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Date de mise à jour 14/05/2017

Conduite à tenir initiale chez un enfant sous immunosuppresseur présentant une infection sévère

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J.-L. Stéphan

Service de pédiatrie, CHU Saint-Étienne, hôpital nord, avenue Albert-Raimond, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France
Auteur correspondant - Adresse e-mail : j.louis.stephan@chu-st-etienne.fr
 
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Arbre décisionnel – Commentaires

(1) Véritable urgence thérapeutique qui recouvre en fait des situations très variées : le risque de sepsis grave est d’autant plus important que l’enfant est neutropénique (cytotoxiques, auto-immunité, reconstitution laborieuse d’une greffe de cellules souches) – ce qui justifiera son isolement – qu’il présente une asplénie (splénectomie pour cytopénie auto-immune, fonctionnelle : lupus), une lymphopénie profonde (corticoïdes au long cours, GVH). L’antibiothérapie guidée par un choix empirique doit être très rapidement proposée, après un examen clinique soigneux à la recherche d’une porte d’entrée (mucite, troubles digestifs, lésions périnéales ou cutanées, toux) et l’obtention en urgence d’un minimum d’examens complémentaires qui ne doivent pas la retarder.

L’enfant doit être en soins intensifs si son hémodynamique est instable. Attention aux co-infections fréquentes (par exemple, CMV/infections bactériennes) et comorbidités : insuffisance surrénale d’une corticothérapie au long cours, problème d’hémostase (lupus), colonisation par bactéries multi-résistantes chez un enfant souvent hospitalisé, toxicité propre de chacun des IS (pancréatite de l’azathioprine, toxicité rénale de la ciclosporine A (CSA), diabète du tacrolimus) et de nombreuses interactions médicamenteuses (tableau 1) ;

(2) Bilan : pas de retard à l’antibiothérapie.

  • imagerie : radiographie de thorax F+ P complétée en fonction de la clinique par radio de sinus, abdomen, TDM abdomen, thorax, écho foie et rate

  • sang : hémocultures répétées, CRP, NFS, ionogramme sanguin, bilan hépatique, hémostase ; antigène et sérologie aspergillus et candida si signes respiratoires (toux, Rx pulm anormale), charge virale groupe herpès et adénovirus, dosage pondéral des immunoglobulines

  • selles : bactériologie semi-quantitative ; recherche de levures, Rotavirus, toxine de Clostridium difficile

  • ORL : recherche herpes (PCR+ culture) : écouvillonnage sur milieu spécial de la muqueuse buccale ; colonisation par haemophilus, streptocoque, staphylocoque et levures. Virus : VRS, grippe, parainfluenzae, adénovirus

  • urines : examen cytobactériologique, antigène urinaire pneumocoque

  • peau : écouvillonnage du site d’implantation d’une voie centrale si écoulement

  • lavage broncho-alvéolaire, si infiltrat ou pneumopathie interstitielle

(3) Exemple : céfepime ou ceftazidime ou pipéracilline/tazobactam ou imipenem +/- aminoside.

Pas de supériorité d’une molécule par rapport à une autre dès l’instant que l’on choisit une C3G, un penem ou une ureïdopenicilline. Le choix doit être guidé par l’épidémiologie du service, les facteurs de risque des patients, l’effet anti- gram-positif attendu et l’existence ou non d’une colonisation préalable par Ps aeruginosa. L’arrêt de l’aminoside est décidé en l’absence d’isolement de bacilles à Gram négatif ou devant des hémocultures négatives au deuxième jour. Une mono thérapie par bêtalactamine est possible, sauf si Pseudomonas.

Un glycopeptide : vancomycine ou teicoplanine doit être prescrit en première intention, chez un patient présentant une infection patente de son cathéter, une mucite sévère, des signes de sepsis sévères : hypotension et choc, une colonisation par pneumocoque péni-R ou un staphylocoque méthi-R, ou l’existence dans le centre hospitalier de bactériémies fulminantes à cocci gram-positif (streptocoque).

(4) Dans le contexte de la greffe de moelle osseuse ou d’organes, ou avec l’utilisation de sérum antilymphocytaire (aplasie médullaire).

(5) Baisse du fibrinogène, cytopénies, transaminases & triglycérides élevés. Ce tableau d’activation et de prolifération des lymphocytes T et des macrophages avec une hypercytokinémie subséquente complique l’évolution d’un certain nombre de maladies infectieuses chez le patient immunodéprimé (VZV, EBV,…) et peut sanctionner l’utilisation de médicaments immuno-modulateurs chez des patients très vulnérables (MTX, salazopyrine notamment dans les maladies de Still).

(6) Si l’enfant est stable, le fluconazole est le meilleur antifongique. Dans le cas contraire ou s’il est porteur d’un candida krusei ou d’un candida glabrata, l’amphotéricine B conventionnelle ou lipidique sera proposée de première intention ou les candines. Lorsque la souche n’est pas connue, le patient est traité par l’association amphotéricine B+ fluconazole ; lorsque l’identification de la souche est réalisée, l’amphotéricine peut être abandonné et le fluconazole maintenu.

(7) Quels sont les éléments qui doivent faire suspecter une infection fongique et démarrer une antibiothérapie adaptée ?

  • fièvre persistante malgré une antibiothérapie à large spectre chez un enfant présentant une neutropénie et si celle-ci est prolongée ;

  • signes cliniques pulmonaires ou infiltrats radiologiques pulmonaires compatibles avec une infection fongique ;

  • antigènémie aspergillaire positive ;

  • hémoculture positive à levure

  • tout signe clinique suggérant la localisation extra-pulmonaire d'une candidose invasive, sinusite, atteinte du système nerveux central non expliquée par une autre étiologie, multiples papules cutanées suggérant une dissémination hématogène d'une infection à levures ou lésions nodulaires à évolution nécrotique évoquant une infection à champignons filamenteux ; signes échographiques compatible avec une infection chronique disséminée à levures.

 

Tous ces éléments ne sauraient dispenser de :

 

  • contacter le spécialiste référent de l’enfant (transplanteur, hématologiste, interniste/immunologiste) pour la prescription des facteurs de croissance (GCSF) en cas de neutropénie, d’immunoglobulines par voie IV (infections virales), pour la prise en charge délicate d’un syndrome d’activation ou d’une infection grave par EBV ;

  • s’adjoindre la collaboration des microbiologistes pour l’adaptation du traitement anti-infectieux d’une septicémie documentée.

 

Tableau I. Les différents immunosuppresseurs (IS) et les infections associées.

Médicament

Mécanisme d’action

Infection

Commentaires

Corticoïdes

Blocage de la phagocytose et de la présentation de l’antigène, diminution de la synthèse des cytokines

Bactériennes surtout, mais aussi, Herpes virus, et infections fungiques (candida, aspergillus, cryptocoque, umocystis)

Risque d’aspergillose dans le contexte de la transplantation médullaire

Inhibiteurs des
Calcineurines (CSA, Tacrolimus)

Inhibition de la transcription du gène de l’IL2 et donc de l’activation T

Pas d’infection « spécifique »

Risque infectieux surtout si association à d’autres IS et corticoïdes en particulier

Azathioprine

Immunomodulateur : inhibe l’activation lymphocytaire

Infection bactérienne (neutropénie)

 

Mycophénolate mofétil

Inhibiteur de la synthèse des purines. Blocage de l’activation lymphocytaire

CMV
Infection par VZV

Seul : pas d’infection bactérienne ou fongique

Méthotrexate

Immunomodulateur

Pneumocystis
Listeria, histoplasmose chez l’adulte

Pneumocystis = infection la plus fréquente avec MTX à petite dose (maladies systémiques)

Anti TNF (etanercept, infliximab)

Infliximab = anti TNF-alpha humain, chimérique, fixe le complément et lyse cellulaire
Etanercept : TNF-alpha récepteur soluble modifié

Septicémie, tuberculose
Cryptococcose, aspergilllose, CMV

Les infections les plus sévères sont décrites avec l’infliximab
Peu ou pas de signes inflammatoires ni fièvre dans les infections bactériennes

Monoclonaux anti-CD25,
anti-CD20

Blocage du récepteur de l’IL2
Cible : le lymphocyte B

Pas de risque infectieux
Lymphopénie B extrême et prolongée : infections sévères du SNC à entérovirus

 

Référence

Gea-Banacloche JC, Opal SM, Jorgensen J, Carcillo JA, Sepkowitz KA, Cordonnier C. Sepsis associated with immunosuppressive medications: an evidence-based review. Crit Care Med. 2004;32:S578-90.