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Date de mise à jour 07/06/2022

Hypernatrémie chez l’enfant

 

J. Bernardor1, N. Letouzé2

1Unité de néphrologie pédiatrique, Hôpital Archet II, CHU de Nice, France
2Service de réanimation pédiatrique, Pôle femme-enfant, CHU de Caen, France
*Auteur correspondant - Adresse e-mail : letouze-n@chu-caen.fr (N. Letouzé).
 

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Article validé par :

SNP (Société de Néphrologie Pédiatrique)

GFRUP (Groupe Francophone de Réanimation et Urgences Pédiatriques)

 

Remerciements aux relecteurs :

O. Gillion-Boyer

J. Bacchetta (SNP)

D. Brossier (GFRUP)

Introduction

(1) L’hypernatrémie est définie par une natrémie > 145 mmol/L. Elle est beaucoup moins fréquente que l’hyponatrémie.

Pour rappel, le sodium est le principal cation du compartiment extracellulaire. Les mouvements d’eau entre le compartiment intraet extracellulaire permettent d’obtenir l’équilibre osmotique. Ainsi, toute augmentation de la concentration extracellulaire du sodium (hypernatrémie) secondaire à une surcharge iatrogène ou à une perte d’eau est responsable d’un mouvement d’eau du secteur intracellulaire vers le secteur extracellulaire, entraînant une déshydratation intracellulaire. À l’inverse, toute diminution de la concentration extracellulaire de sodium, secondaire à une perte isolée ou à une surcharge hydrique, est responsable d’un appel d’eau du secteur intracellulaire et entraîne donc une hyperhydratation cellulaire.

(2) Lorsque le patient est symptomatique (léthargie, convulsion, coma) et/ou lorsque la natrémie est > 160 mmol/L, une prise en charge en réanimation est recommandée pour instaurer un monitoring continu et prévenir ou traiter les éventuelles complications. Une hypernatrémie d’apparition brutale provoque une déshydratation intracellulaire (et notamment cérébrale) rapide. Une natrémie > 160 mmol/L est une situation à risque de convulsions, hémorragie cérébrale, ou thromboses ; quelques cas de myélinolyse centropontine ont été rapportés.

Conduite diagnostique face à une hypernatrémie

Orientation diagnostique

La présence d’une hypernatrémie signifie qu’il existe un excès de sodium par rapport à la quantité d’eau qui se trouve dans l’espace intravasculaire. Elle peut être causée par un apport excessif en sodium, un déficit d’eau libre ou par l’intrication de ces deux mécanismes.

(3) Un examen clinique est donc nécessaire pour évaluer le volume du compartiment extracellulaire (VEC) : fréquence cardiaque, pression artérielle, pli cutané, poids et variation récente de poids. La protidémie et l’hématocrite permettent également d’évaluer le VEC.

(4) Le corps contient 60 % d’eau répartie à 40 % dans le secteur intracellulaire et 20 % dans le secteur extracellulaire (15 % : secteur interstitiel ; 5 % : secteur vasculaire). La quantité d’eau dans un secteur est étroitement liée à la concentration des solutés le composant et ne diffusant pas librement dans le tissu adjacent. Ainsi à l’équilibre, l’osmolalité efficace plasmatique (ou tonicité), qui correspond à la concentration de toutes les substances osmotiques actives par kilogramme d’eau plasmatique, est identique dans le secteur intracellulaire et extracellulaire et égale à 285 (275‑295) mOsm/kg H2O. À noter que l’urée n’est pas prise en compte, du fait de son passage libre à travers les membranes sans entraîner de mouvements d’eau. L’osmolalité efficace est ainsi le reflet de l’hydratation intracellulaire et toute modification entraîne un mouvement d’eau. En cas d’hypernatrémie, l’osmolalité plasmatique calculée = [Natrémie plasmatique NaP × 2] + [Glycémie] (valeurs en mmol/L) est supérieure à 300 mOsm/kg H2O, ce qui correspond à un état d’hypertonicité plasmatique.

Le bilan biologique associé comprend, outre la protidémie et l’hématocrite (numération formule sanguine [NFS]), la mesure dans le sang et les urines sur échantillon de : sodium (Na+), potassium (K+), Chlore (Cl-), glycémie, créatinine, urée ; ce qui permet de calculer l’osmolalité plasmatique (OsmP) (cf. formule ci-dessus). L’osmolalité urinaire (OsmU) sera mesurée sur un échantillon d’urines.

(5) Hypernatrémie associée à une déshydratation globale

Cette perte mixte d’eau et de sodium avec une perte hydrique supérieure aux pertes sodées est la situation la plus fréquente chez l’enfant. Le VEC est diminué (perte de poids, hypotension artérielle, tachycardie).

(6) Avec pertes rénales

Une natriurèse supérieure à 20 mmol/L associée à des urines normoconcentrées (OsmU/OsmP = 1) oriente vers une polyurie osmotique, le plus souvent liée à la glycosurie d’un diabète dont ce peut être le mode de révélation. Ce même mécanisme de polyurie d’entraînement est observé en cas d’hypercalcémie ou en cas de perfusion de mannitol. Plus exceptionnellement, une hypernatrémie avec polyurie osmotique peut être associée à une levée d’obstacle urinaire, ou à une alimentation hyperprotéinée secondaire par exemple à une mauvaise reconstitution du lait infantile.

(7) Avec pertes extrarénales

Les épisodes de diarrhées ou d’hypersudation en cas de « coup de chaleur » peuvent être associés à une hypernatrémie lorsque la compensation des pertes extrarénales d’eau est insuffisante, du fait de l’association à une altération de la conscience ou à un trouble de la soif. Le défaut d’apport isolé (adipsie/jeûne hydrique) est exceptionnel en Europe comme, par exemple, en cas d’anorexie mentale avec refus de prise hydrique. Une natriurèse effondrée (< 20 mmol/L) et des urines concentrées (OsmU > 400 mOsm/kg H2O) témoignent de la bonne adaptation rénale.

(8) Hypernatrémie associée à une déshydratation intracellulaire pure

Cette situation est une cause rare. Il s’agit d’une perte hydrique exclusive, la volémie est ici peu modifiée.

(9) Avec pertes rénales

Une polyurie hypotonique (OsmU/OsmP < 1 et NaU > 20 mmol/L) avec une hyperosmolalité plasmatique caractérise le tableau de diabète insipide. Elle s’accompagne d’une polydipsie, et l’hypernatrémie est observée lorsque le patient n’a plus la possibilité de boire.

Le diabète insipide est la conséquence d’une anomalie de la régulation hydrique par l’hormone antidiurétique (ADH). Il peut être soit :
central : lié à un déficit partiel ou complet de la sécrétion d’ADH, qui peut être soit secondaire à une atteinte de l’axe hypothalamo-hypophysaire (d’origine traumatique, infectieuse, néoplasique ou granulomateuse notamment), soit secondaire à une mutation de l’ADH ou de la protéine liée au transport intraneuronal de l’ADH dans le cadre de certains syndromes génétiques ;
néphrogénique : la sécrétion d’ADH est normale, mais celle-ci n’agit pas au niveau rénal. Il peut être d’origine génétique dans le cadre d’une mutation du récepteur rénal à l’ADH (AVP2), de transmission autosomique ou liée au chromosome X, et de découverte précoce avant l’âge de 2 ans ; le lithium, l’amphotéricine B ou une atteinte rénale à type de néphrite tubulo-interstitielle peuvent en être également responsables. À noter qu’en cas d’hypernatrémie avec OsmU basse (inadaptée), un test de restriction hydrique n’est pas nécessaire pour porter le diagnostic de diabète insipide. En revanche, on réalisera un test à la desmopressine DDAVP pour différencier les causes centrales ou rénales.

(10) Avec pertes extrarénales

Chez le nouveau-né à terme, l’eau représente 75 % du poids du corps, et contrairement à l’adulte, elle est équitablement répartie entre le secteur intracellulaire et extracellulaire. En cas d’hypersudation ou chez le nouveau-né qui ne peut exprimer la soif, l’hypernatrémie est ici secondaire aux pertes insensibles. Dans ce cas, la perte en eau du secteur extracellulaire est équivalente à celle du sodium, ne modifiant pas l’osmolalité extracellulaire (pas de mouvement d’eau associé). Les urines sont concentrées et on observe une réponse rénale adaptée avec une natriurèse effondrée.

(11) Hypernatrémie associée à une hyperhydratation extracellulaire

Un apport excessif en sodium peut être responsable d’un mouvement d’eau avec une inflation du volume extracellulaire et se traduisant cliniquement par des oedèmes. L’osmolalité urinaire et la natriurèse sont augmentées (OsmU > 300 mOsm/kg H2O ; NaU > 20 mmol/L).

L’excès d’apport intraveineux par solutés hypertoniques (exemple : erreur de composition d’une alimentation parentérale) ou une intoxication au sel peuvent provoquer une hypernatrémie iatrogène à natriurèse adaptée, surtout chez le nourrisson qui a un plus faible volume de distribution. L’ingestion d’eau de mer lors d’une noyade peut également entraîner une hypernatrémie de surcharge. Un excès de minéralocorticoïdes secondaires à un hyperaldostéronisme primaire peut être responsable d’une hypernatrémie associée à une hypokaliémie, une hypertension artérielle et une rénine plasmatique effondrée.

Principes du traitement

Si la déshydratation est légère ou modérée, on utilise de préférence la réhydratation orale. La meilleure façon de corriger le déficit en eau libre consiste à administrer de l’eau par voie entérale (oralement ou par une sonde nasogastrique de manière continue).

Pour les formes plus prononcées, la correction de la natrémie doit être lente, sans dépasser 0,5 mmol/L/h (soit 12 mmol/L/j), surtout si la natrémie initiale est > 155 mmol/L. La natrémie visée est de 145 mmol/L. La durée (en heures) de réhydratation souhaitée est évaluée selon la formule : (natrémie actuelle – natrémie visée)/0,5.

Les complications liées à la correction trop rapide d’une hypernatrémie > 160 mmol/L sont essentiellement neurologiques : oedème cérébral, convulsions, myélinolyse extrapontine. Ces complications sont rares si l’on diminue la natrémie lentement. La surveillance de l’état neurologique est donc essentielle tout au long de la réhydratation.

La quantité de soluté à administrer (sur la durée estimée cidessus) est égale aux besoins d’entretien hydrique de base, auquel on ajoute le déficit hydrique, le déficit en eau libre et les pertes de liquide qui peuvent persister.

Le déficit hydrique est estimé de la façon suivante :
Déficit hydrique estimé total (mL) : 10 × pourcentage de déshydratation × poids en kg

Le déficit en eau libre peut être estimé par une formule mathématique :
Déficit en eau libre (mL) = 0,6 × poids(kg) × (1 – (140/Na+ actuelle))

Il est essentiel de surveiller la natrémie régulièrement (toutes les 4 heures initialement) en cas de déshydratation hypernatrémique prononcée (Na+ > 155 mmol/L).

Le choix du soluté initial est souvent un glucosé 5 % avec NaCl 0,9 % pour combler le déficit hydrique total et les besoins hydriques de base.

La grande majorité des cas d’hypernatrémie grave (Na+ > 160 mmol/L) est due à une déshydratation hypernatrémique avec VEC diminué, liée à une perte d’eau disproportionnée par rapport à la perte en sodium (une gastroentérite aiguë est la cause la plus fréquente). En cas de choc hypovolémique, le patient doit recevoir un remplissage vasculaire rapide avec du sérum salé à 0,9 %. Dès que le patient a normalisé son état hémodynamique, la réhydratation doit se faire lentement par voie veineuse afin de corriger progressivement la natrémie, comme indiqué ci-dessus.

Dans les situations exceptionnelles d’hypernatrémie brutale (< 12 heures) et majeure (Na+ > 180 mmol/L), rencontrée en cas d’intoxication accidentelle (erreur thérapeutique, noyade en eau de mer), une épuration extrarénale est indispensable en cas de défaillance rénale avec oligoanurie ou si la cause de l’hypernatrémie n’est pas contrôlée. Dans cette situation aiguë au cours de laquelle aucun mécanisme d’adaptation cérébrale n’a pu se mettre en place, la correction d’une hypernatrémie symptomatique peut être réalisée plus rapidement, sous surveillance très rapprochée.

Le traitement symptomatique doit être associé à celui de la ou des causes de l’hypernatrémie et de ses éventuels facteurs favorisants.

Conclusion

L’hypernatrémie est beaucoup moins fréquente que l’hyponatrémie et apparaît le plus souvent au cours d’une hospitalisation. Les patients sont rarement symptomatiques tant que la natrémie ne dépasse pas 150 mmol/L.

Il faut évaluer en premier lieu cliniquement l’état d’hydratation d’un patient hypernatrémique. L’osmolalité urinaire, le volume urinaire, les électrolytes urinaires sont à la base de l’évaluation paraclinique, et permettent notamment d’identifier l’origine des pertes. Le traitement de l’hypernatrémie dépend de sa cause. Le plus souvent, il s’agit de combler le déficit en eau, en corrigeant la natrémie de façon très progressive, afin d’éviter un oedème cérébral lié à une correction trop rapide. En cas d’hypernatrémie grave par apport excessif de sodium, une épuration extrarénale peut être nécessaire.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2022 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble et Sanofi.

Références

Durand D, Suc JM. Hyponatrémie-hypernatrémie. In : Manuel de néphrologie, 9e éd., Collège universitaire des enseignants en néphrologie ; 2020.

Laborde K. Troubles de l’eau et des électrolytes. EMC Pédiatrie 2003.

Santillanes G, Rose E. Evaluation and Management of Dehydration in Children. Emerg Med Clin North Am 2018;36(2):259‑73.

Déséquilibres hydriques et électrolytiques. In: Bernard-Bonnin AC, Ovetchkine P, Turgeon J, Hervouet-Zeiber C, Gauthier M, editors. Dictionnaire de pédiatrie Weber, 3e éd. Canada: Chenelière Education ; 2015.

Troubles acidobasiques et électrolytiques. In: Lacroix J, Gauthier M. Urgences et soins intensifs pédiatriques, 2e éd. ; 2007