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Hépatite C chez l’enfant
F. Lacaille
Service de gastro-entérologie-nutrition et unité d’hépatologie pédiatriques, Hôpital Necker-Enfants malades, 149 rue de Sèvres, Paris, France *Auteur correspondant - Adresse e-mail : florence.lacaille@aphp.fr (F. Lacaille). Cliquez sur l'image pour l'agrandir.Article validé par : | |
Groupe Francophone d’Hépatologie-Gastroentérologie et Nutrition Pédiatriques (GFHGNP) Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique (GPIP) |
Introduction
L’hépatite C est due à un virus à ARN découvert en 1989. Il se transmet quasi exclusivement par le sang. Contrairement au VIH et au virus de l’hépatite B (VHB), dont il partage des caractéristiques épidémiologiques, il ne s’intègre pas dans le génome cellulaire, et peut donc être éradiqué par le traitement. Comme le VIH, il mute rapidement après l’infection et échappe ainsi à un vaccin. Plusieurs génotypes existent, assez différents pour que les anticorps contre l’un ne soient pas protecteurs contre la réinfection par un autre.
L’expansion de l’hépatite C en Occident dans les années 1970 a suivi celle de la toxicomanie. Le virus de l’hépatite C (VHC) peut aussi être transmis par les transfusions mal contrôlées et les campagnes de masse de traitements parentéraux (exemple de l’Égypte dans les années 1960). Le VHC peut se transmettre de la mère au foetus au deuxième trimestre, dans moins de 5 % des cas (20 % si la mère est aussi infectée par le VIH et non traitée). Depuis que la sécurité transfusionnelle est quasi absolue dans les pays développés (années 1990), la transmission mère-enfant est le seul mode de contamination avant l’adolescence. Cela justifie le dépistage et le traitement des femmes avant un projet de grossesse. Il n’y a aucune prévention possible de la transmission ; on recommande d’éviter les interventions pouvant être contaminantes, comme l’amniocentèse. Il n’y a pas de contre-indication à l’allaitement maternel, le VHC n’étant pas transmis par voie digestive.
Le VHC est beaucoup moins contagieux que le VIH et le VHB. L’OMS considérait en 2020 que 57 millions de personnes étaient porteuses du VHC (0,7 % de la population mondiale), dont seulement 14 millions diagnostiquées, et 3,5 millions d’enfants. En 2011 en Europe, l’incidence annuelle était de 16 nouvelles infections pour 105 chez les 25-44 ans, presque autant chez les adolescents et jeunes adultes (13 pour 105), et seulement 2 pour 105 chez les moins de 4 ans.
Le VHC est peu et lentement pathogène. Avant les nouveaux traitements, on considérait le risque de développer une maladie sévère du foie, cirrhose ou cancer, de 20-25 %, après une évolution d’au moins 20 ou 30 ans, risque très augmenté par l’alcool ou l’infection par le VIH. Après une infection aiguë, une hépatite symptomatique est rare. Entre 50 et 80 % des patients développent une hépatite chronique, le VHC étant alors encore détectable dans le sang 6 mois après la contamination. De grandes séries de patients contaminés de façon iatrogène (transfusion pour chirurgie cardiaque, ou immunoglobulines anti-D) ont été étudiées 15 à 35 ans après la contamination : la moitié n’avaient plus que des anticorps anti-VHC, sans virus circulant. Une faible proportion avait une maladie sévère du foie, les facteurs aggravants étant l’alcool et l’obésité. Une grande étude britannique, incluant plus de 1 000 patients infectés avant 18 ans, dont la moitié par toxicomanie à l’adolescence, retrouvait un tiers de cirrhoses après 33‑35 ans d’évolution, les facteurs de risque étant l’alcool et le sexe masculin.
Chez les enfants contaminés pendant la grossesse, on peut observer dans la première année une hépatite biologique, sans signe clinique. Le virus n’est plus retrouvé après 3 ans chez 20 à 25 % d’entre eux. L’infection chez l’enfant est dans la majorité des cas bénigne et asymptomatique. Il est exceptionnel de retrouver les signes fonctionnels décrits chez les adultes, comme l’asthénie. Les transaminases sont dans la moitié des cas normales, sinon modérément élevées (moins de 150 UI ou moins de 3 fois la normale), le reste des examens étant normaux. L’histologie montre des lésions peu sévères, une inflammation minime à modérée des espaces-portes, quelquefois une fibrose minime à modérée. De rares cas de cirrhose ont été rapportés.
Conduite diagnostique devant une sérologie de l’hépatite C positive
(1) La recherche d’anticorps anti-VHC doit être faite chez les enfants adoptés à l’étranger, ou y ayant reçu une transfusion (ou des produits dérivés du sang) à risque, les mineurs « à risque » (migrants mineurs, usagers de drogues, à risque sexuel…), et si la mère a une hépatite C (pas avant l’âge de 15‑18 mois, compte tenu de la détection, avant cet âge, des anticorps maternels transmis in utero à l’enfant, même si celui-ci n’est pas lui-même infecté).
(2) Si la sérologie VHC est positive, on complète le bilan avec la recherche de l’ARN du VHC et un dosage des transaminases. La détermination du génotype viral n’est plus systématiquementrecommandée.
(3) En cas de sérologie positive sans virémie, on affirmera la guérison après une deuxième recherche d’ARN négative, plusieurs mois plus tard. Il n’y a plus de surveillance ultérieure, car contrairement à l’hépatite B (virus à ADN qui s’intègre), l’éradication du virus est définitive, même en cas d’immunodépression ultérieure.
(4) Si l’ARN du VHC est détecté, l’orientation dépend du taux de transaminases, qui sont habituellement normales ou peu élevées (< 100-150 UI/L).
(5) Si les transaminases sont plus élevées qu’habituellement, il faut chercher une autre maladie hépatique (autre virus aigu ou chronique, hépatite auto-immune, maladie de Wilson), ou penser à une évolution sévère (exceptionnelle).
(6) Prise en charge d’un enfant de moins de 3 ans présentant une virémie VHC positive
La transmission materno-foetale étant la plus fréquente, il faut rechercher l’infection chez la mère, et organiser sa prise en charge le cas échéant. Vue la possibilité de guérison spontanée, un contrôle de virémie après l’âge de 3 ans suffit. En cas de résultat négatif, la guérison est probable, à contrôler sur un second prélèvement quelques mois plus tard ; aucune surveillance n’est plus nécessaire.
(7) Prise en charge d’un enfant de plus de 3 ans présentant une virémie HCV positive
En cas de virémie HCV découverte ou persistante après l’âge de 3 ans, l’examen clinique est très généralement normal. Le bilan de maladie hépatique chronique comporte la coagulation, l’albuminémie. Le dosage de l’alphafoetoprotéine n’est pas indiqué car il n’est pas observé de cancer sans cirrhose préalable, contrairement à l’hépatite B. Une échographie abdominale avec éventuellement une élastométrie (recherche de fibrose) complétera l’évaluation. La vaccination anti-hépatite B est contrôlée (dosage des anticorps anti-HBs), celle contre l’hépatite A recommandée. Selon l’âge, l’information sur les risques de la consommation d’alcool doit être donnée et répétée. Il est souhaitable que l’enfant soit vu par un gastro-hépatologue pédiatre spécialisé.
Une prise en charge thérapeutique par les nouveaux traitements (direct-acting agents) est autorisée et même recommandée, et peut donc être discutée à partir de l’âge de 3 ans.
(8) En cas d’abstention thérapeutique, l’enfant est vu 1 à 2 fois par an, avec examen clinique et contrôle du bilan hépatique et de la virémie. L’échographie hépatique peut être répétée tous les 2-3 ans, avec elastométrie.
(9) Traitement de l’hépatite C de l’enfant
Le traitement reposait auparavant sur l’interféron associé à la ribavirine. Il était moyennement efficace et mal toléré (syndrome grippal, myélotoxicité, infléchissement de la croissance).
Les nouveaux traitements (direct acting agents) sont définis par leur cible moléculaire sur le VHC : les inhibiteurs de la protéase NS3/4A, les inhibiteurs nucléosidiques ou non du complexe polymérase NS5B et les inhibiteurs du complexe NS5A. Ils sont utilisés en combinaison pour diminuer le risque d’émergence de mutants résistants. Certains sont efficaces sur certains génotypes seulement, d’autres sur tous ou presque (« pan-génotypiques »).
De nombreux protocoles ont été développés chez l’adulte, adaptés à toutes les circonstances (génotype, gravité de la maladie, réinfection…), de durée variable, tous très chers. La politique actuelle est de favoriser les traitements pan-génotypiques (ne nécessitant pas de compléments d’examens virologiques) de durée brève, de façon à casser rapidement et efficacement la chaîne de transmission. Le traitement, quel qu’il soit, est dans l’ensemble très efficace (guérison dans près de 100 % des cas), et bien toléré. Le bilan préthérapeutique comprend la détermination de la charge virale, le dosage des transaminases, le contrôle de la fonction hépatique (hémostase, albumine) et rénale (créatinine). Il faut contrôler l’ECG en cas d’antécédents cardiaques significatifs (risque faible de troubles du rythme ; interroger le cardiologue référent en cas de doute). Il y a peu d’associations contre-indiquées (amiodarone et sofosbuvir), ou d’interférences médicamenteuses (traitements anti-VIH) ; site de référence : www.hep-druginteractions.org.
Les études ont inclus un petit nombre d’enfants et d’adolescents (moins de 10 études avec moins de 100 patients par étude), compte tenu de la rareté de l’infection et des difficultés inhérentes aux protocoles. Il faut noter que, même si des dizaines de milliers d’adultes ont été traités, rassurant quant à des effets secondaires rares, ces médicaments sont utilisés depuis moins de 10 ans, et très peu chez les enfants ; vu leur mode d’action, l’effet sur la croissance et la puberté est probablement nul, mais on n’en aura la preuve que dans le futur. Quoi qu’il en soit, le traitement du VHC chez l’enfant n’est jamais une urgence, vu la bénignité de la maladie. Les exceptions sont : les situations augmentant le risque de maladie hépatique significative, les coinfections virales (VIH, VHB), les multiples transfusions, les médicaments hépatotoxiques (méthotrexate, chimiothérapies), la dialyse, la perspective d’une greffe d’organe ou de cellules souches hématopoïétiques, d’autres hépatopathies, le risque que l’enfant soit perdu de vue, ou le risque de grossesse chez une adolescente. Le patient doit de toute façon être traité avant la fin de l’adolescence (18 ans).
Pour que le coût élevé du traitement soit pris en charge, il faut faire la demande de 100 %. Il est souhaitable que le traitement soit discuté avec un pédiatre spécialiste en hépato-gastro-entérologie, surtout s’il y a d’autres facteurs de risque, qui peuvent nécessiter une surveillance particulière ou un suivi (interactions médicamenteuses). Sauf exception (par exemple, pathologie cardiaque faisant éviter le sofosbuvir), le choix entre les traitements disponibles est surtout une question d’habitude ou de galénique. Les médicaments disponibles en France sont les combinaisons sofosbuvir-lédipasvir, dont l’utilisation n’est plus recommandée, sofosbuvir-velpatasvir et glécaprevir-pibrentasvir, ces deux derniers étant pan-génotypiques.
Les modalités thérapeutiques sont les suivantes :
• sofosbuvir-velpatasvir (1 prise par jour pendant 12 semaines) : 150/37,5 mg si poids < 17 kg, 200/50 mg si poids ≥ 17 kg, 400/100 mg à partir de 12 ans ;
• glécaprevir-pibrentasvir (1 prise par jour pendant 8 semaines, contre-indiqué si troubles du rythme) : 150/60 mg entre 12 et 19 kg, 200/80 mg entre 20 et 29 kg, 250/100 mg entre 30 et 44 kg, 300/120 mg à partir de 45 kg.
Les interactions médicamenteuses potentielles doivent être vérifiées au préalable ; la consommation de pamplemousse, d’oranges sanguines et de millepertuis est contre-indiquée en cours de traitement.
Il n’y a pas de justification à traiter avant l’âge de 3 ans, vu la possibilité de guérison spontanée.
Sauf circonstances particulières ou symptômes, il n’est pas recommandé de contrôler la biologie pendant le traitement. On vérifie les transaminases à la fin du traitement, et la disparition de l’ARN viral 3 et 12 mois après la fin. La confirmation de la négativation de la PCR est celle de la guérison. Bien sûr la sérologie restera positive. La surveillance peut être interrompue sauf dans le cas de fibrose hépatique significative (à la biopsie, si elle a été faite), ce qui est exceptionnel. En cas de persistance d’une virémie (ARN positif), il faut évaluer la compliance thérapeutique et (re)prendre un avis spécialisé. Le traitement est dans l’ensemble très bien toléré, sauf de rares signes digestifs.
Conclusion
L’hépatite C, qui n’a jamais été un problème clinique majeur chez l’enfant, est en passe de ne plus en être un du tout, grâce au traitement des adultes potentiellement contaminants, et des enfants contaminés. L’éradication du VHC est un des objectifs de l’OMS pour les prochaines décennies. Les nouveaux traitements, dont le prix devrait baisser dans les années à venir, sont très efficaces, bien tolérés, en sachant que leur utilisation est encore récente. Les enfants doivent de toute façon être traités avant la fin de l’adolescence.
Liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.
Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2024 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble.
Références
Haute Autorité de Santé. Recommandations de prise en charge des personnes infectées par le virus de l’hépatite C. 11 janvier 2024. www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2023‑09/argumentaire_vhc_2023_09_21.pdf.
Polaris Observatory HCV Collaborators. Global change in hepatitis C virus prevalence and cascade of care between 2015 and 2020: a modelling study. Lancet Gastroenterol Hepatol. 2022 May;7(5):396‑415.
Indolfi G, Fischler B, Gonzalez-Peralta RP, et al. Comparison of recommendations for treatment of chronic hepatitis C virus infection in children and adolescents: a position paper of the Federation of International Societies of Pediatric Gastroenterology, Hepatology, and utrition (FISPGHAN). J Pediatr Gastroenterol Nutr. 2020 May;70(5):711‑7.
Modin L, Arshad A, Wilkes B, et al. Epidemiology and natural history of hepatitis C virus infection among children and young people. J Hepatol. 2019 Mar;70(3):371‑8.