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Date de mise à jour 01/08/2019

Hypokaliémie de l’enfant

 

R. Berthaud*

Néphropédiatrie, CHU Necker, 75015 Paris
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : romain.berthaud@aphp.fr (R. Berthaud).
 

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Article validé par :

SFP (Société Française de Pédiatrie)

SNP (Société de Néphrologie Pédiatrique)

Introduction

(1) L’hypokaliémie est définie par une concentration plasmatique de potassium < 3,5 mmol/L. Fréquemment asymptomatique, elle peut être accompagnée de signes cliniques non spécifiques (faiblesse musculaire, crampes, myalgies, constipation, asthénie). Lorsqu’elle est profonde, et d’autant plus si elle est d’installation rapide, le retentissement musculaire peut être plus significatif, allant jusqu’à une rhabdomyolyse (< 2,5 mmol/L), voire une paralysie, dont la progression est ascendante et peut atteindre les muscles respiratoires (< 2,0 mmol/L). Le pronostic est lié au caractère pro-arythmogène de l’hypokaliémie, qui entraîne une hyperexcitabilité cardiaque majorée en cas de comorbidités cardiovasculaires.
Il faut donc réaliser un électrocardiogramme (ECG) en urgence qui dépiste les manifestations cardiaques précliniques : dépression du segment ST, puis affaissement voire inversion de l’onde T, augmentation de l’amplitude de l’onde U. La poursuite de l’hypokaliémie se traduit par un élargissement des QRS qui se manifeste par l’apparition de troubles du rythme supraventriculaires ou ventriculaires.

Conduite diagnostique à tenir devant une hypokaliémie chez l’enfant

(2) Une grande partie des hypokaliémies est iatrogène. Il convient donc d’étudier les médicaments reçus par le patient.
On peut classer les causes d’hypokaliémie en fonction de la réponse rénale.

(3) Hypokaliémie à réponse rénale adaptée 
L’excrétion urinaire de potassium (K+) des 24 heures est basse, ou la mesure instantanée de la concentration urinaire de K+ est < 20 mmol/L en l’absence de diurétique. Pour aller plus loin dans l’exploration d’une tubulopathie chez l’enfant > 2 ans, on peut calculer le gradient transtubulaire de potassium (GTTK) qui représente la force de sécrétion tubulaire du K+ dans les cellules principales du canal collecteur (CC).
GTTK = (Ku × Osms) / (Osmu × Ks)
Chez un sujet sain ayant une alimentation normale, le GTTK est compris en 6 et 12. En cas d’apport nul en K+, il peut baisser jusqu’à 1 et monter jusqu’à 15 en cas de charge potassique. Le GTTK diminue en cas d’hypokaliémie et augmente lorsque le K+ plasmatique (Ks) s’élève.

(4) Insuffisance d’apport
Les hypokaliémies par insuffisance d’apport sont rares. Dans l’anorexie mentale et les dénutritions sévères en général, l’atrophie tissulaire entraîne un relargage de potassium dans le secteur extracellulaire, rendant l’hypokaliémie souvent modérée malgré des stocks bas. Une hypokaliémie sévère dans un contexte d’anorexie mentale doit faire rechercher une autre cause, une prise de laxatifs, de diurétiques ou des vomissements associés.

(5) Pertes digestives
La concentration en potassium des selles est variable. Du fait du faible volume liquidien des selles normales, la perte fécale journalière de potassium est faible (10-25 mmol/j chez l’adulte). Un surdosage en laxatif ou toute autre cause d’augmentation du volume des selles expose à un risque d’hypokaliémie.

(6) Transfert intracellulaire de potassium
Il peut être lié à :
• une stimulation β2-adrénergique, qu’elle soit exogène (salbutamol, adrénaline, décongestionnants nasaux, etc) ou endogène (phéochromocytome, traumatisme crânien, cardiopathie ischémique, delirium tremens, etc) ;
• la prise d’insuline (surdosage ou acidocétose diabétique), de théophylline ou de caféine ;
• une alcalose, qu’elle soit d’origine métabolique ou respiratoire. La kaliémie diminue de 0,5 mmol/L pour une augmentation de pH de 0,1 unité ;
• une hyperthyroïdie ;
• une forte stimulation de l’hématopoïèse après administration d’acide folique ou de vitamine B12, en cas d’anémie mégaloblastique, au cours d’un traitement par Granulocyte Colony-Stimulating Factor (G-CSF) ou dans les leucémies d’évolution rapide.
L’hypokaliémie par transfert intracellulaire de potassium peut-être responsable de troubles moteurs par atteinte musculaire allant jusqu’à la tétraplégie avec troubles de la déglutition et/ou troubles respiratoires (paralysie périodique hypokaliémique, maladie génétique autosomique dominante), ou à type de paralysie flasque en contexte d’hyperthyroïdie (paralysie périodique hypokaliémique thyrotoxique).

(7) Hypokaliémie par perte rénale  (kaliurèse inadaptée [> 20-30 mmol/L], GTTK élevé [> 5-6])
Un avis spécialisé est nécessaire pour toute hypokaliémie avec kaliurèse inadaptée en l’absence de prise de diurétique susceptible d’augmenter la kaliurèse.

(8) À volume extracellulaire augmenté (avec hypertension artérielle [HTA])
À ce stade, une échographie rénale et un Doppler des artères rénales doivent être réalisés par un opérateur entraîné et un dosage de la rénine et de l’aldostérone plasmatique doit être discuté avec un néphropédiatre.
Le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) est une des pierres angulaires de la régulation de la kaliémie. Son activation augmente la réabsorption de sodium au niveau du tubule distal via le canal sodium épithélial (ENaC), entraînant une dépolarisation de la membrane apicale des cellules principales qui favorise la sécrétion de potassium par le canal Renal Outer Medullary Potassium (ROMK) et donc l’installation d’une hypokaliémie. Toute activation excessive du SRAA ne répondant pas à une hypotension artérielle ou à une hypovolémie conduit également à un bilan sodé positif et à une augmentation du volume extracellulaire associée à une HTA.

(9) L’activation du SRAA peut être secondaire à une augmentation de la synthèse de rénine. On parle d’hyperaldostéronisme secondaire qui peut être lié à une tumeur à rénine (rare), une ischémie rénale/hypovolémie relative par sténose d’une artère rénale, par coarctation de l’aorte ou mid aortic syndrome, une séquelle d’infarctus rénal ou de pyélonéphrite, une dysplasie rénale congénitale.

(10) Lorsque la sécrétion excessive concerne l’aldostérone avec rétrocontrôle efficace sur la sécrétion de rénine (effondrée), on parle d’hyperaldostéronisme primaire. L’hypokaliémie est moins fréquente (20-50 %) mais peut être profonde. Les principales causes d’hypersécrétion autonomisée d’aldostérone sont l’adénome de Conn, l’hyperplasie congénitale des surrénales, et certains corticosurrénalomes. Il existe enfin quelques rares causes familiales monogéniques : Glucocorticoid Remediable Aldo steronism (GRA), mutations de Potassium Voltage-Gated Channel Subfamily J Member 5 (KCNJ5), non détaillées ici.

(11) Enfin, lorsque l’activation du SRAA se fait au niveau du récepteur minéralocorticoïde ou en aval, le rétrocontrôle sur la sécrétion de rénine et d’aldostérone est effectif (rénine et aldo stérone freinées). On parle alors de pseudo-hyperaldostéronisme. On retrouve ce phénomène dans certaines formes d’hyper corticisme (sécrétion paranéoplasique d’ACTH, corticosurrénalomes). L’hypersécrétion de cortisol entraîne une saturation de la 11β-hydroxystéroïde déshydrogénase de type 2 (11β-HSD2) des cellules tubulaires qui ne parvient pas à l’inactiver en totalité. Le cortisol, présent en grande quantité, exerce alors son rôle minéralocorticoïde. Certains blocs enzymatiques surrénaliens entraînent également un pseudo-hyperaldostéronisme par accumulation de minéralocorticoïdes autres que l’aldostérone (désoxycorticostérone). La glycyrrhizine, issue de la racine de la réglisse, est présente dans les boissons et les produits solides à base de réglisse et est également utilisée comme édulcorant dans certains produits alimentaires. Elle est un inhibiteur naturel de la 11β-HSD2. Consommée en excès, elle entraîne une HTA hypokaliémique. Les traitemen minéralocorticoïdes comme la fludrocortisone entraînent une hypokaliémie dose-dépendante par activation du récepteur minéralocorticoïde. L’effet hypokaliémiant des glucocorticoïdes de synthèse est bien moindre et dépend de l’activité minéralocorticoïde de chaque molécule. Enfin, il existe des formes génétiques de pseudo-hyper aldostéronisme :
• le syndrome d’Ulick, ou excès apparent de minéralocorticoïdes ;
• le syndrome de Liddle ;
• le syndrome de Geller.

(12) Hypokaliémie par pertes rénales sans HTA
Le dosage des bicarbonates plasmatiques est ici utile à la démarche diagnostique.

(13) Avec acidose
L’acidose tubulaire distale (type 1) est l’incapacité du canal collecteur à excréter les ions H+ et donc à abaisser le pH tubulaire. Elle s’accompagne d’une hypokaliémie souvent sévère d’origine multifactorielle (hyperaldostéronisme secondaire à l’hypovolémie et dépolarisation membranaire augmentant la sécrétion tubulaire de potassium). Dans l’acidose tubulaire proximale (type 2), l’hypo kaliémie résulte de la diminution de la réabsorption des bicarbonates par le tubule proximal et de l’augmentation de la charge sodée dans le tubule distal.
L’acétazolamide (inhibiteur de l’anhydrase carbonique, diurétique également hypotonisant pour l’oeil) entraîne également une acidose métabolique hypokaliémique.

(14) Avec alcalose
L’hypovolémie et la perte de sel, qu’elles soient réelles ou efficaces, sont susceptibles d’entraîner une alcalose hypokaliémique par pertes rénales de potassium par le biais d’un hyperaldostéronisme secondaire. À l’origine de cette hypovolémie/perte de sel, on peut citer :
• les pertes digestives : le liquide gastrique est pauvre en potassium mais la perte d’ions Cl- et H+ dans les vomissements ou les dérivations digestives entraîne l’élimination de l’excès de bicarbonates dans les urines, accompagnés par du sodium. La perte rénale de sel active le SRAA ;
• les tubulopathies : le syndrome de Bartter et de Gitelman sont deux tubulopathies génétiques rares, de transmission autosomique récessive, qui entraînent toutes deux une perte rénale de sel qui active le SRAA ;
• les diurétiques hypokaliémiants (diurétiques de l’anse et thiazidiques) sont la cause, de loin la plus fréquente, d’hypokaliémie avec réponse rénale inadaptée.

(15) Enfin, l’hypomagnésémie entraîne à la fois une déplétion intracellulaire et une perte rénale en potassium (attribuée à une activation des canaux potassiques tubulaires). Les aminosides, les inhibiteurs de la pompe à protons, l’amphotéricine B, le cisplatine et le foscarnet peuvent entraîner une hypokaliémie secondaire à une déplétion en magnésium.

Conclusion

L’hypokaliémie est fréquente, souvent asymptomatique, et peut avoir des conséquences sévères. La recherche d’une cause iatrogène, l’analyse de la kaliurèse, l’évaluation du volume extracellulaire (poids, signes de déshydratation, diurèse) et la recherche d’une HTA orientent le diagnostic. Le traitement dépend de la cause.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts pour cet article.

Références

Gennari FJ. Hypokalemia. N Engl J Med 1998;339:451-8.

Collège universitaire des enseignants de néphrologie (France); Moulin B, Peraldi MN. Néphrologie 2018.

Thervet E. Traité de néphrologie. 2017.

Zieg J, Gonsorcikova L, Landau D. Current views on the diagnosis and management of hypokalaemia in children. Acta Paediatr 2016;105:762-72.

Flynn JT, Kaelber DC, Baker-Smith CM, Blowey D, Carroll AE, Daniels SR, et al. Clinical Practice Guideline for Screening and Management of High Blood Pressure in Children and Adolescents. Pediatrics 2017;140:e20171904.