise en charge initiale repose sur une perfusion glucidique (polyionique G10 %) et le traitement des défaillances d’organes.

L’ensemble des bilans et des prises en charge spécifiques sont détaillés dans les protocoles d’urgence rédigés par la filière G2M (https://filiere-g2m.fr/).

(11) L’insuffisance rénale chronique peut entraîner une acidose métabolique, dont la fréquence se majore avec la sévérité de l’atteinte. Dans les stades précoces, elle est liée à un défaut d’élimination rénale des H+, surtout dans les pathologies de type uropathie ou néphropathie interstitielle (TAP normal dans ce cas). Dans les stades plus avancés, l’acidose est due à une accumulation d’anions indosés non éliminés au niveau rénal (TAP augmenté).

Conclusion

En présence d’une acidose métabolique, le calcul des TA plasmatique et urinaire est la première étape du diagnostic. En cas d’acidose hyperchlorémique, la diarrhée sur gastro-entérite aiguë est l’étiologie la plus fréquente. En cas de suspicion de tubulopathie, des signes cliniques évocateurs seront recherchés et un ionogramme sanguin et urinaire complet sera réalisé. Une MHM sera suspectée en cas d’acidose à TAP élevé (hors acidocétose diabétique, ou choc d’une autre origine), avec une prise en charge urgente spécifique nécessaire.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2024 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble.

Références

Baker PR 2nd. Recognizing and managing a metabolic crisis. Pediatr Clin North Am. 2023 Oct;70(5):979‑93. DOI: 10.1016/j. pcl.2023.05.009.

Filière G2M. Protocoles urgences. https://filiere-g2m.fr/urgences.