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Date de mise à jour 08/06/2023

Fièvre chez l’enfant de retour d’un pays tropical

 

P. Imbert

Service des maladies infectieuses et tropicales, Hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint-Mandé
Auteur correspondant - Adresse e-mail : patrick.imbert2@orange.fr (P. Imbert).
 

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Article validé par :

Groupe Francophone de Réanimation et d’Urgences Pédiatriques (GFRUP)

Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique (GPIP)

Groupe de Pédiatrie Tropicale (GPTrop)

 

Introduction

En cas de fièvre, il faut rechercher systématiquement la notion d’un voyage récent à l’étranger et particulièrement en zone d’endémie palustre. Le diagnostic étiologique d’une fièvre au retour d’un pays tropical repose avant tout sur l’interrogatoire et l’examen physique, le principal objectif étant de ne pas méconnaître un diagnostic urgent, au premier rang desquels le paludisme.

Conduite diagnostique devant une fièvre au retour d’un pays tropical chez l’enfant

(1) L’examen clinique recherche en priorité la présence de signes de gravité (sepsis, déshydratation sévère, signes de méningite ou d’encéphalite, syndrome hémorragique) pouvant imposer des mesures urgentes, éventuellement en réanimation.

Chez tout enfant hospitalisé dans ce contexte, l’isolement de type « contact » est systématique jusqu’aux résultats du dépistage d’un portage d’entérobactéries multirésistantes acquises à l’étranger.

(2) Toute fièvre après un séjour en zone d’endémie palustre doit faire suspecter un paludisme jusqu’à preuve du contraire et le rechercher en urgence ; et ce même si l’enfant a bénéficié d’une chimioprophylaxie antipaludique. La majorité (97 %) des paludismes d’importation survient dans les 3 mois suivant le retour, mais des délais plus longs sont possibles.

(3) Un prélèvement sanguin doit être fait au plus vite, en laboratoire de ville ou hospitalier. L’association d’un frottis sanguin et d’une technique sensible (goutte épaisse ou PCR), afin de rendre un diagnostic dans les 2 heures, est la référence. Le TDR (pour Plasmodium falciparum) associé au frottis sanguin est une alternative quand cet algorithme ne peut être mis en oeuvre, bien que sa moindre sensibilité rende nécessaire de le réitérer 12 heures à 24 heures plus tard si le premier résultat est négatif ou douteux alors que la présomption clinique persiste.

(4) En cas de diagnostic de paludisme, une hospitalisation, même de courte durée, est recommandée chez l’enfant pour initier la prise en charge.

(5) En cas de paludisme à P. falciparum, il faut rechercher les critères clinico-biologiques de gravité de l’OMS (Tableau 1).

Tableau 1. Critères de paludisme grave chez l’enfant voyageur.
Troubles de conscience, coma
Convulsions répétées (> 1/24 heures)
Prostration, obnubilation, confusion, somnolence
Syndrome de détresse respiratoire ou oedème pulmonaire
Défaillance cardiocirculatoire (hypotension selon normes pour l’âge, insuffisance circulatoire périphérique sans hypotension)
Saignement anormal et/ou CIVD biologique
Ictère ou bilirubinémie totale > 50 μmol/L
Hémoglobinurie macroscopique
Hypoglycémie (< 2,2 mmol/L)
Acidose métabolique (bicarbonates plasmatiques< 15 mmol/L), acidémie (pH < 7,35)
Hyperlactatémie > 5 mmol/L
Anémie grave (Hb < 7 g/dL)
Insuffisance rénale : créatininémie élevée pour l’âge malgré réhydratation
Hyperparasitémie (> 10 %)

(6a) La présence d’au moins un critère de gravité, y compris une parasitémie supérieure à 10 % dite « isolée » (seul critère de gravité présent), impose de prendre l’avis du réanimateur pour confirmer l’indication d’artésunate IV (délivré par ATU) et déterminer le lieu de son administration, unité de surveillance continue (USC) ou réanimation. Le relais oral par une combinaison thérapeutique à base d’artémisinine (CTA) sera décidé après 3 doses d’artésunate selon l’évolution.

(6b) En cas de paludisme non compliqué à P. falciparum, le traitement recommandé en première intention est une CTA, prise dans un service de pédiatrie générale ou en USC. Dans certains cas et sous conditions strictes (enfant de plus de 5 ans, absence de critères de gravité et de troubles digestifs, bon déroulement des premières prises, assurance d’une bonne observance et de bonnes conditions de surveillance au domicile), la poursuite du traitement pourra s’envisager en ambulatoire. Il faudra revoir l’enfant pour contrôles clinique et parasitologique à J3 (H72 après la première prise de traitement curatif), (à J7 si la parasitémie de J3 est encore positive) et à J28. En cas de persistance de la fièvre à J3, il faut évoquer un échec du traitement ou une coinfection.

(7) En cas de paludisme non compliqué à P. vivax, P. ovale, P. malariae ou P. knowlesi, le traitement repose sur une CTA depuis l’arrêt de la commercialisation de la chloroquine en France. Il sera poursuivi en ambulatoire après s’être assuré du bon déroulement des prises initiales. Les rares formes graves sont traitées par l’artésunate IV. Le traitement d’un accès à P. vivax ou P. ovale doit être suivi d’un traitement radical par primaquine afin d’éliminer les formes quiescentes de Plasmodium. Ce traitement doit être précédé de la vérification d’absence de déficit en G6PD qui pourrait en contre-indiquer l’usage ou nécessiter une adaptation des posologies en fonction du type de déficit.

(8) En cas de vomissements, le traitement d’une forme non compliquée débute en USC par une CTA administrée par sonde nasogastrique, remplacée en cas d’échec par l’artésunate IV selon la recommandation de l’OMS (cocher un critère de gravité compatible avec l’ATU pour l’obtenir). Le relais oral est pris par une CTA après l’arrêt des vomissements.

(9) En cas d’absence de séjour en zone d’endémie palustre ou de paludisme exclu, il faut d’abord rechercher une autre cause de fièvre, tropicale ou cosmopolite. Malgré leur rareté, les infections tropicales sont à rechercher en priorité en raison de leur gravité potentielle.

(10) La démarche devant une fièvre au retour des tropiques, une fois le paludisme écarté, est orientée par l’interrogatoire détaillé sur le(s) pays visité(s), le type du voyage, sa durée et la date de retour en France, le contexte épidémiologique local, les activités pratiquées (baignade en eau douce : schistosomose, lepto spirose…), les contacts avec des animaux (fièvre Q, rage, brucellose…), les piqûres d’arthropodes (moustiques, tiques, puces) et les mesures préventives effectuées, et par la notion éventuelle de symptômes dans l’entourage de l’enfant.

Le site Mesvaccins.net (http://Mesvaccins.net), en accès libre, permet à la rubrique « Un projet de voyage » d’avoir des conseils personnalisés pour le voyage prévu ; il permet également, à la rubrique « Carnet de vaccination numérique », de numériser ses vaccins.

Il faut recueillir les caractéristiques essentielles de la fièvre, notamment sa date de début par rapport à la date du retour (plus ou moins 3 semaines) qui a une grande valeur pour orienter vers l’étiologie. Ainsi, une arbovirose ne sera évoquée que si la fièvre est apparue moins de 12 jours après le retour. Les signes cliniques associés, cutanés, digestifs, neurologiques, hépato splénomégalie, adénopathies, sont à rechercher, mais ils ne présentent pas de spécificité. L’application « Fièvre de retour » coordonnée par le GPTrop peut être consultée comme aide diag nostique (www.trousseaudepoche.fr).

L’hémogramme a une grande valeur d’orientation diagnostique selon la présence ou non d’une hyperéosinophilie et d’anomalies des autres cellules sanguines (bicytopénie de la dengue, et autres spécificités détaillées dans l’algorithme), qu’il faut néanmoins interpréter (cas d’une polynucléose augmentée lors d’une virose au début). CRP et biologie hépatique sont indispensables. Les autres explorations (biologie, microbiologie, sérologies et imagerie) sont fonction des données cliniques et hémato logiques.

Le tableau 2 présente une synthèse des caractéristiques des principales pathologies infectieuses fébriles tropicales et subtropicales (par ordre alphabétique, dont paludisme).

Tableau 2. Caractéristiques des principales pathologies infectieuses fébriles tropicales et subtropicales (par ordre alphabétique).
Pathologie Incubation Contamination Signes cliniques d’appel Signes biologiques d’appel
Amoebose hépatique 14 j - plusieurs mois Orofécale Hépatomégalie douloureuse Polynucléose neutrophile
Arbovirose (dengue, zika, chikungunya) 2-12 j Moustique (Aedes) Syndrome pseudo-grippal
Éruption cutanée
Neutropénie
Thrombopénie
Borréliose 1-10 j Tiques Céphalées
Troubles digestifs
Splénomégalie
Polynucléose neutrophile
Cytolyse hépatique
Brucellose 7-21 j Lait, viande
Ovins, caprins
Hépatomégalie
Splénomégalie
Ostéo-arthrites
Neutropénie
Distomatose 10-21 j Consommation de végétaux crus Ictère fébrile récurrent Hyperéosinophilie sanguine
Fièvre hémorragique virale (Ebola…) 2-15 j Selon le virus : Homme, tique,
moustique, rat
Syndrome pseudo-grippal
Hémorragies
Neutropénie
Thrombopénie
Hépatite A 1 mois Orofécale Ictère Neutropénie
Cytolyse hépatique
Leishmaniose viscérale 2-6 mois Phlébotome Hépatomégalie
Splénomégalie
Adénopathies
Neutropénie
Anémie
Hypergammaglobulinémie
Leptospirose 7-12 j Rongeur (baignade en eau douce,
morsure)
Ictère
Conjonctivite
Myalgies
Syndrome méningé
Polynucléose neutrophile
Hépatite mixte
Méningite à liquide clair
Méningite purulente 2-10 j Aérienne Syndrome méningé Polynucléose neutrophile
Méningite à liquide trouble
Paludisme 7 j - plusieurs années Moustique (anophèle) Syndrome pseudo-grippal
Troubles digestifs
Splénomégalie
Thrombopénie
Anémie
Cytolyse hépatique
Rickettsiose 7-21 j Tique Exanthème Polynucléose neutrophile
Shigellose 2-10 j Orofécale Diarrhée Polynucléose neutrophile
Schistosomose 2-6 semaines Baignade en eau douce Symptômes allergiques Hyperéosinophilie sanguine
Trichinose 2-21 j Viande contaminée (porc) Myalgies
OEdèmes (face, extrémités)
Hyperéosinophilie sanguine
Trypanosomose humaine africaine 5-21 j Glossine (forêts, savane) Adénopathies
Hépatomégalie
Splénomégalie
Encéphalite
Hyperlymphocytose
Hypergammaglobulinémie
Tuberculose 1 mois - plusieurs années Aérienne
Digestive
Toux
Altération de l’état général
Adénopathies
Neutropénie
Typhoïde 7-15 jours Orofécale Diarrhée
Éruption cutanée
Tuphos
Neutropénie

(11) Les infections cosmopolites sont toutefois de loin les plus fréquentes, comme l’a montré un travail effectué dans un service d’urgences pédiatriques parisien, où ont été analysées toutes les consultations effectuées dans les 3 mois suivant le retour de l’étranger : les infections étaient surtout ORL, digestives et pulmonaires, quelle que soit leur origine importée ou autochtone. En cas de diarrhée fébrile, une fois le paludisme exclu, une recherche de pathogènes par coproculture et parasitologie des selles, complétées si possible par PCR multiplex, devra être effectuée. Au terme du bilan, 10 % des fièvres restaient de cause indéterminée.

Conclusion

Devant toute fièvre, il faut demander aux parents s’il y a eu un voyage récent à l’étranger, particulièrement en zone d’endémie palustre. Si tel est le cas, la prise en charge est bien codifiée. En l’absence de notion de séjour à risque de paludisme, la démarche repose sur l’interrogatoire et l’examen clinique, complétés en première intention d’un hémogramme. Le délai de survenue de la fièvre par rapport au retour et l’hémogramme permettent d’orienter les recherches vers une fièvre d’origine tropicale, rare mais potentiellement grave, ou vers une fièvre non liée au voyage ou cosmopolite, bien plus fréquente et généralement de bon pronostic.

Liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2023 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble et Sanofi.

Références

Minodier P, Imbert P. Conduite à tenir devant un enfant fébrile au retour de voyage. J Pediatr Pueric 2020, 33:118-45.

Santé publique France. Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n°°hors-série. Recommandations sanitaires pour les voyageurs, 2022. 2 juin 2022.

Naudin J, Blondé R, Alberti C, Angoulvant F, De Lauzanne A, Armoogum P, et al. Aetiology and epidemiology of fever in children presenting to the emergency department of a French paediatric tertiary care centre after international travel. Arch Dis Child 2012;97:107-11.

Leblanc C, Vasse C, Minodier P, Mornand P, Naudin J, Quinet B, et al. Management and prevention of imported malaria in children. Update of the French guidelines. Med Mal Infect 2020;50;127-40.

World Health Organization. WHO guidelines for malaria. 25 November 2022.