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Date de mise à jour 26/05/2023

Dysménorrhées à l’adolescence

 

V. Belien-Pallet

Unité de médecine des adolescents, service de pédiatrie, CHU Jean-Verdier, AP-HP, Bondy, France
Auteur correspondant - Adresse e-mail : valerie.belien-pallet@aphp.fr (V. Belien-Pallet).
 

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Article validé par :

Pediadol, Société Française d’Endocrinologie et Diabétologie Pédiatrique (SFEDP)

Société Française pour la Santé de l’Adolescent (SFSA)

 

Introduction

(1) Les dysménorrhées sont des douleurs abdomino-pelviennes en lien avec le cycle menstruel, pouvant irradier vers les lombes, les régions crurales ou inguinales.

Elles sont très fréquentes chez les adolescentes (50 à 90 %) mais parfois banalisées, du fait de leur intensité légère ou parce qu’elles sont considérées à tort par les adolescentes ellesmêmes (ou par les soignants) comme inévitables.

Or 50 % sont d’intensité modérée à sévère, et 10 à 25 % des dysménorrhées sont décrites comme invalidantes et résistantes au traitement symptomatique usuel.

Elles sont susceptibles de retentir sur la qualité de vie et/ou d’être la cause d’absentéisme scolaire, et doivent donc être dépistées et traitées.

Conduite à tenir devant des dysménorrhées à l’adolescence

(2) L’anamnèse est indispensable pour caractériser au mieux le type de dysménorrhées (localisation, cinétique d’apparition et d’évolution, durée et chronologie par rapport aux menstruations), leur intensité (avec échelle de douleur type EVA [échelle visuelle analogique] ), leur retentissement scolaire et social, les éventuels symptômes associés, ainsi que les antalgiques précédemment utilisés, y compris les méthodes non médicamenteuses (bouillottes, bain…). L’âge des premières menstruations ainsi que l’entrée éventuelle dans la sexualité et l’utilisation ou le besoin de contraception sont également interrogés. Ces éléments permettent ensuite d’orienter les explorations éventuelles ainsi que les traitements à proposer.

Parmi les antécédents personnels, il est utile de rechercher la notion de malformation utéro-vaginale connue. Les antécédents familiaux de dysménorrhées et d’endométriose chez les ascendantes, ainsi que d’éventuelles contre-indications aux oestroprogestatifs, sont également recherchés systématiquement, de préférence en présence des parents.

(3) En contexte de douleurs abdominales et pelviennes, une symptomatologie digestive ou articulaire associée doit faire envisager des diagnostics différentiels gastroentérologiques (exemple : MICI [maladie inflammatoire chronique de l’intestin]) ou rhumatologiques (exemple : sacro-iliite).

L’exploration des dysménorrhées est une occasion d’interroger la patiente sur d’éventuelles « expériences négatives de l’enfance » (ACE, Adverse Childhood Experience) : maltraitance psychologique, physique ou sexuelle, négligence, harcèlement, dont il est prouvé qu’elles sont un facteur de risque de dysménorrhées et de douleurs pelviennes chroniques à l’adolescence et à l’âge adulte.

Lorsque l’adolescente a une activité sexuelle, un dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST) et un dosage des β-HCG doivent être envisagés de principe, et une contraception doit être proposée.

(4) Si les dysménorrhées sont associées à des saignements utérins abondants, un bilan biologique comprenant NFS plaquettes, ferritine, dosage de β-HCG, bilan d’hémostase, et bilan hormonal orienté, ainsi qu’une échographie pelvienne sont indiqués. Un traitement progestatif par dydrogestérone (Duphaston®), 1 cp de 10 mg matin et soir du 16e au 25e jour du cycle, peut alors se discuter si les symptômes sont modérés et en l’absence de besoin contraceptif, en association à l’acide tranexamique. Sinon, les contraceptifs oestroprogestatifs (COP) restent indiqués (cf. Pas à pas « Saignements abondants d’origine utérine chez l’adolescente »)

Prise en charge des dysménorrhées primaires

(5) Les dysménorrhées primaires, les plus fréquentes, sont favorisées par l’augmentation de production des prostaglandines lors de la chute de la progestérone en fin de deuxième partie de cycle, source de contractions utérines, de vasoconstrictions et d’ischémies musculaires utérines responsables de douleurs.

Elles apparaissent habituellement en décalé, au cours des deux premières années suivant la survenue des premières menstruations, lorsque les cycles deviennent ovulatoires. Il s’agit de douleurs protoméniales, c’est-à-dire survenant avant ou pendant les premiers jours des menstruations. Elles sont isolées et de courte durée.

(6) Lorsque les dysménorrhées sont isolées et de faible intensité (EVA ≤ 3/10), avec un examen clinique général sans particularité, aucun examen complémentaire n’est nécessaire d’emblée.

(7) Lorsque des traitements symptomatiques usuels (paracétamol, phloroglucinol) sont efficaces et jugés suffisants par l’adolescente, il n’y a pas lieu de modifier le traitement.

(8) En revanche, lorsque l’efficacité est jugée insuffisante, ou lorsque l’intensité des dysménorrhées est d’emblée modérée (EVA ≥ 4/10) à sévère (EVA ≥ 8/10), les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont indiqués. Si aucun AINS n’a fait preuve d’une plus grande efficacité, l’ibuprofène est celui qui a l’AMM le plus tôt en pédiatrie, et dont le profil de sécurité est le plus connu.

Par exemple :
• dès l’apparition des dysménorrhées, sans limite d’âge : ibuprofène 10 mg/kg (200 mg entre 20 et 40 kg et 400 mg à partir de 40 kg) 3 fois par jour ;
• à partir de 12 ans : acide méfénamique, Ponstyl® 250 mg 1 à 2 gélules 3 fois par jour ;
• à partir de 15 ans : flurbiprofène, Antadys® 100 mg 1 comprimé 2 à 3 fois par jour.

Ils sont à débuter, en l’absence de contre-indication (antécédent d’allergie aux AINS ou à l’aspirine, de saignement ou de perforation digestive liée à la prise d’AINS, d’ulcère de l’estomac ou du duodénum, de maladie hépatique grave, d’insuffisance cardiaque ou d’insuffisance rénale grave, et chez la femme enceinte), dès les prémices de survenue des douleurs menstruelles et à poursuivre durant les deux à trois premiers jours en systématique puis, en cas de douleurs, avec prises de préférence lors d’un repas.

(9) En cas d’antalgie insuffisante par les AINS, une échographie pelvienne sera demandée afin de vérifier l’intégrité des structures et l’absence de kyste ovarien.

(10) Si l’échographie pelvienne est normale ou objective un kyste ovarien d’allure fonctionnelle, un traitement oestro progestatif séquentiel, voire continu, sera instauré avec une pilule de 2e génération, en l’absence de contre-indication liée à un risque thromboembolique veineux ou artériel (antécédents personnels ou familiaux de thrombose, de thrombophilie ou de migraine avec aura), hépatique ou carcinologique. Les autres facteurs de risque thrombotiques (hypertension artérielle non contrôlée, migraine sans aura, obésité) doivent être pris en compte dans le choix contraceptif mais ne sont pas des contre-indications absolues. Le tabagisme n’est pas une contre-indication à la COP avant l’âge de 35 ans.

Par exemple :
• Minidril® dosé à 30 μg d’éthinylestradiol (21 comprimés puis 7 jours de pause) ;
• Leeloo® dosé à 20 μg d’éthinylestradiol (21 comprimés, puis 7 jours de pause) ;
• Optilova®, dosé à 20 μg d’éthinylestradiol (28 comprimés dont 7 placebos, en continu, limitant les oublis).

Lorsque les COP sont contre-indiqués, une contraception par microprogestatifs en continu peut être envisagée.

Par exemple :
• Microval® (lévonorgestrel), 1 comprimé par jour en continu, à heure fixe.

(11) En présence d’un kyste ovarien d’allure organique à l’échographie pelvienne (structure tissulaire ou mixte, présence de cloisons, ou persistance du kyste au-delà de 3 mois), une consultation chirurgicale spécialisée (chirurgie viscérale ou gynécologique, selon l’âge de l’adolescente et les ressources locales) ainsi qu’une IRM pelvienne seront indiquées.

(12) Dans tous les cas de dysménorrhée, une consultation de suivi est à prévoir, avec calendrier menstruel, recueil et évaluation de l’intensité des symptômes douloureux et de leur retentissement ainsi que des effets des traitements instaurés. La patiente peut alors être adressée si besoin vers une consultation de médecine de l’adolescent, de gynécologie, de sage-femme ou bien encore vers un centre de santé sexuelle (ex-CPEF, Centre(s) de Planification et d’Éducation Familiale), notamment en cas de besoin contraceptif.

Signes en faveur de dysménorrhées secondaires

(13) Des dysménorrhées dès les premières menstruations doivent motiver la réalisation d’une échographie pelvienne et rénale, à la recherche d’une malformation utéro-vaginale (par exemple : utérus pseudo-unicorne, hémi-utérus, cloison vaginale, atrésie vaginale partielle) éventuellement associée à une malformation ou malposition rénale. Une orientation vers une consultation spécialisée en centre de référence gynécologique doit être proposée en cas d’anomalie confirmée.

La récidive de douleurs pelviennes cycliques intenses et se majorant, sans survenue associée des menstruations, doit faire rechercher à l’inspection la constitution d’un hématocolpos, sur une imperforation hyménéale le plus souvent, et motiver l’orientation de la patiente aux urgences gynécologiques.

(14) Certains signes doivent attirer l’attention et faire suspecter une endométriose :
• dysménorrhées se majorant en fin de menstruations (télé méniales), ou se prolongeant après les menstruations, ou survenant en dehors des cycles avec des douleurs pelviennes chroniques ;
• douleurs pelviennes lors de la pratique du sport ;
• signes associés digestifs (dyschésie – difficulté d’évacuation des selles –, épreintes, ténesmes, rectorragies) ou urinaires (dysurie, pollakiurie) lors des menstruations ;
• dyspareunies profondes (à différencier des douleurs d’intromission) chez les adolescentes sexuellement actives ;
• douleurs intenses (EVA ≥ 8/10), se majorant avec les cycles, ou résistantes aux AINS et à la COP ;
• retentissement important sur la qualité de vie avec absentéisme scolaire.

En effet, la prévalence de l’endométriose est variable selon les populations étudiées. Elle serait de 5 % parmi les adolescentes en population générale mais elle est estimée à 50 % parmi les adolescentes souffrant de dysménorrhées sévères. Le risque de développer une endométriose est multiplié par 5 s’il existe une endométriose connue chez les ascendantes.

(15) Si de tels arguments sont retrouvés, une exploration par échographie pelvienne sus-pubienne (ou par examen gynécologique et échographie endovaginale, lorsque l’adolescente est active sexuellement) est alors indiquée, pour rechercher une localisation ovarienne (endométriome).

(16) En cas de normalité de l’échographie, la persistance de la douleur associée à une symptomatologie urinaire ou digestive évoque une endométriose profonde. Un avis gynécologique spécialisé et une IRM pelvienne en centre de référence sont alors indispensables. En effet, une imagerie normale n’élimine pas une endométriose, surtout à l’adolescence, période durant laquelle la confirmation diagnostique est particulièrement difficile et l’intérêt d’une coelioscopie discutée. En cas de forte présomption clinique, avec ou sans confirmation diagnostique, une aménorrhée thérapeutique par une COP de deuxième génération en prise continue est proposée en première intention. Les micro progestatifs, voire les implants progestatifs, sont également efficaces en cas de contre-indications aux COP. Dans cette indication, les analogues de la GnRH sont contre-indiqués chez l’adolescente de moins de 16 ans (et même de moins de 18 ans selon l’AMM) et sont, lorsqu’ils sont prescrits par un centre de référence, limités à une durée de 12 mois et en association avec une add-back thérapie par oestrogènes (en prévention du risque de déminéralisation osseuse).

(17) En contexte de dysménorrhées réfractaires, primaires ou secondaires, ou de douleurs récurrentes ou chroniques envahissantes associées, l’adolescente doit bénéficier d’une évaluation bio-psycho-sociale en unité douleur et/ou d’une consultation de médecine de l’adolescent, et d’autres approches thérapeutiques complémentaires non médicamenteuses peuvent être envisagées, telles qu’une approche psycho-corporelle (relaxation, hypnose, yoga, psychomotricité) et/ou un traitement par neurostimulation transcutanée (Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation [TENS]). Un site internet ressource pour les douleurs récurrentes et chroniques peut être communiqué aux patientes : dolomio.org. La pratique sportive régulière est également à encourager.

Conclusion

Les dysménorrhées sont fréquentes à l’adolescence, susceptibles de retentir sur la qualité de vie ainsi que sur la scolarité, et doivent être dépistées par une anamnèse adaptée.

Les dysménorrhées primaires sont les plus fréquentes. Cependant, des dysménorrhées secondaires doivent être suspectées lorsqu’elles débutent dès les premières menstruations, en cas de malformation utéro-vaginale connue ou lorsqu’il existe des arguments en faveur d’une endométriose. Une consultation de gynécologie spécialisée (pédiatrique ou adulte selon l’âge de la patiente) est alors indiquée, afin de définir les explorations et les traitements adaptés.

Les recours thérapeutiques sont à adapter au tableau clinique initial, et à réévaluer au cours du suivi : AINS (à prendre précocement), COP/progestatifs (après échographie pelvienne), voire prise en charge spécialisée de la douleur chronique en cas d’inefficacité ou de présentation atypique, avec une évaluation bio-psycho-sociale.

Liens d’intérêts

L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Cet article fait partie du supplément Pas à Pas 2023 réalisé avec le soutien institutionnel de Procter & Gamble et Sanofi.

Références

HAS. Recommandations de bonne pratique. Prise en charge de l’endométriose. 2017.

Pélissier Langbort C. Les dysménorrhées et leur traitement médical. In: CNGOF. Mises à jour en gynécologie médicale. Volume 2005. p. 137-147.

Hadjou OK, Jouannin A, Lavoue V, Leveque J, Esvan M, Bidet M. Prevalence of dysmenorrhea in adolescents in France: Results of a large crosssectional study. J Gynecol Obstet Hum Reprod 2022;51(3):102302.

Smorgick N, As-Sanie S, Marsh CA, Smith YR, Quint EH. Advanced stage endometriosis in adolescents and young women. J Pediatr Adolesc Gynecol 2014;27(6):320-3.

Gagnon MM, Moussaoui D, Gordon JL, Alberts NM, Grover SR. Dysmenorrhea across the lifespan: a biopsychosocial perspective to understanding the dysmenorrhea trajectory and association with comorbid pain experiences. Pain 2022;163(11):2069-75. DOI: 10.1097/j.pain.0000000000002649. Epub 2022 Apr 14. PMID: 35420567.