Vous êtes ici
Thématique:
Douleur provoquée par les soins : de la crème EMLA à la kétamine
S. Laborde
Consultation douleur chronique de l’enfant et de l’adolescent, CHU de Bordeaux, place Amélie- Raba- Léon, 33076 Bordeaux, France Correspondance - Adresse e-mail : docslaborde33@orange.fr (S. Laborde)
Arbre diagnostique – Commentaires
La douleur liée aux soins représente la douleur la plus fréquente à l’hôpital et en médecine générale. Ainsi, sa prise en considération est indispensable en particulier lorsque ces soins doivent être répétés. Le but est d’éviter la mémorisation de la douleur notamment dans sa composante émotionnelle [1] et l’évolution vers des comportements phobiques empêchant un accompagnement serein de l’enfant. Une prise en charge adaptée de ces douleurs permet de limiter voir de supprimer la contention en associant aux outils médicamenteux des techniques non médicamenteuses [2] qui permettront la participation de l’enfant et de ses parents (distraction, hypnose, relaxation, etc.).
Des recommandations existent et guident les soignants pour un accompagnement de meilleure qualité.
(1) Il est difficile de lister l’ensemble des soins potentiellement douloureux pour l’enfant. De plus, la douleur perçue au cours d’un même soin sera variable selon chaque enfant, selon son âge, selon son vécu des expériences douloureuses antérieures. Avant toute chose, si l’enfant le souhaite, une information adaptée pourra lui être donnée sur le soin et son déroulement. Il est également important dans la mesure du possible et en dehors de l’urgence d’organiser le soin, de l’anticiper par rapport au rythme de l’enfant, de le préparer avec lui en fonction de la personne ressource qu’il souhaite auprès de lui (parents) et des moyens non médicamenteux qu’il a choisi.
(2) L’EMLA® doit être proposé chaque fois qu’il y a effraction cutanée en dehors de l’urgence. Il peut être proposé à tout âge sauf si l’enfant le refuse. Le MEOPA® (Mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote) est le produit de référence pour les actes et les soins douloureux chez l’enfant car il possède un ensemble de caractéristiques originales : rapidité et réversibilité d’action, effet antalgique et excellent profil « bénéfice/risque ». Le MEOPA® ne permet pas de couvrir tous les actes et soins douloureux. Selon les indications, l’âge de l’enfant et l’expérience de l’équipe, 10 à 30 % d’échecs sont observés. Les enfants de moins de 2 ans ont des effets beaucoup moins marqués [3].
Les solutions sucrées sont efficaces jusqu’à l’âge de 4 mois pour diminuer la douleur provoquée par des gestes invasifs tels que les ponctions veineuses et capillaires. L’allaitement maternel est une alternative aussi efficace qu’une solution sucrée [3].
(3) Évaluation systématique après chaque acte potentiellement douloureux. L’auto- évaluation est à privilégier dans la mesure du possible. L’outil d’évaluation sera adapté à l’âge et au contexte selon les recommandations de l’ANAES 2000 [4]. L’accompagnement du soin suivant sera adapté et réajusté en fonction du résultat de cette évaluation et du retour que fera l’enfant de son vécu du soin (si l’âge le permet).
(4) Lorsque les moyens décrits à l’étape 1 restent insuffisants, notamment lors de certains pansements, lors de réductions de fractures, de soins répétés, chez les enfants très anxieux ou phobiques. Le MEOPA® reste alors trop souvent le seul médicament utilisé. Même si sa sécurité est maximale quand il est utilisé seul sans association médicamenteuse [3], il n’est pas rare de le voir associer à un morphinique (nalbuphine ou morphine) et/ou à un sédatif (essentiellement le midazolam) avec des voies d’administration variables (rectale, orale, intraveineuse, etc.) [2]. Ces associations sont utilisées le plus souvent avec un niveau de sécurité insuffisant : pas de consigne de jeûne, pas d’évaluation d’éventuelles contre- indications, pas de critères de surveillance, etc. Toute prémédication associée au MEOPA® (psychotrope, morphinique, etc.) nécessite une vigilance accrue. Cependant, le risque respiratoire lié à la potentialisation par ces produits reste exceptionnel. Ces associations médicamenteuses restent encore largement utilisées et sont retrouvées dans les Standards Options Recommandations concernant la prise en charge des douleurs des soins chez l’enfant atteint de cancer [2].
Les dernières recommandations concernant la prise en charge des douleurs de l’enfant décrivent la kétamine comme ayant un profil pharmacologique original : les réflexes de protection laryngés sont maintenus, la respiration spontanée, le système cardiovasculaire ne sont pas déprimés, l’analgésie est puissante [3].
Il s’agit d’un anesthésique utilisé dans les indications de l’AMM par tout médecin spécialisé en anesthésie- réanimation ou en urgence. Néanmoins, lorsque le MEOPA® est insuffisant pour réaliser dans de bonnes conditions un geste douloureux, la kétamine à faible dose (titration de bolus intraveineux de 0,5 mg/kg sans dépasser 2 mg/kg) apparaît le seul médicament potentiellement utilisable sans la présence d’un médecin anesthésiste [3,5].
(5) Enfin, certains soins doivent d’emblée être réalisés sous anesthésie générale (AG) comme les biopsies osseuses. Dans certains cas de phobie ou en cas de gestes multiples [2], le recours à une AG pourra se discuter au cas par cas.
Liens d’intérêts
L’auteur a déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêts pour cet article.
Références
[1] Von Baeyer CL, Marche TA, Rocha EM et al. Children’s memory for pain: overview and implications for practice. J Pain 2004;5:241-9.
[2] Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC). Standards Options Recommandations pour la prise en charge des douleurs provoquées lors des ponctions sanguines, lombaires et osseuses chez l’enfant atteint de cancer (Rapport intégral) ; 2005.
[3] Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant. Recommandations de bonne pratique ; 2009.
[4] Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES). Évaluation et stratégies de prise en charge de la douleur aiguë en ambulatoire chez l’enfant de 1 mois à 15 ans ; 2000.
[5] Annequin D. La kétamine en 2012 : comment l’utiliser pour la douleur provoquée par les soins chez l’enfant ? Arch Pediatr 2012;9:777-9.