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Dysthyroïdies maternelles : quel bilan pour le nouveau-né ?
R. Coutant1,2*, N. Bouhours-Nouet1,2, F. Illouz2, S. Rouleau1, P. Rodien2
1Endocrinologie pédiatrique, CHU Angers, 4 rue Larrey, 49000 Angers, France2Centre de référence des maladies rares de la thyroïde et de la réceptivité hormonale, CHU Angers, France *Auteur correspondant - Adresse e-mail : regis.coutant@chu-angers.fr (R. Coutant). Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
Article validé par : | |
SFP (Société Française de Pédiatrie) SFEDP (Société Française d’Endocrinologie et Diabétologie Pédiatrique) |
Introduction
Fonction thyroïdienne maternelle et impact sur le foetus : un peu de physiopathologie
Pendant la grossesse, la glande thyroïde augmente en taille de 10 %, et la production des hormones thyroïdiennes, thyroxine (T4) et triiodothyronine (T3) augmente de près de 50 %, en conjonction avec une augmentation de 50 % des besoins quotidiens en iode. Ces modifications physiologiques se produisent chez les femmes en bonne santé, mais un dysfonctionnement thyroïdien peut survenir chez de nombreuses femmes enceintes en raison de l’augmentation physiologique des contraintes.
Impact de l’hypothyroïdie maternelle sur le foetus
L’hypothyroïdie maternelle peut avoir un impact développemental sur l’embryon et le foetus, car au tout début de la grossesse, la thyroïde du foetus n’est pas fonctionnelle, et ce sont les hormones maternelles qui suppléent aux besoins du foetus, par diffusion (avant l’individualisation fonctionnelle du placenta) : un retentissement sur le quotient intellectuel (QI) de l’enfant (quelques points) ou sur l’apprentissage du langage a été montré. Après l’individualisation anatomique et fonctionnelle de la thyroïde foetale, c’est cette dernière qui produit les hormones thyroïdiennes actives, en faible quantité, mais importantes pour le développement du système nerveux central. Si la thyroïde du foetus n’est pas fonctionnelle (cas des hypothyroïdies congénitales), les hormones maternelles permettront la maturation du cerveau foetal, même si elles passent mal la barrière placentaire et qu’elles subissent une inactivation par la désiodase placentaire.
Impact de l’hyperthyroïdie maternelle sur le foetus
Le foetus est relativement protégé d’un excès d’hormones maternelles par la désiodase placentaire de type 3. Cependant des taux élevés d’hormones thyroïdiennes maternelles ont été associés négativement au QI de l’enfant. Un mauvais contrôle de la thyro toxicose maternelle est également associé à une fréquence accrue de fausse couche, d’hypertension, de prématurité, de retard de croissance intra-utérin et d’insuffisance cardiaque congestive maternelle.
Dysthyroïdie maternelle avec auto-anticorps antithyroïdiens ± hypothyroïdie (A1)
Entre 2 et 18 % des femmes enceintes (10 % en moyenne) sont porteuses d’anticorps antithyroperoxydase (TPO) ou d’anticorps antithyroglobuline (Tg), témoignant d’une auto-immunité anti thyroïdienne (thyroïdite auto-immune de Hashimoto). Ces anticorps anti-TPO ou anti-Tg sont sans effet pathogène sur la thyroïde foetale ; ils sont simplement témoins de l’auto-immunité, seuls les anticorps antirécepteurs Thyroid Stimulating Hormone (TSH) bloquants (TRAb bloquants) peuvent avoir un effet pathogène.
Hypothyroïdie foetale et néonatale transitoire
Le plus souvent, le nouveau-né d’une mère avec thyroïdite est en parfaite santé.
Parfois, le passage transplacentaire d’anticorps antirécepteurs TSH bloquants (TRAb bloquants) bloquant la thyroïde du foetus puis du nouveau-né peut entraîner une hypothyroïdie foetale puis néonatale (transitoire, durant quelques semaines, jusqu’à élimination complète des anticorps maternels transmis). Leur fréquence est de 1/180 000 nouveau-nés. L’élévation de la TSH sera mise en évidence sur le buvard néonatal de J3. Il est inutile de prévoir dans cette situation plus de bilan que le dépistage néonatal sur buvard (A2).
En cas de TSH buvard élevée (A3), les recommandations de traitement sont celles de l’hypothyroïdie congénitale (fonction de la TSH buvard et veineuse).
Le traitement par lévothyroxine durera quelques semaines (en moyenne 3 mois). C’est en effet à partir de la naissance que les besoins de l’enfant en hormones thyroïdiennes deviennent majeurs pour le développement du système nerveux central. Le pronostic cognitif de ces enfants est excellent (sous la réserve que la mère était également bien équilibrée pendant la grossesse, sinon la coexistence d’une hypothyroïdie maternelle et foetale peut avoir des conséquences cognitives).
Dysthyroïdie maternelle avec anticorps antirécepteurs TSH activateurs (maladie de Basedow active ou guérie) (B1)
Entre 0,4 à 1,2 % des femmes enceintes présentent une hyperthyroïdie active (en général une maladie de Basedow) ou guérie (par un traitement radical pour maladie de Basedow, thyroïdectomie ou iode radioactif, parfois par antithyroïdiens de synthèse [ATS] seuls), ce qui ne préjuge pas de la persistance ou non d’anticorps antirécepteurs TSH (TRAb).
Chez le foetus : impact des TRAb maternels
Les TRAb (stimulants, plus rarement bloquants) passent le placenta, et sont capables d’entraîner une hyperthyroïdie foetale, après la 20e semaine de grossesse. Ils peuvent être présents aussi bien dans le cas d’une maladie de Basedow maternelle active que guérie, et doivent donc être recherchés dans les deux cas. Le risque d’hyperthyroïdie foetale/néonatale transitoire concerne 1 à 10 % des femmes avec maladie de Basedow active ou guérie (soit 1/50 000 nouveau-nés), et le risque d’hypothyroïdie (par anticorps bloquants) est 4 fois moins fort. Il est donc important de considérer que la plupart des foetus/nouveau-nés de mère avec maladie de Basedow seront en bonne santé. Le risque d’hyperthyroïdie néonatale est proportionnel au taux des TRAb maternels : une concentration sérique de TRAb chez la mère > 5 UI/L (environ 2-3 fois la limite supérieure de la normale pour le test) aux 2e et 3e trimestres prédit une hyperthyroïdie néonatale avec 100 % de sensibilité et 43 % de spécificité (B2).
Chez le foetus : impact des traitements de la mère par antithyroïdiens de synthèse
Les ATS utilisés chez la mère passent également vers le foetus et peuvent freiner la thyroïde foetale, en général d’une manière plus active que la freination maternelle (la posologie maternelle doit être minimale, avec une tolérance relative de l’hyperthyroïdie, pour ne pas trop freiner la thyroïde foetale).
Chez le foetus : nécessité de monitorage
Finalement, les effets combinés et opposés des TRAb et des ATS peuvent aboutir à une hypothyroïdie foetale, une euthyroïdie foetale, ou une hyperthyroïdie foetale.
Le monitorage foetal est requis en cas de présence de TRAb maternels.
Des signes d’hyperthyroïdie foetale potentielle peuvent être détectés par l’échographie : tachycardie foetale (fréquence cardiaque > 160-170 bpm, persistant plus de 10 minutes), restriction de croissance, présence de goitre foetal avec signal Doppler positif sur toute la glande, accélération de la maturation osseuse (point fémoral distal détecté avant 32 SA), signes d’insuffisance cardiaque congestive, anasarque. Dans la plupart des cas, le diag nostic d’hyperthyroïdie foetale pourra être fait sur l’interprétation des taux sériques maternels de TRAb et l’échographie foetale.
À l’inverse, des signes suspects d’hypothyroïdie foetale peuvent être détectés : goitre thyroïdien foetal avec vascularisation périphérique, point d’ossification fémoral distal absent après 32 SA.
Le prélèvement de sang foetal au cordon (cordocentèse) peut être utilisé pour mesurer le bilan thyroïdien foetal lorsqu’une mère avec TRAb positifs est traitée par ATS, s’il existe un goitre foetal, et lorsque l’état thyroïdien du foetus n’est pas clair sur les signes échographiques. La présence de taux élevés de TRAb seuls n’est pas une indication de la cordocentèse, car elle n’est pas dénuée de risque de mortalité et morbidité foetales.
En cas d’hyperthyroïdie foetale, l’ajustement ou la mise en route du traitement de la mère par ATS permettra d’éviter une forme grave. L’hyperthyroïdie foetale conduit invariablement à une hyperthyroïdie néonatale.
En cas d’hypothyroïdie foetale chez une mère sous ATS (goitre hypothyroïdien), il sera important de baisser la posologie de ceuxci. L’administration intra-amniotique de lévothyroxine doit rester exceptionnelle, par exemple lorsque les mesures d’ ajustement thérapeutique ne permettent pas de contrôler un goitre foetal volumineux (avec risque obstétrical et compressif).
Chez le nouveau-né : impact des TRAb et des ATS maternels
Après la naissance, la fonction thyroïdienne du nouveauné variera également selon la présence/l’absence de TRAb (d’origine maternelle, mais susceptibles de persister plusieurs semaines), leur caractère stimulant ou plus rarement bloquant, le traitement maternel ou non par ATS (qui seront éliminés en quelques jours de l’organisme foetal).
Conduite à tenir à la naissance
La première étape consiste en la recherche de TRAb sur le sang du cordon, à la naissance (ou dès que possible, si cette mesure sur sang du cordon n’a pas été faite) (B3). En revanche, les mesures de T4L, T3L et TSH au cordon ne permettent pas de prédire l’évolution future et sont donc inutiles.
Il est également important de rechercher des signes d’hyperthyroïdie néonatale, immédiatement et à chaque visite :
• signes reliés à une hyperthyroïdie foetale : restriction de croissance intra-utérine, naissance prématurée, microcéphalie, bosses frontales et faciès triangulaires (craniosténose) ;
• peau chaude et humide ;
• irritabilité, hyperactivité, agitation et manque de sommeil ;
• tachycardie, parfois cardiomégalie, arythmie cardiaque ou insuffisance cardiaque ;
• hypertension pulmonaire persistante ;
• hyperphagie, mais prise de poids insuffisante et fréquence accrue des selles ;
• hépatosplénomégalie ;
• goitre diffus, habituellement petit, mais assez gros occasionnellement pour causer une compression des voies respiratoires ;
• parfois exophtalmie.
Si l’enfant n’a pas de TRAb (environ 25 % des cas de mères avec TRAb) (B4)
Il n’y a quasiment pas de risque d’hyperthyroïdie néonatale : un suivi clinique simple est recommandé (dans l’hypothèse exceptionnelle où les anticorps antirécepteurs TSH seraient présents, mais non détectés par le kit).
Si l’enfant a des TRAb (environ 75 % des cas de mères avec TRAb) (B5)
Il y a un risque d’hyperthyroïdie néonatale, estimé à 25 % des nouveau-nés avec TRAb. Ce risque existe si le taux de TRAb au cordon est > à 2 fois la limite supérieure (sensibilité 100 %, spécificité 35 %, valeur prédictive positive 29 %). La mesure de TSH, T3L, et T4L à J3, J5, puis J10-J14 est utile pour le diag nostic (mais pas au cordon ni avant J3, compte tenu du pic physiologique de la T4L avant J3, difficile à interpréter). Des valeurs de T4L > 50 pmol/L à J3 et > 40 pmol/L à J7-J14, et de TSH < 1 mUI/L à J3 et < 0,6 mUI/L à J7-J14 sont indicatives d’une hyperthyroïdie néonatale. De même, toute élévation rapide de la T4L (et/ou baisse rapide de la TSH) doit alerter.
Si l’enfant a des TRAb, mais la mère est traitée par ATS (B5)
Il existe un risque d’une hyperthyroïdie explosive apparaissant après quelques jours, lorsque l’action stimulante des TRAb n’est plus contrebalancée par l’effet freinateur des ATS (éliminés en 7 à 10 jours). Cette situation nécessite un monitoring clinique et biologique du nouveau-né de J3 à J14. En général, le bilan hormonal permet de prédire l’évolution vers l’hyperthyroïdie.
TRAb stimulants et bloquants présents simultanément (rare)
La clairance en général plus rapide des anticorps bloquants peut aboutir à passer d’une hypothyroïdie néonatale (ou une euthyroïdie) à une hyperthyroïdie après quelques semaines. Après la période de suivi hormonal serré (J3 à J10-J14), si le bilan hormonal est resté stable, un suivi clinique doit se faire jusqu’à disparition complète des TRAb de la circulation du nouveau-né.
TRAb majoritairement bloquants (rare)
La TSH élevée du nouveau-né sera dépistée (buvard à J3). Les recommandations de traitement sont celles de l’hypothyroïdie congénitale (fonction de la TSH buvard et veineuse) : lévothyroxine, pour une durée de quelques semaines.
Traitement de l’hyperthyroïdie du nouveau-né (B6)
Le carbimazole (0,5 à 1 mg/kg/j, en fonction de la sévérité clinique de la maladie initiale) est administré en trois doses par jour. Le propranolol (2 mg/kg/j, en deux prises fractionnées) peut également être utilisé pour contrôler la tachycardie au cours des 2 premières semaines de traitement. La dose d’ATS peut généralement être diminuée progressivement, en fonction du taux d’hormones thyroïdiennes. La L-thyroxine peut aussi être utilisée, uniquement si les approches de titration de la dose sont difficiles. La maladie est transitoire et dure généralement 1 à 3 mois, et se résoudra lorsque les TRAb maternels seront éliminés de la circulation du nourrisson. L’allaitement n’est pas contre-indiqué chez les mères prenant des ATS à dose modeste (carbimazole < 20 mg/j, ou PTU < 300 mg/j).
Quelques enfants avec hyperthyroïdie néonatale peuvent développer une hypothyroïdie centrale après la phase hyperthyroïdienne (peut-être parce que l’hyperthyroïdie foetale et néonatale a « inhibé » durablement l’axe thyréotrope).
Conclusion
En cas de dysthyroïdies maternelles auto-immunes (cas le plus fréquent), l’impact foetal et surtout néonatal est beaucoup plus dépendant du passage transplacentaire des auto-anticorps maternels antirécepteurs TSH et/ou des traitements que la mère reçoit que de la fonction thyroïdienne maternelle propre (dont l’impact, même présent, est limité).
Liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.
Références
van der Kaay DC, Wasserman JD, Palmert MR. Management of Neonates Born to Mothers With Graves’ Disease. Pediatrics 2016;137(4):e20151878.
Alexander EK, Pearce EN, Brent GA, Brown RS, Chen H, Dosiou C, et al. 2017 Guidelines of the American Thyroid Association for the Diagnosis and Management of Thyroid Disease During Pregnancy and the Postpartum. Thyroid 2017;27(3):315-89.
Besancon A, Beltrand J, Le Gac I, Luton D, Polak M. Management of neonates born to women with Graves’ disease: a cohort study. Eur J Endocrinol 2014;170(6):855-62.