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Thématique:
Polyglobulies de l’enfant
M. Pasquet1,2, W. Abou Chahla3
1Immuno-hémato-oncologie pédiatrique, Hôpital des enfants-CHU Toulouse Purpan, Toulouse2INSERM U1037, CRCT, Equipe 16, IUCT-Oncopole
3Hématologie pédiatrique, CHU Lille, Hôpital Jeanne de Flandre, Lille
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : pasquet.m@chu-toulouse.fr (M. Pasquet). Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
Article validé par : | |
SHIP (Société d’Hématologie et d’Immunologie Pédiatrique) |
Remerciements aux relecteurs : | |
S. Héritier E. Jeziorski D. Moshous A. Phulpin (SHIP) |
Introduction
Les polyglobulies sont rares chez l’enfant.
Sur le plan clinique, l’érythrose est fréquente, plus visible au niveau du visage et des mains et ne correspond pas à un signe de gravité. Les autres signes cliniques sont liés à l’hyperviscosité, avec des signes vasculaires et neurosensoriels : céphalées, vertiges, troubles visuels, paresthésies. Néanmoins, les circonstances de découverte sont très souvent fortuites sur un hémogramme dans le cadre d’un bilan demandé pour une tout autre indication.
Naissance | 1-3 jours | 1 semaine | 2 semaines | 1 mois | 2 mois | ||
GR | T/L | 3,7-7 | 4-6,6 | 3,9-6,3 | 3,6-6,2 | 3-5,4 | 2,7-4,9 |
Hte | 0,42-0,75 | 0,45-0,67 | 0,42-0,66 | 0,39-0,65 | 0,31-0,55 | 0,28-0,42 | |
Hb | g/L | 135-237 | 145-225 | 135-215 | 125-205 | 100-180 | 90-140 |
3-6 mois | 0,5-2 ans | 2-6 ans | 6-12 ans | 12-15 ans | |||
Homme | Femme | ||||||
GR | T/L | 3,1-4,5 | 3,7-5,5 | 3,9-5,3 | 3,9-5,2 | 4,2-5,6 | 4-5,2 |
Hte | 0,29-0,41 | 0,30-0,41 | 0,32-0,40 | 0,32-0,45 | 0,35-0,49 | 0,35-0,46 | |
Hb | g/L | 95-141 | 105-135 | 110-140 | 111-147 | 121-166 | 113-160 |
Conduite à tenir devant une polyglobulie
(1) Identifier la polyglobulie
La polyglobulie absolue est caractérisée par une expansion de la masse érythrocytaire totale et se traduit par l’augmentation de l’hémoglobine et de l’hématocrite s’interprétant selon l’âge, le sexe, l’origine ethnique et l’altitude.
Selon les critères diagnostiques de l’OMS en 2008, une polyglobulie est évoquée chez l’adulte (et donc par analogie chez l’adolescent) devant :
• une hémoglobine > 18,5 g/dl et hématocrite > 54 % chez l’homme ;
• une hémoglobine > 16,5 g/dl et hématocrite > 47 % chez la femme ;
Chez l’enfant plus jeune, on retient généralement le diagnostic de polyglobulie devant une hémoglobine et/ou hématocrite > 99e percentile selon l’âge, le sexe (voir tableau ci-dessus). L’habitation en altitude est à prendre en compte dans l’analyse.
L’identification de signes cliniques (hors érythrose) constitue une urgence diagnostique et thérapeutique.
(2) Éliminer les fausses polyglobulies.
La polyglobulie absolue se distingue des fausses polyglobulies :
• la polyglobulie relative due à une réduction du volume plasmatique par hémoconcentration : chercher une hyperprotidémie associée (exemples : déshydratation, brûlures, traitement diurétique)
• les pseudos polyglobulies de la thalassémie hétérozygote (augmentation du nombre de globules rouges mais pas de l’hématocrite)
• les polyglobulies apparentes dues à des variations physiologiques (obésité, hypertension, tabagisme, alcoolisme).
En pratique : interrogatoire et examen clinique complets, mesure de la tension artérielle, contrôle du bilan après obtention d’une hydratation correcte, électrophorèse de l’hémoglobine si pas d’autre cause évidente.
Une authentique polyglobulie peut être classée sur le plan physiopathologique selon son origine primaire ou secondaire. Dans les polyglobulies secondaires, l’organisme produit en excès en réponse à un stimulus. Dans le cas des polyglobulies primaires, la synthèse d’érythrocytes est programmée pour produire en excès ; les causes peuvent être congénitales ou acquises.
(3) Polyglobulies secondaires.
Les polyglobulies secondaires sont dues à une activation excessive de la production d’érythropoïétine (EPO) qui va venir se fixer sur les progéniteurs érythroïdes puis entrainer l’expansion de la masse érythrocytaire totale.
(4) Les polyglobulies secondaires acquises, peuvent être reliées à une réponse physiologique à une hypoxie chronique générale ou tissulaire (maladie pulmonaire, cardiaque, rénale, hépatique, cérébrale), quelle que soit la cause de l’hypoxie, y compris l’existence d’un shunt ou d’un vol vasculaire local. Il peut s’agir également d’une sécrétion inappropriée d’EPO (tumeurs sécrétrices : néphroblastome, hépatoblastome, hémangioblastome ; ou tumeur endocrine : phéochromocytome).
(5) Les polyglobulies secondaires constitutionnelles sont de deux types :
• avec une mesure de la p50* abaissée (< 23 mmHg) : variants de l’hémoglobine avec une affinité́ accrue pour l’oxygène (mutations chaine alpha ou bétaglobine) ou déficit en 2,3-Diphosphoglycérate (2,3-DPG) ; l’EPO est généralement normale ou haute.
• avec une mesure de la p50 normale (25-27 mmHg) : mutations dans les gènes de la voie de détection de l’hypoxie (VHL, PHD et HIF).
*p50 : pression partielle d’oxygène à laquelle l’Hb est saturée à 50 %
En pratique, les examens complémentaires suivants permettent souvent d’arriver au diagnostic :
• gaz du sang avec mesure de la p50
• dosage de l’EPO
• imagerie cardiaque, abdominale et/ou cérébrale, selon l’orientation clinique et les moyens disponibles localement.
En l’absence d’orientation étiologique, une analyse génétique à la recherche d’une cause constitutionnelle et un bilan médullaire (myélogramme) doivent être proposés sur avis spécialisé.
(6) Polyglobulies primaires
Ces étiologies sont exceptionnelles et associées à une diminution de l’érythropoïétine circulante.
Elles correspondent soit à un syndrome myéloprolifératif (Maladie de Vaquez par mutation JAK2 V617F notamment), qui est une cause acquise, soit à une mutation congénitale du récepteur à l’EPO (EPO-R). Les explorations de ces situations se font toujours sur avis spécialisé.
La présence d’une splénomégalie, d’une thrombocytose, d’une polynucléose, d’une hyper éosinophilie ou d’une basophilie oriente vers une cause primaire d’emblée (syndrome myéloprolifératif) et indique la réalisation d’un myélogramme avec caryotype médullaire +/- biopsie ostéo-médullaire.
(7) Traitements
Outre la prise en charge étiologique, la prise en charge thérapeutique a pour objectifs de diminuer le risque de thrombose et de lutter contre l’hyperviscosité.
Les saignées doivent être adaptées au poids et à la tolérance de l’enfant avec un objectif d’hématocrite <50 %.
Un traitement antiagrégant plaquettaire sera discuté avec l’hématologue selon la clinique.
Les médicaments cyto-réducteurs sont indiqués dans les polyglobulies d’origine clonale.
Dans tous les cas, les conséquences de la polyglobulie doivent être traitées en lien avec une équipe spécialisée (notamment évaluation du risque thrombotique).
Conclusion
La polyglobulie est une situation rare chez l’enfant : il faut en premier lieu éliminer les nombreuses situations de « fausses polyglobulies », avant de rechercher des pathologies responsables de polyglobulie secondaire. La polyglobulie primaire est rare, d’origine hématologique centrale et nécessite un avis spécialisé. La présence de signes cliniques, hors érythrose isolée, est un signe de gravité.
Remerciements
Cet article fait partie du numéro supplément « Pas à Pas 2020 » réalisé avec le soutien institutionnel des sociétés Gallia, Procter & Gamble et Sanofi Pasteur.
Liens d’intérêts
Aucun
Références
Cario H, McMullin MF, Bento C, et al. Erythrocytosis in Children and Adolescents – Classification, Characterization, and Consensus Recommendations for the Diagnostic Approach. Pediatr Blood Cancer 2013;60:1734-1738.
Cario H, et al. Childhood polycythemias/erythrocytoses: Classification, diagnosis, clinical presentation, and treatment. Ann Hematol, 2005.
Etude des valeurs normales de l’hémogramme chez l’adulte: un besoin pour une meilleure interprétation et pour l’accréditation du laboratoire. Troussard X et al. Ann Biol Clin 2014;72:561-581.